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Le Mékong, un fleuve en voie de disparition

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Asphyxié par les constructions frénétiques de barrages et asséché par le réchauffement climatique, le Mékong pourrait être le premier fleuve à disparaître de la planète

En juin 2019, le Mékong a enregistré une nouvelle sécheresse faisant tomber l’eau à son niveau le plus bas depuis cent ans.

Dans un rapport publié en 2018, la Commission du Mékong (RMC) rendait compte d’une chute de 40% des quantités de poissons pêchés sur le fleuve et une baisse de 97 % de la quantité de sédiments en aval suite à la construction de nouveaux barrages hydrauliques.

En 2019, le lac du Tonlé Sap (Cambodge) voyait ses prises en termes de pêche chuter de 90 %.

Jusqu’à présent, au moins 500 000 tonnes de poissons étaient pris dans les filets annuellement soit plus que tous les fleuves et lacs d’Amérique du Nord réunis. 

Mais à peine arrivée et aussitôt repartie, l’eau n’est pas restée assez longtemps en 2019 pour laisser le temps aux espèces de se reproduire et aux pêcheurs d’effectuer leurs rendements annuels.  

Entre constructions frénétiques de barrages et réchauffement climatiques, le Mékong pourrait être le premier fleuve à disparaître sur terre. 

« Il est temps de réagir et de trouver des alternatives pour que le Mékong puisse être préservé. Nous ne devons pas penser à la concurrence, mais à l’environnement » 

s’est alerté Carl Middleton, conférencier sur l’étude du le développement international et directeur adjoint pour la recherche internationale au Centre d’études sur le développement social de l’université de Chulalongkorn 

Victime du double impact du réchauffement climatique et de la construction frénétique de barrages hydrauliques, le Mékong s’assèche, les poissons meurent, les récoltes de riz s’amoindrissent et les populations migrent. 

« Les gouvernements du Mékong ne réagissent pas assez vite pour comprendre la crise qui s’annonce et pour travailler ensemble afin d’atténuer les risques et d’améliorer la résilience du fleuve »

Brian Eyler, directeur du programme Asie du Sud-Est au Stimson Center de Washington

En 2019, le Mékong a enregistré sa plus importante sécheresse depuis un siècle

60 millions de personnes dépendent du Mékong (et de ses affluents) et doivent se partager ses ressources. 

Le fleuve est source d’activité économique mais aussi un lieu de vie, tant pour les locaux que pour les espèces maritimes qui y vivent faisant de lui la seconde plus grande réserve de biodiversité fluviale (474 espèces de poissons recensées) après l’Amazone. 

Débutant au sommet des glaciers de tibétains, le Mékong traverse six pays d’Asie du Sud Est avant de se jeter dans la mer de Chine méridionale. Long de 4 350 km, il est le 12e plus long fleuve du monde

Le Mékong c’est aussi ses habitants qui vivent sur les berges. Agriculteurs à 80% (riz, pêche), le fleuve est leur principale ressource de subsistance mais également leur moyen de transport privilégié. 

Seulement voilà, en 2019 une forte sécheresse a été enregistrée, plus forte encore que celle de 2010 qui avait asséché la région du Yunnan si bien que les turbines du barrage de Jinghong ne pouvaient plus fonctionner. 

La mainmise chinoise contestée

Pékin a déjà construit six barrages sur le cours supérieur du Mékong et investi dans plus de la moitié des 11 barrages prévus plus au sud, d’après l’ONG de défense de l’environnement International Rivers.

Au début de mois de février, Bangkok a répondu aux protestations grandissantes en rejetant le projet de Pékin qui planifiait d’ouvrir une partie du Mékong dans le nord de la Thaïlande en dynamitant environ 90 kilomètres de rochers et en draguant le lit du fleuve.

La Chine visait à relier le Yunnan au commerce maritime en lui donnant accès au fleuve et aux cinq autres pays voisins du Mékong- la Thaïlande, le Myanmar, le Cambodge, le Vietnam et le Laos.

Les groupes environnementaux estiment que les barrages représentent une grave menace pour l’habitat des poissons et perturbent les migrations et l’écoulement des principaux nutriments et sédiments, sans parler du déplacement de dizaines de milliers de personnes victimes d’inondations.

La batterie d’Asie du Sud-Est bientôt à plat ?

Vientiane exporterait près de 95% de l’électricité produite par le barrage de Xayaburi à la Thaïlande. Si tous les projets de constructions sont réalisés, ils porteront la capacité hydroélectrique du pays enclavé à 27 000 MW, contre seulement 700 MW en 2005, selon les données compilées par le Stimson Center à Washington.

Mais la mise en service des barrages est venue perturber le cycle des saisons en altérant le débit de l’eau alors que le fleuve commençait à s’assécher à l’approche de la saison des pluies

« Les décideurs politiques ont oublié l’impact social de leurs décisions. Il faut plus de politiques énergétiques car les populations locales elles se sont déjà rendues compte de changements socio-climatiques »

Pou Sothirak, universitaire, ancien politicien cambodgien du CICP et ex ambassadeur au Japon

Des barrages qui naissent et des poissons qui meurent 

Actuellement 10 barrages sont en projet ou en cours de construction au Laos, en Thaïlande et au Cambodge (plus une centaine d’infrastructures de moindre ampleur).  

La récente construction du barrage de Xayaburi avait déjà alerté les ONG et associations environnementales dénonçant un risque d’impacter directement la biodiversité et la biosphère en amont fleuve. 

Longuement bloqué dans une bataille juridique, le projet a fini par voir le jour après que le promoteur du barrage, la société thaïlandaise CK Power, a affirmé avoir investi 600 millions de dollars pour atténuer les impacts négatifs de son projet sur l’environnement.

Plus récemment, c’est l’annonce de la construction d’un nouveau barrage près du village de Luang Prabang au Laos qui a alerté les défenseurs du Mékong.

Pour eux, il faudrait attendre d’évaluer l’impact du barrage de Xayaburi sur la pêche et l’agriculture avant de ne se lancer dans un nouveau projet hydroélectrique. 

Nous avons pris plus de poissons il y a cinq ans, même pendant la saison sèche » a déclaré un pêcheur du village de Ban Sob Kok à Chiang Saen à BenarNews.

Pourquoi le Mékong vire au bleu turquoise ?

Les ONG et association écologistes ont alerté les autorités sur l’observation d’une eau anormalement bleu claire au lieu de ses teintes marrons habituelles.  

Modifiant l’hydrologie naturelle du fleuve, les barrages ont progressivement provoqué l’érosion des sols et menacent aujourd’hui les populations de poissons et donc par extension également le commerce de la pêche qui est devenu la principale activité des locaux. 

Le phénomène de « l’eau bleue claire » s’explique par un manque important de nutriments et de sédiments, vitaux pour la vie maritime du fleuve, et causé par les fluctuations incessantes des niveaux d’eau ainsi que le faible débit qui amène les sédiments à se déposer au fond de l’eau.

Les inondations saisonnières durant la saison des pluies créent des habitats pour les poissons et autres espèces aquatiques, et transportent des sédiments essentiels à l’agriculture en aval. 

En février 2020, le Réseau des peuples thaïlandais ( Thai Mekong People’s Network ) issus des huit provinces du Mékong a soumis de nouvelles preuves à la Cour administrative thaïlandaise sur les dommages causés aux pêcheries et les changements dramatiques de l’écosystème du Mékong.

Ajouté à cela, les membres dur Réseau ont contesté la légitimité d’un accord d’achat d’énergie entre le Laos et la Thaïlande.

Les pêcheurs et les agriculteurs du nord de la Thaïlande ont longtemps dû faire face à des fluctuations sauvages du débit des rivières, la Chine stockant et libérant l’eau de ses barrages.

L’impossible dialogue intergouvernemental pour un fleuve inter connecté 

« Il faut seulement un minimum de conscience humaine pour pouvoir annuler ces projets »  s’inquiète Pianporn Deetes, Militante Thaïlandaises pour la protection des fleuves internationaux et contre le dynamitage de hauts-fonds rocheux dans le Mékong

A ce jour la Chine contrôle 95% du fleuve. Aussi, aucun pays ne peut opposer son veto au projet d’une autre nation en vertu du traité du Mékong de 1995 signé par le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam.

Auparavant, le ministère thaïlandais des Affaires étrangères avait déjà répondu aux inquiétudes en rapport avec les sécheresse et la baisse des niveaux d’eau en mettant le doigt sur des problèmes de réchauffement climatiques et non liés aux constructions de barrages. 

« Lorsque la sécheresse s’installe, la Chine contrôle efficacement le débit du fleuve », Brian Eyler, directeur du programme Asie du Sud-Est au Stimson Center de Washington.

Un problème de communication avec la Chine qui ne communique pas ou très tardivement lorsqu’elle libère de l’eau de ces barrages. Cela provoque une montée des eaux soudaines pour les habitants qui ne s’y sont pas préparés. Les récoltes de pêche en sont les premières touchées puisque les pêcheurs ne peuvent pas prévoir l’afflux de poissons. 

La Commission du Mékong pourrait être la solution à ce manquement de communication entre États. Simplement, elle ne comprend encore à ce jour que quatre des six pays du bassin. La Chine a, de son côté, crée sa propre organisation la Lancang Mekong Coopération. 

Les gouvernements ne seraient pas prêts à collaborer et préfèrent se concentrer sur leurs priorités économiques internes plutôt que sur cet enjeu inter-étatique. 

Par Anouk Ampe – Thailande-fr.com – 21 février 2020

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