« Vietnam-sur-Lot », sur Paradiso Media : un lieu de mémoire effacé de la décolonisation indochinoise
Alix Douart reconstitue dans une série documentaire son histoire familiale douloureuse, à travers un centre d’accueil du Lot-et-Garonne.
Tous ses étés d’adolescente, Alix Douart Sinnouretty les a passés au centre d’accueil pour les Français d’Indochine (CAFI), au nord et à l’écart de Sainte-Livrade-sur-Lot, non loin d’Agen. Quand un incendie se déclare fin 2005, il est d’abord question d’une rénovation avant que la mairie ne décide la destruction du lieu. Pourquoi sa mère s’investit-elle autant pour empêcher la disparition de ce qui est alors pour Alix un lieu de vacances ? La jeune femme mène l’enquête et exhume l’histoire douloureuse de sa famille, en même temps qu’elle retrace l’histoire de la colonisation et de la décolonisation de l’Indochine.
« J’ai trouvé ma place dans la petite histoire et aussi dans la grande », affirme la documentariste à l’issue de son récit vertigineux, fruit de son travail universitaire (en droit) et d’une patiente plongée dans des archives. Celles, personnelles, de sa famille ; et celles, historiques, du fonds départemental sur le CAFI d’Aix-en-Provence. Vietnam-sur-Lot, c’est le lieu où environ 1 200 Français d’Indochine – dont la moitié étaient des enfants – ont été rapatriés à partir d’avril 1956, deux ans après Dien Bien Phu, dernière bataille majeure de la guerre d’Indochine qui signa la chute du pouvoir colonial français.
Camp indigent
C’est là que sa mère, Nina Sinnouretty, est arrivée et a grandi, que sa famille a subsisté pendant des décennies. C’est là qu’Alix passe tous ses étés des années 2000. Dans ce camp indigent – pas de chauffage, pas de salle d’eau, pas d’isolation –, qui devait être provisoire et qui est resté sous administration militaire (coloniale) jusque dans les années 1980. Il a ensuite été progressivement abandonné par les pouvoirs publics, dans l’attente de sa désertion, avant d’être en partie rénové en logements sociaux. Aujourd’hui, le lieu pourrait accueillir un musée de la guerre, complètement déconnecté de ceux qui l’ont habité, comme une injonction supplémentaire à l’effacement de l’histoire de l’Indochine.
Les témoins de ce passé colonial, la documentariste leur donne la parole, avec le concours des historiens Alain Ruscio, Michel Bodin, de l’anthropologue Dominique Rolland, autrice de Petits Viêt-Nams (Elytis Editions, 2010), et d’archivistes. Avec quelques qualités littéraires et une réalisation sobre, elle déplace les points de vue et les questionnements habituels sur la colonisation indochinoise et raconte une histoire peu vue, peu écoutée, peu enseignée, ensevelie par la répression et par le fardeau rémanent du racisme institutionnel, avec son cortège ordinaire d’humiliations.
Au bout du chemin de la réparation, l’apaisement attend. Il n’en reste pas moins que les enjeux du sauvetage de ce lieu de vie, de métissage, de mémoire, ce « pays » unique au monde, restent entiers, enfouis dans le refoulement persistant du fait colonial.
Vietnam-sur-Lot, série documentaire d’Alix Douart Sinnouretty (Fr., 2023, 6 × 32 min), écrite avec Adèle Salmon et Suzanne Colin, disponible chez Paradiso Média.
Par Mouna El Mokhtari – Le Monde – 16 novembre 2023
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