En Asie du Sud-Est, grand secret et petite forme du coronavirus
Les chiffres particulièrement bas communiqués par les pays de la région révèlent les carences des systèmes de santé et témoignent de la volonté de ne pas fragiliser le secteur clé du tourisme.
Pendant que l’épidémie continue à s’étendre partout dans le monde, l’Asie du Sud-est affiche un nombre exceptionnellement bas de cas détectés : 43 en Thaïlande, 2 en Indonésie, 1 cas au Cambodge, 0 en Birmanie, 0 au Laos… Alors même que certains de ces pays ont des frontières avec la Chine ou recevaient jusqu’à fin janvier plusieurs vols directs quotidiens en provenance de Wuhan, épicentre de la crise.
Les théories des responsables locaux ne manquent pas pour expliquer ce phénomène. En Indonésie, le ministre de la Santé n’a pas hésité à déclarer que «ce sont les prières qui nous protègent du virus». Quant aux Thaïlandais, ils se félicitent de prendre plusieurs douches par jour et de pratiquer, au lieu du serrage de main ou de la bise, le «wai», un salut les mains jointes qui évite tout contact physique.
Mais pour les experts, ces chiffres particulièrement bas révèlent surtout la faiblesse des systèmes de santé. Un récent rapport d’un groupe de médecins et de mathématiciens de l’université de Harvard estime qu’il est statistiquement impossible pour ces pays, tout particulièrement l’Indonésie, la Thaïlande et le Cambodge, de ne pas avoir plus de contaminations.
Seuil de pauvreté
«Il y a des infections non détectées dans la région», affirme Marc Lipsitch, directeur du Centre de recherche sur les dynamiques des maladies infectieuses à Harvard. Dans les pays développés, les autorités sanitaires ne sont d’ailleurs pas dupes. Malgré leur très faible nombre de cas déclarés, la Thaïlande et le Cambodge figurent désormais sur la liste des pays à risque et il est recommandé à ceux qui en reviennent d’observer une période de quarantaine.
En l’absence d’une couverture maladie dans ces pays, où la majorité de la population vit autour du seuil de pauvreté, la plupart des malades ne consultent pas pour des symptômes qui ressemblent à ceux d’une grippe. Même pour ceux qui le font, le nombre de tests disponibles étant limité, ils sont réservés aux cas très graves ou à ceux qui ont récemment effectué un voyage dans un pays à risque. Les patients avec toux et fièvre sont renvoyés chez eux avec des antibiotiques. Le responsable sanitaire de la ville de Phuket a récemment admis devant un parterre de journalistes qu’il n’était pas autorisé à donner des informations à la presse concernant l’évolution de l’épidémie.
Singapour bon élève
A part Singapour, bon élève de la zone dont les experts ont loué la gestion de crise, les pays de l’Asean consacrent des budgets minimaux à leur système de santé. Jusqu’au 20 février, la Birmanie – qui partage une frontière de 1 400 kilomètres avec la Chine, le long de laquelle hommes et biens circulent quasi librement – ne disposait pas de ses propres kits de tests, il fallait envoyer les échantillons à Bangkok. Son budget annuel consacré à la Santé représente 600 millions d’euros (contre plus de 20 milliards en France).
Alors que l’Asie du Sud-Est se bat aujourd’hui contre l’une des pires épidémies de dengue de son histoire récente, certains pays doivent faire face à une résurgence de la tuberculose. La mortalité infantile, la malnutrition font encore partie de la vie quotidienne dans certaines zones. «La panique du coronavirus, franchement, c’est un problème de pays riche», estime le Dr Somnak Kongchathai, médecin généraliste à Surat Thani, dans le sud de la Thaïlande.
L’importance cruciale du secteur touristique explique aussi ces chiffres très bas. Le 2 mars, le très médiatique ministre thaïlandais de la Santé Anutin Charnvirakul a publié sur les réseaux sociaux un document qui annonçait que les voyageurs en provenance de France et d’Allemagne seraient engagés à observer une période d’autoquarantaine dans leur chambre d’hôtel. Mais devant l’avalanche de réactions il a dû faire marche arrière : le pays ne peut pas se permettre d’incommoder les quelques touristes qui lui restent avec des mesures draconiennes ou des chiffres trop réalistes.
Selon le ministre thaïlandais du Tourisme, la baisse de fréquentation des voyageurs chinois atteint 86%, pour des pertes allant jusqu’à 7,5 milliards d’euros. Partout dans la région, les plages restent désertes, les sites comme les temples d’Angkor au Cambodge ou la baie d’Halong au Vietnam sont vides. Les Chinois représentent à eux seuls au moins un quart des revenus du secteur du tourisme. Enfin, il y aurait aussi des volontés politiques à ne pas faire de zèle sur les chiffres du virus afin de ne pas accabler le puissant voisin, dont dépend toute l’économie de la zone. Le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, s’est d’ailleurs rendu en Chine début février, en tweetant «on ne tourne pas le dos à un ami dans le besoin».
Par Carol Isoux – Libération – 6 mars 2020
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