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Sites archéologiques : quand les pillards remplacent les touristes

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Cinq pagodes de Bagan récemment vandalisées par des pillards en quête des objets d’art ou précieux que le tiers supérieur de ces constructions contient souvent, une nécropole fraîchement détériorée sur le site d’Halin, l’un des trois ensembles de la civilisation des Pyu classés par l’Unesco au patrimoine de l’humanité (avec Beikthano et Sri Ksetra), et au final 33 pagodes « visitées » par des maraudeurs depuis le début de la crise de la Covid-19 :

les pillards et détrousseurs s’en sont donnés à cœur joie sur les sites anciens les plus étendus et dont la surveillance implicite par les visiteurs et les petits commerces a bien baissé puisque les touristes n’ont pas pu y accéder durant les trois derniers mois.

Les malveillants ont parfaitement su s’adapter… De la même manière que la réponse à la Covid-19 a facilité plusieurs types de trafics – comme celui du bois -, la fermeture des sites archéologiques et leur moindre surveillance ont intensifié les activités des pilleurs. A Bagan, outre les pagodes dans lesquelles des bandits ont dérobé des objets, l’entrée, pourtant protégée par une barrière en bambou, de la pagode de Loka-hteik-pan – connue pour la remarquable conservation de ses peintures murales – a été brûlée le 9 juin. « C’est un incendie criminel. Nous avons trouvé de la térébenthine. Nous sommes arrivés peu après que les barrières aient pris feu. Nous sommes arrivés à temps et avons pu l’éteindre », déclare un membre du Département du Musée d’archéologie de la Bibliothèque nationale (DMABN). Encore aujourd’hui, des pagodes recèlent d’objets anciens, souvent composés de métaux précieux comme des bijoux, des figurines ou encore des gongs. Une enquête a été ouverte, les coupables risquent jusqu’à sept ans de prison et une amende maximale de 5 millions de kyats (environ 3 000 euros) en vertu de la loi sur la protection et la préservation des antiquités.

Le besoin d’une police spécialisée dans le patrimoine

Les pagodes ne sont pas les seules à contenir des trésors, les cimetières anciens peuvent aussi en cacher. Dans le site antique d’Halin, dans la région de Sagaing, une nécropole a été dépouillée. Des tombes ont été éventrées pour récupérer les objets de valeur accompagnant les défunts, endommageant en même temps le site. Un squelette humain, ainsi que trois pots en terre cuite ont été dégradés. Les faits ont été découverts par une patrouille le 3 juin, une plainte a été déposée et la police mène une enquête pour retrouver les responsables.

Bagan comme Halin sont donc inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco – branche des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Cela pourrait laisser présager une meilleure préservation et protection – deux paramètres qui font partie des critères d’attribution de ce label « Unesco » – mais si le cadre formel existe, les moyens pour le mettre correctement en place manquent. Pour un membre de l’association des guides touristiques de Bagan, il est nécessaire d’agir plus : « Je veux plus de budget et de personnel pour la sécurité des pagodes. Au lieu de créer une unité de sécurité, qui existe déjà au sein du DMABN, je souhaite la création d’une police dédiée au patrimoine. Dès lors, nous serons capables d’effectuer des patrouilles de nuit. L’installation de caméras de surveillance en circuit fermé dans les endroits importants permettra également de surveiller les entrées suspectes ». Durant la fermeture, l’association des guides a organisé des patrouilles de surveillance le jour, mais pas la nuit.

Mrauk U : entre guerre et pillages, le site archéologique est mis à mal

Sur le papier, plus de surveillance, plus de sécurité, plus de moyens paraissent raisonnables. Mais le guide de Bagan prêche aussi pour sa pagode… Au vu des moyens budgétaires de la Birmanie, de grosses dépenses de sécurité sur un site aussi étendu que Bagan – sans compter les trois sites Pyu… – ne se justifient guère. Surtout que ce genre de cambriolage très spécialisés sont la plupart du temps le fait d’initiés, d’individu qui peuvent indiquer à l’avance aux pillards quoi et où voler. Quelques cameras ne suffiront pas à arrêter de tels individus. Une prise de conscience et une volonté politiques, à l’instar de l’Egypte à la fin du siècle dernier, sont une meilleure garantie de résultat, notamment à travers des enquêtes sérieuses menées par des spécialistes bien formés, ce dont ne disposent pas la Birmanie pour l’instant.

En outre, les vols ne sont pas les seuls risques encourus par le patrimoine national. Le site de Mrauk U, situé dans l’Arakan et dont la candidature au patrimoine mondial de l’Unesco a été soumise cette année, est plutôt menacé par les conflits opposant l’armée régulière – la Tatmadaw – à divers mouvements rebelles combattants, dont l’Armée de l’Arakan. Certaines pagodes du site se sont transformées en camps de réfugiés et les combats se sont à un moment déplacés sur le site antique… Pas le meilleur moyen de le conserver intact… Dans ce contexte, la surveillance du site est d’autant plus difficile à accomplir. En octobre 2018, une dizaine de statues de Bouddha ont été mises en pièces, sans qu’il y ait de vol. Toutefois, cela ne veut pas dire que le site de Mrauk U est épargné des pillages. Proche de la frontière avec le Bangladesh, il est aussi prisé des trafiquants d’antiquités, ces dernières pouvant facilement être sorties du pays dans la confusion qui règne.

Le trafic d’œuvres d’art est alimenté par la demande des riches

Bien qu’il soit accentué par les répercussions économiques de la crise de la Covid, le trafic d’antiquités est une problématique ancienne en Asie du Sud Est. Pour de nombreuses personnes, la vente de pièces et de reliques anciennes représente une entrée d’argent conséquente et assurée. En fonction de l’âge, des matériaux ou encore des dimensions, ces objets d’art se vendent entre un millier et plusieurs centaines de milliers d’euros. Et les acheteurs sont aussi coupables que les voleurs. Pour arrêter les trafics, il est vain de se concentrer uniquement sur les personnes qui, parfois par nécessité, commettent physiquement ces vols. Ces pirates agissent sur informations et n’ont pas la capacité d’écouler leurs larcins sur des marchés internationaux. Au final, eux prennent tous les risques et ne récoltent qu’une portion congrue. Et temps qu’il y aura une demande, il y aura quelqu’un prêt à prendre des risques.

Le problème doit être donc pris par les deux extrémités. C’est ce qui s’est passé en décembre dernier, quand le célèbre vendeur d’antiquités Douglas Latchford a été inculpé par le tribunal de New York pour contrebande d’antiquités cambodgiennes. L’accusation porte sur quatre objets d’art venant d’Inde et du Cambodge pour une valeur totale de prêt de 660 000 euros. Parmi les œuvres revendues, une statue de Shiva et Uma datant du Xe siècle, a été évaluée à plus de 300 000 euros. Les antiquités ont été renvoyées dans leurs pays d’origine. Une victoire pour la lutte contre le trafic d’antiquités, mais un pas de fourmi. D’autant plus, si on prend en compte les œuvres accaparées pendant la colonisation.

Par Julia Guinamard – lepetitjournal.com – 21 juin 2020

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