Petites et grandes histoires des drapeaux : Cambodge Les temps changent, Angkor Vat reste
Le Cambodge est le seul pays au monde à avoir un bâtiment réel sur son drapeau. Le temple d’Angkor Vat, placé là par les Français, est resté sur la bannière d’un régime à l’autre, aussi bien après le protectorat que sous les Khmers rouges. Ce joyau architectural est devenu la principale attraction touristique du pays.
Il existe autour du temple d’Angkor Vat une légende. Le roi khmer nommé Devunagshar, il y a plus de 1 800 ans, ne parvenait pas à concevoir d’héritier. Indra, le roi des dieux, décida alors de descendre sur terre pour donner un fils à la reine Vong. De cette union naquit Preah Kêt Meala. Élevé parmi les hommes, le prince fut invité à séjourner une semaine au royaume des cieux à l’adolescence. Il revint époustouflé, et avide de partager avec les humains une partie des magnificences aperçues. Indra lui accorda par conséquent une immense faveur : il lui envoya son architecte personnel, afin que soit construite dans notre monde la reproduction d’un palais divin. Preah Kêt Meala, conscient que les dieux sont versatiles, prennent ombrage d’un rien et sont prompts à retirer d’une main ce qu’ils ont donné de l’autre, fit un choix prudent. Il demanda une copie des écuries d’Indra. Ainsi sortit de terre, en une seule nuit, le formidable temple d’Angkor Vat.
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Sous le protectorat, les français place le temple au centre de la bannière
Il s’agit du plus grand monument religieux au monde, et du seul bâtiment réel à figurer sur un drapeau national : celui du Cambodge. Ce sont les Français qui, pendant le protectorat imposé au pays, placèrent ce formidable édifice sur la bannière, en 1863. Investis dans d’importants travaux de fouilles et de restauration, ils n’étaient pas les premiers Européens à s’époustoufler devant le site. En 1586, le moine portugais Antonio de Madalena déclare que le temple est tellement « extraordinaire qu’il n’est pas possible de le décrire sur papier ». Quelques siècles plus tard, le naturaliste Henri Mouhot s’extasie encore plus. « Qui nous dira le nom de ce Michel-Ange de l’Orient qui a conçu une pareille œuvre, en a coordonné toutes les parties avec l’art le plus admirable, en a surveillé l’exécution de la base au faîte, harmonisant l’infini et la variété des détails avec la grandeur de l’ensemble et qui, non content encore, a semblé partout chercher des difficultés pour avoir la gloire de les surmonter et de confondre l’entendement des générations à venir ! »
Ce joyau de l’empire khmer s’étendait sur l’ensemble de la péninsule indochinoise
Au-delà de la légende, Angkor Vat nécessita 37 années de travaux. Il fut érigé au XII e siècle sur ordre du roi Suryavarman II, qui tout comme Preah Kêt Meala avait pour privilège d’être un « roi qui s’est rendu dans le monde suprême de Vishnu », comme le signifie son nom. L’édification de ce temple ouvre la voie à la naissance d’une nouvelle capitale : la cité royale et fortifiée d’Angkor Thom. Le site d’Angkor, qui rassemble les deux, et bien plus encore, devient l’une des plus vastes agglomérations de l’ère préindustrielle, avec un centre urbain s’étalant sur 400 kilomètres carrés rassemblant plus de 750 000 habitants. Joyau de l’empire khmer, qui s’étend sur l’ensemble de la péninsule indochinoise, la cité décline peu à peu devant la concurrence des Birmans, des Thaïs et des Viets.
Le pays redevient indépendant en 1953, pendant la guerre d’Indochine
Les Khmers changent plusieurs fois de capitale au fil des siècles au gré des invasions et des reconquêtes. Le Siam et les armées de Hué étendent peu à peu leur influence sur le Cambodge, qui parvient à maintenir un État jusqu’à sa mise sous tutelle par la France, en 1863. Le pays redevient indépendant en 1953, pendant la guerre d’Indochine, et adopte son drapeau actuel, en conservant Angkor Vat au centre de la bannière. Mais en 1970, le chef d’État et ancien roi Norodom Sihanouk est déposé par le militaire Lon Nol, qui fonde la République khmère. Le temple d’Angkor passe alors en haut à gauche du drapeau. Les Khmers rouges se révoltent : sur le point de l’emporter, ils sont freinés par les États-Unis, qui en pleine guerre du Vietnam larguent 2,5 millions de tonnes de bombes sur le pays, faisant environ 700 000 victimes. Mais les Khmers rouges, soutenus par la Chine, prennent finalement Phnom Penh en 1975 : le drapeau du Kampuchéa démocratique est alors tout rouge, avec en son centre le temple d’Angkor, en jaune.
Déjà l’un des pays les plus bombardés de l’histoire, le Cambodge devient celui comptant le plus de fosses communes avec les massacres perpétrés par les Khmers rouges, qui font plus de 1,5 million de victimes. Il est ensuite l’un des plus minés au monde, lors de l’affrontement entre le Vietnam et la guérilla khmère, soutenue par les Britanniques. La situation s’est stabilisée depuis 1992, après l’intervention de l’ONU. Le Cambodge a repris son drapeau de 1953, et se développe grâce au tourisme : les temples d’Angkor attirent plus d’un million de visiteurs par an.
Par Aurélien Soucheyre – L’Humanité – 10 août 2020
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