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A Bangkok, la jeunesse défie le pouvoir thaïlandais

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Dans un acte rare de défiance à l’égard du pouvoir, des milliers de Thaïlandais se sont rassemblés jeudi dans le centre-ville de Bangkok.

Jeudi matin, le gouvernement thaïlandais avait décrété l’état d’urgence à Bangkok : les rassemblements de plus de cinq personnes y sont désormais interdits, les médias sommés de ne pas couvrir les manifestations. Devant une foule composée en majorité de jeunes et de très jeunes – beaucoup de lycéens en uniforme – les orateurs se sont succédé, debout sur des camions, sans même un micro qui fonctionnait, pour s’époumoner sur les thèmes récurrents de leur mouvement : départ du gouvernement, nouvelle constitution et, surtout, ce que personne n’avait osé faire avant eux, une réforme de l’institution monarchique.

Critiques de l’ingérence permanente du monarque

Pour la première fois dans ce pays où la monarchie avait jusqu’ici un statut semi-sacré, des citoyens critiquent à voix haute l’ingérence permanente du monarque dans les affaires politiques et sa gestion des finances royales. «Le roi mène la grande vie en Allemagne, pendant que l’économie ici s’écroule, les militaires n’écoutent rien, on ne peut plus accepter ça», articule, très déterminé, Tian, un lycéen de 16 ans qui affirme qu’il n’a pas peur de mourir sous les balles de la police puisque «de toute façon si on ne fait rien maintenant, nous n’avons aucun avenir dans ce pays, c’est comme mourir à petit feu».

Le quartier des affaires de Rajprasong où se tenaient les manifestations est symbolique : c’est là où les Chemises rouges, un précédent mouvement social en faveur d’une ouverture démocratique, s’étaient installées pendant des mois en 2010, avant d’être violemment réprimés par les militaires, qui avaient fini par tirer dans la foule, en faisant une centaine de morts. Mais cette fois, se résoudre à l’usage de la force semble difficile : «Les manifestants, ce sont nos enfants, comment peut-on tirer sur sa jeunesse ?» interroge un ancien activiste septuagénaire, qui dit que pour la première fois depuis des décennies, «ces jeunes me redonnent espoir dans mon pays». Les partis politiques d’opposition restent pour l’instant en retrait, ce qui contribue à les protéger : «Tant qu’ils restent à l’écart des partis, ces jeunes sont considérés comme innocents», explique Sunisa Nuttawa, une avocate venue témoigner son soutien au mouvement.

Trois doigts levés en signe de ralliement

L’état d’urgence est imposé au nom de la «sécurité nationale», notamment parce qu’au cours des grands rassemblements de mercredi, les manifestants ont fait obstruction à un cortège qui transportait la Reine. Au lieu de la déférence extrême qui est attendue des Thaïlandais lorsqu’un membre de la famille royale se rend sur la voie publique, les jeunes présents ont salué le passage du véhicule royal avec trois doigts levés, leur signe de ralliement tiré du film Hunger Games. Ces images ont tourné sur les réseaux et choqué le pays. «Personne ne pouvait imaginer une scène pareille il y a encore quelques années», estime l’historien Charnvit Kasetsiri.

Un vent de liberté de parole inédit souffle sur le pays. Différents groupes de la société civile profitent de la brèche ouverte par les étudiants pour se faire entendre. Des formations aussi diverses que des rappeurs, des paysans qui contestent les nouvelles lois sur la propriété de la terre ou encore des féministes, restées jusqu’ici très discrètes en Thaïlande, et qui ont, pour la première fois, osé réclamer le droit à l’avortement.

Par Carol Isoux – Libération – 16 octobre 2020

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