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Une révolution profonde est en marche en Birmanie

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Thinzar Shunlei Yi, célèbre militante birmane qui défend les droits de l’homme et la démocratie en Birmanie depuis dix ans, est sur la liste noire de la junte militaire.

Elle vient de publier son histoire poignante de résistante à la junte, recueillie par le journaliste Guillaume Pajot (1). Contactée par La Croix sur une messagerie cryptée, elle raconte son quotidien dans la clandestinité, dix mois après le coup d’État militaire du 1er février.

« Je n’ai pas peur mais je vis dans une inquiétude constante », raconte dans un anglais parfait Thinzar Shunlei Yi, célèbre militante d’à peine 30 ans qui vit depuis huit mois dans la clandestinité. La ligne téléphonique de la messagerie cryptée n’est pas très bonne mais le miracle d’Internet opère, tant bien que mal. Elle veut parler. « Mon devoir est de témoigner, encore et toujours, en Birmanie et à l’étranger, afin qu’on ne soit pas oubliés. »

Shunlei rêve d’une Birmanie harmonieuse et unie

En première ligne depuis dix ans pour consolider le processus démocratique birman, Shunlei est une battante, une militante, une boule d’énergie qui rêve d’une Birmanie harmonieuse et libre. Dans le collimateur des militaires depuis des mois, Shunlei ne désarme pas et poursuit son combat. Personne ne sait où elle vit. Quelques semaines après le coup d’État du 1er février dernier, elle a dû fuir Rangoun où l’étau se resserrait sur elle.

« Mais il n’y a pas vraiment d’endroit sécurisé, pour moi comme pour d’autres, précise-t-elle. Les contrôles policiers et militaires sont permanents, il faut sans cesse se déplacer pour organiser la résistance parmi la jeunesse de tout le pays, dans les grandes villes comme les plus petites. Chaque jour est une nouvelle bataille contre l’oppression. »

« Un lavage de cerveau xénophobe » imposé par l’armée

Le destin de Shunlei est des plus singuliers. Issue de l’ethnie bamar, majoritaire, fille d’un militaire en poste dans plusieurs régions ethniques très tendues, Shunlei a vécu son enfance « dans une bulle confortable mais hors du monde réel » où l’on stigmatisait sans cesse les minorités ethniques, jugées dangereuses pour l’unité et la paix de la Birmanie. « Un lavage de cerveau xénophobe dont j’ai réussi progressivement à me libérer », raconte-t-elle dans son puissant témoignage recueilli à distance par téléphone et magnifiquement écrit par le journaliste français Guillaume Pajot, spécialiste de la Birmanie.

« Comme des millions de Birmans d’ethnie bamar, j’ai été victime de cette propagande qui justifiait l’existence de l’armée et aussi de tous ses coups d’État depuis 1962 », avoue-t-elle aujourd’hui. Le processus démocratique lancé depuis 2010 l’a galvanisée. À ses yeux s’ouvrait l’opportunité de construire l’unité de la Birmanie avec ses 56 minorités.

« Le coup d’État du 1er février fut un choc », explique-t-elle, sentant le danger, étant déjà très engagée politiquement. Elle va néanmoins poursuivre ses actions, d’abord sur les réseaux sociaux où elle a des dizaines de milliers d’adhérents, mais aussi dans les rues avec les manifestants, puis dans la clandestinité.

Shunlei vit dans la clandestinité depuis avril dernier

Commence alors pour elle une vie souterraine, aussi exaltante qu’angoissante. Elle doit fuir à la campagne puis dans les régions ethniques plus éloignées. « Mais il n’a jamais été question pour moi de m’exiler, assume-t-elle, je dois agir ici et me dédier entièrement à la cause auprès des jeunes en Birmanie, entretenir la mobilisation. »

Shunlei a une aura incontestée qui rassure et encourage l’opposition intérieure. « L’armée s’efforce de nous écraser par tous les moyens, constate-t-elle aujourd’hui, mais la résistance s’est étendue à tout le pays et ne plie pas. » En dépit des moyens démesurés déployés par l’armée qui a déjà tué plus d’un millier de personnes depuis le coup d’État.

La Birmanie vit dans un chaos général et les Birmans souffrent de pénuries alimentaires, de l’épidémie de Covid-19, d’hôpitaux fermés… Mais rien ne semble désespérer Shunlei. « Cette révolution n’a rien à voir avec les précédentes de 2008 ou de 2017, assure-t-elle. Car cette fois, il s’agit bien d’une révolte intergénérationnelle et interethnique très profonde. Le combat ne vise pas seulement l’armée. Elle vise à créer une nouvelle nation intégrant toutes les minorités, même les Rohingyas et une nouvelle Constitution vraiment démocratique. »

Le défi est monstrueux, Shunlei le sait, mais comme elle le dit : « Même si je me fais tabasser, enfermer ou tuer, la révolte continuera car notre colère n’a pas de fin. Autant essayer d’éteindre un volcan. »

(1) « Mon combat contre la junte birmane », Thinzar Shunlei Yi avec Guillaume Pajot Éditions Robert Laffont, 185 p., 18 €, sortie le 18 novembre.

Par Dorian Malovic – La Croix – 19 novembre 2021

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