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Une leçon de style venue d’un pays coupé du monde

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Des 50 images d’une inconnue qu’il a trouvées en Birmanie, le photographe Lukas Birk a fait un livre. L’occasion, pour Sophie Fontanel, de s’interroger sur les mystères de l’élégance.

Je vais essayer de le raconter comme c’est arrivé. En 2013, le photographe autrichien Lukas Birk se rend en Birmanie, « un pays dont on ne sait rien ». D’arrière-boutiques en marchands d’antiquités, voici qu’il trouve quantité d’albums de photos de famille, couvrant presque un siècle. Sa collection est d’ailleurs aujourd’hui si immense qu’il a constitué un fonds, Myanmar Photo Archive, considérant que cela ne lui appartient pas.

Parmi ces albums, il y a celui d’Irene. Une cinquantaine de photos représentant toutes la même personne, à des âges différents, encore qu’on ne la voie pas vieillir tant que ça. Qui était Irene, qui pose avec une si tranquille constance pour le photographe ?

Evidemment, Lukas Birk se le demande et enquête. Mais il ne trouve rien. Non, cette personne aux airs de star n’en était pas une, les Birmans sont formels. Ce n’était pas non plus un mannequin. Ce n’était pas non plus une socialite, comme on dit maintenant, une de ces personnes qu’on voit dans les chroniques mondaines des magazines. Personne ne se souvient d’elle.

D’Irene, il ne reste que ces cinquante photos qui l’immortalisent. Tout ce que l’on veut apprendre d’elle, il faut le déduire, et la vivacité d’esprit de Lukas Birk se met en action. Il constate qu’Irene ne vient pas d’une famille pauvre. Ce n’est pas si évident à voir, car ce qui rend Irene unique, c’est son style extrêmement simple. Ses sacs sont en rotin, ses pieds sont nus ou simplement chaussés de tongs, quasiment pas de bijoux…

C’est d’ailleurs bien là précisément ce qui réjouit l’âme, cette sophistication absolue, cet amour de la mode qu’on ressent dans chaque image, cette adhésion au style des années 1970, le tout avec presque rien. Son niveau social se devine principalement au décor derrière elle, encore qu’il n’y ait là encore rien de tape-à-l’œil. Irene a le téléphone. Irene a des disques. Irene a une chaîne Hi-Fi. Cela devait compter pour elle, on se dit, puisque c’est là sur les photos.

D’ailleurs, ces photos, qui les a prises ? Qui a vécu pour photographier Irene ? Un père ? Un époux ? Une sœur ? Un frère ? Mystère et boule de gomme. Irene pose à peine, tout est très naturel, comme si quelqu’un s’était évertué à faire un reportage sur elle. Au fond, on croit voir une influenceuse, toujours bien consciente d’être prise en photo, toujours bien consciente que son chic est une part non négligeable de ce qu’on essaie de capter là, en un déclic.

Toutefois, contrairement aux influenceuses, Irene sourit, et l’étendue de sa garde-robe ne semble pas si vaste. Les vêtements sont traités avec amour. En cinquante photos, ils nous deviennent familiers. La chemise blanche aux plis sur le côté ou les lunettes de soleil tellement seventies, peut-être pas si faciles à trouver dans la Birmanie de l’époque.

Voici Irene inoubliable : sa manière de moderniser ses vêtements traditionnels, en réalité en les changeant à peine, rien que par l’attitude, est une leçon de style. Bref, cette jeune femme m’influence, moi, bien plus que bon nombre de coquilles vides contemporaines. Son anonymat est sublime. Un livre sort, « Irene, a Burmese Icon » (Myanmar Photo Archive Editions). Puisse cette inconnue faire le tour du monde. Et la vie est ainsi faite qu’après tout on ne sait pas, peut-être qu’un jour, quelqu’un va reconnaître Irene, quelqu’un va nous dire qui est elle était. Qui elle est, peut-être. J’en frémis.

Par Sophie Fontanel – Nouvelobs.com – 20 juin 2020

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