Les libérations massives en Birmanie, un geste en trompe-l’œil
Le régime putschiste de Min Aung Hlaing a annoncé la libération de plus de 5 600 prisonniers tout en continuant la répression tous azimuts à l’encontre de la population, qui lui vaut une exclusion du prochain sommet de l’Asean.
Une grande annonce après une claque diplomatique, à la veille d’une importante fête bouddhiste. Le Conseil d’administration de l’Etat (SAC) dirigé par le général putschiste Min Aung Hlaing a déclaré ce lundi qu’il allait libérer 5 636 prisonniers des geôles du régime. Tous arrêtés après avoir manifesté contre le coup d’Etat du 1er février qui a mis un coup d’arrêt à la transition démocratique en Birmanie. 1 316 d’entre eux retrouvent la liberté à condition qu’ils ne commettent pas de nouvelles infractions. Les 4 320 autres sont graciés et les poursuites à leur encontre, abandonnées.
Au moins 24 artistes et 10 célébrités sont directement concernés par cette amnistie d’après le site The Irrawaddy. Mais les personnes accusées, selon le SAC, d’attentats à la bombe ou de destruction de biens publics ont été exclues de l’amnistie annoncée avant le très suivi festival des lumières, Thadingyut, qui marque la fin du carême bouddhiste.
«Pas relâcher la répression»
«L’armée utilise ces annonces comme une forme de distraction pour les gouvernements étrangers. La junte continuera à refuser d’être transparente sur les personnes libérées et celles qui restent détenues, a commenté l’AAPP, l’ONG qui documente les incarcérations et les exécutions depuis le 1er février et s’efforce d’obtenir la libération des prisonniers politiques. L’intention (du SAC, ndlr) n’est pas de relâcher la répression. Les manifestants libérés exerçaient leur droit fondamental à la liberté de réunion contre une tentative de coup d’État illégitime. Aucun n’a bénéficié d’un procès équitable. Tous ont été détenus arbitrairement, physiquement et psychologiquement torturés durant leur interrogation.»
L’AAPP rappelle que 131 sont morts ainsi. Dans son dernier communiqué, elle précise que depuis le coup d’Etat, 1 178 personnes ont été tuées. Il ne s’agit que de cas documentés, car de nombreux autres décès n’ont tout simplement pas été comptabilisés. Dans plusieurs zones rurales et frontalières, des affrontements nourris et violents ont lieu entre l’armée birmane et des groupes d’autodéfense ou des armées ethniques. Le SAC libère quand, dans le même temps les forces de sécurité birmanes tuent, torturent et détruisent.
Cette libération de masse, dont la Birmanie est coutumière (déjà en juin et août cette année) intervient deux jours après l’éviction de Min Aung Hlaing du sommet de l’Asean (Association des nations d’Asie du Sud-Est) qui se tiendra à Brunei du 26 au 28 octobre. Samedi, après des mois de paralysie et d’atermoiements synonymes de faiblesses et de divisions meurtrières, l’Asean a décidé d’exclure le chef du SAC au vu des «progrès insuffisants» dans la mise en œuvre d’un plan en 5 points adopté en avril par l’Association.
Farce judiciaire
Ce texte, qui ambitionnait notamment d’une «cessation immédiate de la violence en Birmanie», l’acheminement d’une aide humanitaire et la nomination d’un émissaire spécial pour «faciliter la médiation» entre toutes les parties, n’a jamais été mis en route.
Le SAC a rejeté les demandes d’envoi d’un représentant spécial pour dialoguer «avec toutes les parties prenantes», à commencer par l’ex-dirigeante Aung San Suu Kyi. Renversée par l’armée en février, aujourd’hui détenue et poursuivie pour des accusations de corruption, d’enfreintes à des lois et des procédures gouvernementales qui relèvent de la farce judiciaire, l’ex-conseillère d’Etat âgée de 76 ans encourt jusqu’à 26 années de prison.
Le SAC avait déjà tout fait pour retarder la visite d’Erywan Yusof, le vice-ministre des Affaires étrangères du Brunei (pays qui assure en ce moment la présidence de l’Asean), désigné émissaire de l’organisation pour la Birmanie après des mois de négociations. Au risque de décrédibiliser un peu plus une organisation fragilisée par le chaos birman.
Depuis le 1er février, le pays a sombré dans une guerre civile redoutable qui a jeté dans la pauvreté et sur les routes de l’exil des dizaines de milliers de personnes, déjà frappées par l’épidémie de Covid. Dans certaines zones du pays, comme l’Etat Chin, il s’agit même d’une guerre ouverte. Là, tout se joue dans un huis clos. Loin des radars et des annonces de clémence.
Par Arnaud Vaulerin – Libération – 18 octobre 2021
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