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Cambodge : Un tribunal français inculpe deux acolytes de Hun Sen

Des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de deux généraux impliqués dans l’attaque de 1997 contre l’opposition qui a fait 16 morts et 150 blessés

Un tribunal français a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de deux généraux cambodgiens pour l’attentat à la grenade perpétré contre un rassemblement politique de l’opposition à Phnom Penh le 30 mars 1997, qui a fait 16 morts et plus de 150 blessés, a déclaré Rights Watch aujourd’hui. L’ordonnance du tribunal indique qu’une convocation a été adressée au Premier ministre Hun Sen pour son rôle dans l’attaque, mais que le gouvernement français a bloqué sa délivrance, invoquant l’immunité du chef de l’État.

L’ordonnance a été rendue le 30 décembre 2021 par la juge Sabine Khéris, qui était alors Vice-présidente chargée de l’instruction au sein du Tribunal judiciaire de Paris. Elle déclarait que des mandats d’arrêt avaient été émis le 19 mars 2020 à l’encontre du général Huy Piseth, qui était le chef de l’unité des gardes du corps du Premier ministre Hun Sen à l’époque de l’attentat, et du général Hing Bun Heang, alors chef adjoint de l’unité, pour leur rôle dans la planification et l’orchestration de l’attaque.

« Le gouvernement cambodgien n’a jamais pris de mesures contre les responsables de l’attaque à la grenade de 1997 contre le chef de l’opposition Sam Rainsy et ses partisans, car il existe des preuves substantielles que le Premier ministre Hun Sen et ses généraux étaient à l’origine de cette atrocité de masse », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Le gouvernement français devrait demander l’émission d’un mandat d’arrêt européen et d’une notice rouge d’Interpol, afin d’arrêter le général Huy Piseth et le général Hing Bun Heang en vue de leur traduction en justice à Paris. »

L’ordonnance a été rendue à la suite d’une plainte déposée à Paris par Sam Rainsy, le leader de l’opposition et cible de l’attaque, qui a été blessé par un éclat de grenade. Son garde du corps est décédé après avoir pris de plein fouet l’une des grenades alors qu’il protégeait Rainsy.

L’ordonnance de la juge indique :

Il ressort de l’information judiciaire que Messieurs Piseth HUY et Bun Heang HING, chef et chef adjoint de l’unité spéciale des gardes du Premier ministre, ont organisé et fait exécuter l’attaque à la grenade survenue le 30 mars 1997, à Phnom Penh (CAMBODGE), et ayant pour cible Monsieur SAM Rainsy. Piseth HUY a déployé ses hommes, lourdement armés et en tenue de combat. Instruction a été donnée aux hommes de se positionner linéairement à une distance raisonnable derrière les manifestants, de façon à faciliter le repli des lanceurs de grenade vers I ‘enceinte militaire du PPC et d’empêcher quiconque de les poursuivre.

Bun Heang HING a recruté des hommes pour effectuer l’attaque…. La formation des gardes du corps de Sen HUN, 2e bataillon, l7e régiment, est commandée uniquement par Sen HUN, le Premier ministre lui-même ou par Piseth HUY. Piseth HUY a indiqué au FBI avoir reçu l’ordre de déploiement par le cabinet du Premier ministre. Il a d’ailleurs exprimé plusieurs déclarations en ce sens.

Au lieu de garantir une enquête indépendante et approfondie sur l’attaque, Hun Sen a immédiatement appelé à l’arrestation de Rainsy ainsi que d’autres organisateurs de la manifestation, et les a empêchés de quitter le pays, a déclaré Human Rights Watch. Le tribunal a relevé « le manque de coopération des autorités cambodgiennes tout au long de cette information judiciaire. Et ce alors même que ces dernières ont coopéré avec la justice française lors d’une enquête sur une affaire de meurtre impliquant une famille française au Cambodge. »

L’ordonnance précise que, le 10 février 2017, la juge Sabine Khéris a délivré une citation à comparaître à Hun Sen. Mais le 8 août 2017, « le ministère [français] de l’Europe et des Affaires étrangères lui faisait savoir que Sen HUN bénéficiait, en sa qualité de chef du gouvernement du Royaume du Cambodge, jouissait d’une immunité de juridiction et d’une inviolabilité absolues, immunités s’opposant à ce qu’il soit jugé en France et à ce qu’une mesure de contrainte, telle qu’une citation à comparaître pour éventuelle mise en examen, ne soit prise par une autorité française. »

« Sans immunité, Hun Sen pourrait également être inculpé en France pour son rôle dans cette horrible attaque contre des manifestants pacifiques », a déclaré Brad Adams.

Le 30 mars 1997, environ 200 partisans du parti d’opposition Khmer Nation Party (KNP), dirigé par Rainsy, ancien ministre des Finances, se sont réunis un dimanche matin dans un parc en face de l’Assemblée nationale à Phnom Penh, pour dénoncer le manque d’indépendance du système judiciaire et la corruption judiciaire. Lors d’une attaque bien coordonnée, des assaillants non identifiés ont lancé quatre grenades dans la foule dans une tentative évidente de tuer Rainsy, tuant des manifestants et des passants, notamment des enfants, et mutilant des vendeurs de rue à proximité.

L’unité personnelle des gardes du corps du Premier ministre Hun Sen, en tenue anti-émeute intégrale, était présente pour la première fois à une manifestation. Bon nombre de témoins ont rapporté que les personnes qui avaient lancé les grenades se sont ensuite précipitées vers les gardes du corps de Hun Sen, qui ont été déployés en ligne à l’extrémité ouest du parc devant un complexe résidentiel fermé et gardé, contenant les maisons de nombreux hauts dirigeants du parti au pouvoir, le Parti populaire du Cambodge (PPC). Des témoins ont déclaré aux enquêteurs des Nations Unies et du FBI que les gardes du corps avaient permis aux assaillants de s’échapper dans l’enceinte du complexe. Les gardes du corps ont alors arrêté sous la menace d’une arme à feu des membres de la foule qui les poursuivaient, menaçant de leur tirer dessus.

La police, qui avait auparavant maintenu une présence très médiatisée lors des manifestations de l’opposition, était inhabituellement discrète le 30 mars. Un important contingent était au coin de la rue, au lieu d’être à l’intérieur du parc. D’autres unités de police se trouvaient dans un poste de police voisin en tenue anti-émeute en état d’alerte maximale, suggérant qu’elles savaient qu’il y aurait de la violence.

C’était la première fois que l’opposition recevait l’autorisation officielle du ministère de l’Intérieur et de la municipalité de Phnom Penh pour un rassemblement, après des refus répétés. Le changement de position du gouvernement a alimenté les spéculations selon lesquelles la manifestation avait été autorisée afin qu’elle puisse être attaquée, a déclaré Human Rights Watch.

Dans une interview accordée au Phnom Penh Post en juin 1997, Hing Bun Heang a menacé de tuer les journalistes qui alléguaient que les gardes du corps de Hun Sen étaient impliqués.

L’unité des gardes du corps de Hun Sen reste notoire au Cambodge pour la violence, la corruption et son impunité en tant qu’armée privée de facto du Premier ministre. Depuis l’attaque, Hun Sen a promu Hing Bun Heang à plusieurs reprises. Il est maintenant lieutenant général et commandant en chef adjoint des Forces armées royales cambodgiennes. Huy Piseth, qui a avoué au FBI avoir ordonné aux forces de la Brigade 70 de se rendre sur les lieux ce jour-là, est devenu sous-secrétaire d’État au ministère de la Défense.

« Distribuer des promotions à des personnes impliquées dans le massacre de manifestants pacifiques montre un mépris cruel pour les victimes », a déclaré Brad Adams. « Le message envoyé est que les auteurs de violations des droits humains, aussi graves soient-elles, seront non seulement libres, mais seront récompensés. »

Le FBI a enquêté sur l’attaque en vertu d’une loi des États-Unis prévoyant la compétence du FBI chaque fois qu’un citoyen américain est blessé par le terrorisme. Ron Abney, un citoyen américain, a été grièvement blessé lors de l’attaque. L’enquêteur principal du FBI, Thomas Nicoletti, a interrogé des soldats et des officiers cambodgiens en remontant la chaîne de commandement et a conclu que seul Hun Sen aurait pu ordonner à l’unité des gardes du corps d’être dans le parc. Nicoletti a déclaré que s’il avait eu plus de temps, il aurait pu selon lui rassembler suffisamment de preuves pour présenter un dossier aux procureurs afin d’intenter des poursuites. Cependant, en mai 1997, l’ambassadeur des États-Unis, Kenneth Quinn, lui a ordonné de quitter le pays.

Un article du Washington Post de juin 1997 indiquait :

Dans un rapport classifié qui pourrait poser des problèmes gênants aux décideurs des États-Unis, le FBI a provisoirement attribué la responsabilité des explosions et de l’ingérence qui en a résulté aux gardes du corps personnels employés par Hun Sen, l’un des deux Premiers ministres du Cambodge, selon quatre sources du gouvernement des États-Unis familiarisées avec son contenu… les agents impliqués se seraient plaints que des informateurs supplémentaires ici ont trop peur pour se manifester.

Le département d’État des États-Unis a officiellement classé l’attentat comme une attaque terroriste. Le 9 janvier 2000, George Tenet, alors directeur de la CIA, a déclaré que les États-Unis n’oublieraient jamais un acte de terrorisme contre leurs citoyens et traduiraient les responsables en justice « peu importe le temps que cela prendra ».  Les preuves du FBI sur le rôle de Hun Sen dans l’attaque restent dans ses dossiers, mais le FBI a refusé de coopérer pleinement avec les enquêtes du Congrès.

« Le FBI était sur le point de résoudre l’affaire lorsque son enquêteur principal a soudainement reçu l’ordre de quitter le pays », a déclaré Brad Adams. « Le FBI devrait maintenant finir ce qu’il a commencé. »

L’attaque de 1997 a eu lieu à un moment de tension politique extrême dans le pays. Le gouvernement de coalition entre le FUNCINPEC royaliste et le PPC de Hun Sen était en train de s’effondrer. Le KNP de Rainsy était considéré comme une menace lors des élections nationales prévues pour l’année suivante. Pendant plus d’un an, des responsables et des agents du PPC l’avaient menacé et attaqué, lui et les membres de son parti. Un coup d’État sanglant des forces de Hun Sen a suivi en juillet 1997, tuant plus de 100 personnes et contraignant des politiciens et des activistes à s’exiler, craignant pour leur vie. Malgré une documentation méticuleuse par les Nations Unies sur une campagne d’exécutions extrajudiciaires, personne n’a jamais été tenu responsable des abus liés au coup d’État.

« L’attaque éhontée de 1997 commise en plein jour a enraciné l’impunité au Cambodge plus que tout autre acte dans l’histoire post-Khmers rouges du pays », a conclu Brad Adams. « En quelques mois, Hun Sen a organisé un coup d’État qui a cimenté son emprise de longue date sur le pouvoir, menant à la dictature qui existe au Cambodge aujourd’hui. »

Human Rights Watch – 29 mars 2022

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