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Au Vietnam, Facebook et YouTube complices de la répression

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Un rapport d’Amnesty International rendu public ce mardi montre comment les géants d’internet se sont soumis à la volonté des autorités vietnamiennes de censurer et harceler sa population.

Des dizaines de témoignages et de preuves couplés aux informations fournies par Facebook, YouTube et Google, amènent à un même constat : depuis plusieurs mois au Vietnam, une censure croissante des contenus fait rage, orchestrée de concert par les géants d’Internet et le gouvernement.

C’est ce qui ressort du rapport rendu public ce mardi par Amnesty International. Le document de 78 pages, intitulé «Let us Breathe !: Censorship and criminalization of online expression in Viet Nam», révèle également que sur les 170 prisonniers d’opinion détenus au Vietnam, 69 sont incarcérés uniquement en raison de leurs activités sur les réseaux sociaux (40 %). Un nombre record, qui traduit une forte augmentation de la répression de Hanoi par rapport à la précédente évaluation d’Amnesty International, qui remonte à 2018. 

«Au cours de la dernière décennie, le droit à la liberté d’expression s’est épanoui sur Facebook et YouTube au Vietnam. Mais récemment, les autorités ont commencé à considérer l’expression pacifique d’opinions en ligne comme une très grave menace pour le régime, s’inquiète Ming Yu Hah, directrice régionale adjointe pour le travail de campagne d’Amnesty International. Ces plateformes sont à présent devenues le terrain de chasse des censeurs, des cyberunités militaires et des trolls cautionnés par l’Etat. Et ces plateformes elles-mêmes ne se contentent pas de laisser faire : elles sont de plus en plus complices de ces pratiques.»

Une hausse perceptible dès avril 2020

A en croire le rapport, ce tournant répressif s’est amorcé il y a quelques mois, en avril 2020. Du moins pour Facebook, YouTube ayant toujours été bien considéré par les censeurs vietnamiens. Facebook annonçait alors avoir accepté d’«accroître notablement» le respect des demandes du gouvernement vietnamien visant à censurer les publications «hostiles à l’Etat». Pour quelle raison ? Le réseau social se justifie en affirmant que les autorités vietnamiennes ralentissaient délibérément le trafic vers cette plateforme à titre d’avertissement à son égard.

La complaisance de ces mastodontes du numérique est sans doute motivée par l’importance que représente le marché vietnamien pour eux. En 2018, le chiffre d’affaires dégagé par Facebook au Vietnam a approché le milliard de dollars. C’est presque un tiers de ce qui est réalisé par l’entreprise en Asie du Sud-Est. Google, détenteur de YouTube, a de son côté engrangé 475 millions de dollars de recettes au Vietnam au cours de la même période. 

D’après le dernier rapport de transparence de Facebook, publié au mois d’octobre, la plateforme a restreint l’accès à 834 contenus signalés par les autorités locales entre janvier et juin 2020 (contre 198 sur l’année 2019). Selon une récente déclaration du ministre de l’Information, Nguyen Manh Hung en octobre dernier, le respect des consignes pour le retrait «des mauvaises informations, de la propagande contre le parti et contre l’Etat» serait plus élevé que jamais (entre 90 % et 95 % des demandes de censure respectées).

Au regard des nombreux témoignages de militants, défenseurs des droits humains, anciens prisonnières et prisonniers d’opinion, avocats, journalistes et écrivains, on comprend que le contenu est souvent censuré en tant qu’«usage abusif des libertés démocratiques», une infraction prévue par le code pénal du pays. Facebook procède alors au «géo-blocage» des contenus : toute personne qui utilise la plateforme au Vietnam ne peut plus les voir.

A titre d’exemple, Nguyen Van Trang, militant pour la démocratie qui demande à présent l’asile en Thaïlande, assure qu’en mai 2020, Facebook l’a averti que l’une de ses publications avait été modérée en raison de «restrictions juridiques locales». Depuis, tous ses contenus contenant les noms de hauts responsables du Parti communiste ont systématiquement été bloqués.

«Je ne fais plus confiance à Facebook, et je ne publie donc plus grand-chose, explique l’intéressé. Imaginez : vous mettez des années et des années à faire grandir votre compte Facebook, en publiant et en écrivant au sujet de votre passion pour la démocratie, et tout d’un coup, en un seul geste facile, Facebook efface tout le travail accompli depuis des années.»

Guerre psychologique et violences physiques

En 2020, 21 des 27 personnes emprisonnées en 2020 pour délit d’opinion ont été poursuivies en justice en raison de leurs activités pacifiques en ligne, détaille le rapport. Parmi les infractions prétendues : le fait d’avoir critiqué de façon pacifique sur Facebook les mesures prises par les autorités pour faire face à la pandémie de Covid 19, ou encore la diffusion en ligne d’informations indépendantes sur les droits humains.

L’enquête d’Amnesty International compile par ailleurs plusieurs dizaines de cas où des défenseurs des droits humains se sont vus harcelés, intimidés, voire menacés de mort. Ces campagnes répressives sont notamment menées par des nébuleuses soutenues par l’Etat vietnamien, telles que «Du Luan Vien» (les «faiseurs d’opinion»). Il s’agit de personnes recrutées par le ministère de la Propagande du Parti communiste vietnamien, qui les dirige et leur fait prendre part à une guerre psychologique en ligne.

Parfois, les représailles sont même physiques. Le document recense de multiples cas de blogueurs et d’utilisateurs des réseaux sociaux attaqués par la police ou des personnes en civil en raison de leurs billets. Ces derniers agissent avec l’assentiment des pouvoirs publics. Ils n’ont quasiment pas à rendre de comptes pour ces actes.

Par Romain Métairie – Libération – 1er décembre 2020

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