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Le Dr Sasa, visage de la contestation birmane

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Ce médecin issu d’une minorité chrétienne discriminée est désormais perçu comme un des principaux espoirs du mouvement de révolte. Il rêve de voir émerger un Etat fédéral où les droits de chacun seraient respectés.

Dr Sasa apparaît à l’écran, costume sombre et cravate rouge vif. «Pas une minute ne passe sans que l’armée commette un crime contre l’humanité, dit-il, d’un ton posé. Les soldats tuent des civils non armés, des enfants même, de sang-froid.» Le 22 février, trois semaines après que la junte birmane eut renversé la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti au pouvoir, et arrêté ses principaux dirigeants, Dr Sasa a été nommé représentant aux Nations unies du CRPH, le gouvernement en exil, devenant le visage du camp démocrate à l’étranger.

Le jour du coup d’Etat, il se trouvait dans la capitale, Naypyidaw, prêt à endosser un poste de ministre. «Il s’est échappé, déguisé en chauffeur de taxi, et a conduit durant 64 heures, jusqu’à passer la frontière», relate Chris Jones, un ami de longue date qui dirige l’antenne britannique de son ONG Health & Hope. Il vit désormais caché dans un pays voisin.

Quarante kilos sur le dos

Cette fuite rocambolesque est à l’image de ce personnage hors du commun. Né aux alentours de 1980 (il ne connaît pas sa date de naissance exacte) à Lailenpi, un hameau démuni au milieu des collines de l’Etat de Chin, frontalier de l’Inde, il appartient à la minorité chrétienne mara. L’armée, au pouvoir jusqu’en 2011, menait de fréquentes incursions dans son village. «J’ai vu l’une de mes tantes se faire violer par des soldats et, dès l’âge de 10 ans, j’ai dû leur servir de porteur, clopinant à travers la jungle avec une charge de 40 kg sur le dos», raconte-t-il.

Je ne cesserai pas de me battre tant que nous n’aurons pas bâti un Etat dans lequel chaque Birman a sa place, sans racisme, ni discrimination – Dr Sasa

Les membres de cette ethnie persécutée manquaient aussi cruellement de soins. La clinique la plus proche était à trois jours de moto. Dr Sasa dit avoir vu trois de ses amis périr de la diarrhée en l’espace de 24 heures et la meilleure amie de sa mère mourir en couches dans d’atroces souffrances après cinq jours de travail, car elle n’avait pas pu obtenir de césarienne.

«Ces tragédies ont forgé ma conviction que je devais devenir médecin», livre-t-il. A l’âge de 13 ans, il marche durant 13 jours pour gagner Yangon, la plus grande ville du pays, et y effectuer des études secondaires. Les habitants de son village vendent alors leurs poulets, vaches et cochons pour financer la suite de son éducation, en Inde. Il fréquente un collège dans l’Etat du Meghalaya tout en travaillant sur des chantiers, puis décroche une bourse britannique pour étudier la médecine en Arménie. «Il a choisi ce pays, car les universités y étaient peu chères», relate Chris Jones. A Erevan, il rencontre la baronne Caroline Cox, membre de la Chambre britannique des lords, qui l’emmène à Londres où il décroche un stage de médecin.

Mais en 2007, il apprend que sa région natale souffre d’une grave famine. Tous les 40 ou 50 ans, les bambous fleurissent et, juste avant de mourir, produisent un fruit prisé des rats, ce qui leur permet de se multiplier et de dévorer les cultures des villageois. Dr Sasa rentre au pays et ouvre une clinique de fortune à la frontière entre la Birmanie et l’Inde, y traitant 3500 personnes souffrant de malnutrition par mois.

A court de bras, il crée en 2009 l’ONG Health & Hope et demande à chaque village de lui envoyer deux résidents, auxquels il apprend les rudiments de la médecine. «Nous avons formé un millier d’assistants de santé communautaire, capables de desservir 150 000 personnes», détaille Chris Jones. Devenu une figure locale, Dr Sasa attire l’attention des pontes de la NLD. «A la fin de 2019, il a reçu des sollicitations pour s’engager en politique, qu’il a d’abord refusées», se souvient Benedict Rogers, un écrivain et spécialiste des droits de l’homme qui le connaît bien. Il finit par accepter de mener la campagne du parti dans l’Etat de Chin, lui permettant d’y engranger 93% des voix lors des élections de novembre 2020.

De la maison où il se cache, Dr Sasa passe désormais ses journées à rallier des soutiens à l’international. «Je viens de terminer une conférence avec des parlementaires sud-africains et norvégiens et je prépare un document à l’intention du Conseil de sécurité de l’ONU», glisse-t-il, les traits tirés. Le 4 mars, il a écrit une lettre aux Nations unies dans laquelle il appelle à des sanctions contre les militaires et à une intervention des Casques bleus sous l’égide de la doctrine de la responsabilité de protéger. «La communauté internationale n’en fait pas assez, enrage-t-il. L’ONU, l’Asean et les grands pays voisins comme l’Inde ont les moyens de faire cesser ce massacre.» Le 16 mars, l’armée l’a inculpé pour trahison, une charge qui mène à la peine de mort.

Pour un pays inclusif

Il cherche aussi à fédérer les divers mouvements ethniques composant son pays, multipliant les rencontres sur Zoom avec les dirigeants chins, karens, shans et rohingyas. Lorsqu’un incendie s’est déclaré dans un camp abritant des milliers de réfugiés rohingyas au Bangladesh, il s’est fendu d’un tweet pour exprimer ses condoléances et dénoncer les pogroms menés par l’armée en 2017, un geste rare en Birmanie où cette communauté musulmane est traitée comme une paria, tant par l’armée que par la NLD.

«Il est animé par une profonde conviction que la Birmanie doit devenir un pays inclusif où chaque ethnie et religion bénéficie des mêmes droits», juge Benedict Rogers. Conscient qu’il aura besoin des milices ethniques pour remporter son bras de fer contre l’armée, le CRPH s’est rallié à cette posture. Il s’apprête à annoncer la formation d’un gouvernement d’unité nationale et a promis d’introduire un système fédéraliste.

«Je ne cesserai pas de me battre tant que nous n’aurons pas bâti un Etat dans lequel chaque Birman a sa place, sans racisme, ni discrimination, livre le médecin devenu politicien. Sans cela, la Birmanie n’a pas d’avenir.»


Profil

Env. 1980 Naissance au milieu des collines boisées de l’Etat de Chin.

1996 Départ en Inde, pour y suivre des études universitaires, poursuivies en Arménie.

2007 Retour au pays durant une famine.

2009 Fondation de l’ONG Health & Hope.

2020 Participation aux élections, en tant que chef de campagne du NLD dans l’Etat de Chin.

Par Julie Zaugg – Le Temps – 19 avril 2021

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