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La Thaïlande aux prises avec une contestation contre les injustices

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Depuis deux semaines, des manifestations de plusieurs milliers de personnes appellent à de nouvelles élections, à la fin d’un système fait de harcèlement policier, d’omniprésence militaire, d’immunité aux puissants. Une contestation qui atteint également la monarchie.

«Rendez-nous notre futur.» Entamé il y a plusieurs mois, le mouvement des manifestations étudiantes en Thaïlande a pris de l’ampleur ces deux dernières semaines, le ton s’est durci et les revendications se sont précisées. Le 18 juillet, ils étaient plusieurs milliers, rassemblés autour des quatre ailes géantes du monument à la Démocratie, dans le quartier historique de Bangkok.

Jusqu’à la nuit tombée, les lumières des téléphones portables brandies comme jadis les briquets, ils réclamaient «la dissolution du Parlement, de nouvelles élections, la fin du harcèlement policier et un changement de Constitution». Un événement a cristallisé la colère qui montait : l’enlèvement et la disparition le 4 juin à Phnom Penh, d’un jeune activiste, Wanchalerm Satsaksit après la diffusion d’une vidéo particulièrement critique à l’égard de «l’absence totale de compétences» du gouvernement et de son Premier ministre, Prayuth Chan-o-Cha. Depuis, les manifestations se multiplient, à Bangkok, à Chiang Mai, à Khon Khaen et Ubon, les universités du Nord Est agricole et contestataire du pays.

Quelques semaines avant, au même endroit, les étudiants avaient orchestré une reconstitution de la chute de la monarchie absolue en 1932 et relu des textes d’époque, critiquant ces monarques «qui déposent leur argent à l’étranger et s’apprêtent à fuir en laissant le peuple mourir de faim tandis que le pays s’écroule». Des propos qui résonnent avec le contexte de dure crise économique traversée aujourd’hui par le royaume, alors que le souverain Rama X a décidé de passer toute la durée du confinement en Allemagne.

« Lame de fond »

Pour la première fois dans l’histoire récente, des pancartes et des slogans ouvertement antimonarchistes ont été vus pendant ces rassemblements, tenus bien haut par des manifestants enhardis par le port généralisé du masque.

Le roi Rama X a récemment exprimé son souhait de ne plus voir invoquer la sévère loi de lèse-majesté, qui prévoit quinze années de prison pour quiconque critique le roi, la reine ou l’héritier de la couronne.

La plupart préfèrent s’en prendre aux injustices du système thaï, à l’omniprésence de l’armée dans la vie politique et à l’absence de réforme d’un système judiciaire qui «garantit l’immunité aux riches et aux puissants» selon une jeune manifestante.

La relaxe prononcée il y a quelques jours dans le procès de l’héritier d’une des familles les plus riches du pays, responsable de la mort d’un policier alors qu’il conduisait ivre et sous cocaïne, suscite l’indignation généralisée. Les manifestants s’en prennent surtout à la légitimité du gouvernement en place, un groupe de militaires arrivés au pouvoir par coup d’Etat en 2014 puis élus au cours d’un scrutin très controversé, surtout depuis que la crise du coronavirus a laissé entrevoir les lacunes considérables de ses ministres en matière d’économie.

Le mouvement, autobaptisé «Libérez la jeunesse» n’a pas officiellement de leader déclaré, même si le jeune milliardaire Thanathorn Juangroonruangkit, ancien chef du parti «Nouvel avenir», dissout par la Cour constitutionnelle en début d’année, est une figure évoquée par de nombreux manifestants.

Après la dissolution de son parti, il avait promis de prendre la tête d’«un grand mouvement de société, une lame de fond qui ne s’arrêtera qu’avec le départ des militaires». Son phrasé et ses manières directes séduisent les moins de 40 ans, près de 50% de la population thaïlandaise.

Clash et révolution

Pour l’instant, les manifestations restent circonscrites aux milieux étudiants urbains, souvent issus de familles des classes moyennes supérieures, elles-mêmes favorables aux militaires, ce qui en fait plutôt un clash générationnel qu’une révolution. Mais c’est peut-être ce qui pourrait faire toute la différence avec les précédents mouvements de rue en faveur d’une démocratisation, écrasés jusqu’ici dans le sang.

Le Premier ministre Prayuth a d’ailleurs adopté un ton beaucoup plus conciliant envers «les petits frères», affirmant «comprendre leur colère», comparé à celui qu’il employait contre les Chemises Rouges, paysans riziculteurs du Nord Est. Ceux-là sont régulièrement accusés d’être «des communistes», et de ne pas être assez éduqués pour comprendre les enjeux du système politique.

«La jeunesse thaïe veut un futur et elle fera tout ce qu’elle peut pour l’obtenir», estime le commentateur politique Thithinan Phongsudhirak, qui appelle les élites thaïes à prendre ces jeunes au sérieux. «Soit la Thaïlande trouve un nouvel équilibre constitutionnel, qui accorde moins de pouvoir à l’armée, à la monarchie et au judiciaire, soit on reste dans un régime autoritaire et la stagnation économique.»

Par Carol Isoux – Libération – 2 août 2020

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