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Birmanie : « L’opposition à ce coup d’État est quasiment viscérale »

Alors que le conflit s’enlise en Birmanie, l’ONU a mis en garde, mercredi, contre « un risque de guerre civile sans précédent. » Deux mois après le coup d’État de la junte, cette dernière a rassemblé contre elle les acteurs de la vie politique birmane, analyse Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est.

Dans de nombreuses villes de Birmanie, les rues sont devenues des zones de guerre. Deux mois après le coup d’État de Min Aung Hlaing, les images des manifestations pacifistes de début février, lorsque des milliers de personnes tapaient conjointement sur des casseroles pour protester contre le coup d’État, ont désormais laissé place à des scènes d’une violence inouïe où les militaires tirent à balles réelles sur les manifestants. 

Jour après jour, le bilan ne cesse de s’alourdir. Plus de 500 personnes sont mortes en Birmanie dans la répression de la contestation. 

Jeudi 1er avril, l’association pour l’assistance aux prisonniers politiques (AAPP) a recensé 536 victimes depuis le coup d’État dont de nombreux étudiants, adolescents et jeunes enfants. Des centaines d’autres, détenues au secret, sont portées disparues. « Il y a un réel risque de bain de sang dans ce face-à-face entre le mouvement de désobéissance civile, déterminé, et les militaires », alerte Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l’Institut français des relations internationales (Ifri) , contactée par France 24. 

Les minorités ethniques rejoignent le mouvement

Le conflit entre la junte et ce mouvement de désobéissance civile a connu, samedi 27 mars, la journée la plus sanglante depuis le début du mouvement. Près de 140 personnes, dont une dizaine d’enfants, sont mortes lors de cette « journée des forces armées », tandis que les militaires défilaient en grande pompe dans la capitale Naypyidaw pour célébrer la rébellion victorieuse contre l’occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces violences contre les civils ont notamment déclenché la colère parmi la vingtaine de factions ethniques rebelles que compte la Birmanie.

Parmi elles, l’Armée d’Arakan dans le nord-est du pays, l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA) ou encore l’Union nationale Karen (KNU). La KNU s’était emparée samedi dernier d’une base militaire dans l’État Karen, dans le sud-est du pays, entraînant des frappes aériennes de l’armée, les premières en 20 ans dans cette région. Ces raids aériens ont fait plusieurs blessés et entraîné des déplacements de population vers la Thaïlande voisine.

L’armée avait conclu ces dernières années un cessez-le-feu avec plusieurs de ces groupes luttant contre le gouvernement mais, depuis le putsch, quelques-uns d’entre eux ont apporté leur soutien au soulèvement populaire et repris les armes, ou menacé de le faire. 

Face à cette recrudescence de la violence, l’émissaire de l’ONU pour la Birmanie, Christine Schraner Burgener, a mis en garde, mercredi, lors d’une réunion d’urgence à huis clos, contre « un risque de guerre civile à un niveau sans précédent », exhortant à « envisager tous les moyens à sa disposition pour (…) éviter une catastrophe multidimensionnelle au cœur de l’Asie ».

“Il faut rester prudent sur ‘le risque d’une guerre civile’ car c’est justement l’argument utilisé par l’armée pour justifier son rôle et sa reprise en main du pays », nuance cependant Sophie Boisseau du Rocher. 

« Un front uni contre les militaires »

« Il me semble qu’il y a aujourd’hui des discussions nourries entre gouvernements de minorités ethniques pour essayer de trouver une solution et de faire un front uni face aux militaires. Aujourd’hui, on a une vingtaine de groupes qui ont décidé de travailler ensemble. Et je crois que c’est justement pour éviter ces débordements ».

Le coup d’État a provoqué une mobilisation inédite dans le pays, les Birmans rejetant à l’unanimité la junte de Min Aung Hlaing. Des manifestations ont lieu quasi quotidiennement dans toutes les villes du pays et dans les cortèges, toutes les religions et tous les âges se mélangent. Et désormais, une majorité des groupes ethniques y prennent part. 

« L’opposition à ce coup d’État est quasiment viscérale », explique Sophie Boisseau du Rocher. « Les Birmans avaient déjà beaucoup souffert des cinquante ans de régime militaire où le pays était isolé et appauvri. Les dix dernières années apparaissaient comme une fenêtre et même si tout, loin de là, n’a pas été réglé, l’avenir semblait partir dans la bonne direction. Avec le coup d’État, il s’assombrit de nouveau. »

« L’armée a désormais compris qu’il y a une vraie résistance au coup d’État », poursuit la chercheuse, qui rappelle que l’objectif premier des militaires « est de contrôler le processus fédéral en cours dans le pays ». 

À son arrivée au pouvoir en 2016, Aung San Suu Kyi s’était engagée à entraîner le pays, en proie à des conflits ethniques depuis son indépendance en 1948 « sur la voie de la réconciliation nationale ». Afin d’apaiser les tensions entre l’armée et les groupes ethniques, elle prévoyait notamment d’offrir aux ethnies un accès assez privilégié à leurs ressources. Des matières premières que l’armée exploite.

« Il semblerait que l’armée soit actuellement en train de revenir sur ces discussions et de réfléchir à une nouvelle constitution, avec de nouvelles bases pour les relations entre les ethnies, leurs ressources et le gouvernement central », conclut-elle.

Malgré ce qui semble être une tentative d’apaisement, l’armée semblait préparer de nouvelles opérations massives dans les villes et sur les fronts ethniques jeudi, notamment dans l’état Karen. Dans la soirée, la junte avait par ailleurs ordonné aux fournisseurs d’accès de suspendre les connexions internet sans fil « jusqu’à nouvel ordre ».

Par Cyrielle Cabot – France 24 Tv – 1er avril 2021

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