Birmanie : Innwa, la banque proche de la junte qui échappe aux sanctions
Depuis qu’elle a pris le pouvoir par la force en février 2021, la junte birmane contourne les sanctions économiques. Des fuites de documents volés à une banque du pays montrent que celle-ci, bien qu’appartenant à des acteurs proches du pouvoir, continue ses opérations internationales comme si de rien n’était.
« Les fichiers fuités de la banque Innwa montrent clairement comment elle est utilisée comme outil par les militaires birmans pour leur business et pour soutenir directement les unités militaires impliquées dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. » Pour Yadanar Maung, porte-parole de l’ONG Justice For Myanmar, il n’y a aucun doute : cette institution illustre la facilité avec laquelle la junte birmane contourne les sanctions occidentales.
Le 1er novembre, 20 000 fichiers de la banque Innwa, volés par un hackeur, sont publiés en ligne. Il s’agit de répertoires numériques qui permettent d’avoir un aperçu des transactions réalisées par cette institution avec des acteurs du monde financier international : des banques, des fonds d’investissement et des assureurs de plusieurs pays, principalement asiatiques.
Ce qui interpelle la société civile birmane, c’est qu’Innwa est une propriété de la Myanmar Economic Corporation (MEC), un conglomérat contrôlé par des hommes de la Tatmadaw, l’armée nationale, qui est soumis à des sanctions de l’Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis, et du Canada. Des pressions qui semblent ne pas avoir endigué le flux de ces activités financières.
Des sanctions inefficaces
La MEC est une véritable hydre économique qui coordonne des investissements dans de nombreux secteurs d’activité : finance, commerce de boissons alcoolisées, extraction de gemmes, production de ciment, transport maritime ou encore télécommunications. Le Conseil européen estime, dans son règlement n° 401/2013 du 19 avril 2021, que « MEC et ses filiales génèrent des recettes en faveur de la Tatmadaw, contribuant ainsi à sa capacité à mener des activités portant atteinte à la démocratie et à l’état de droit et à commettre de graves violations des droits de l’homme au Myanmar ». La société est dirigée par des officiers, retraités ou encore en activité, qui sont tous directement liés au pouvoir en place.
La banque Innwa, créée en 1997 pour servir de banque de dépôt, permet notamment de payer les salaires des militaires birmans. Bien que filiale clairement identifiée de la MEC, elle n’est pas formellement inscrite sur la liste de 84 individus et 11 entités officiellement sanctionnées par l’Union européenne. Interrogé sur cet oubli, le Conseil européen refuse de commenter le sujet des sanctions, « ce travail étant confidentiel ».
D’autres pays, pourtant pas éloignés, ont bel et bien remarqué ce lien direct entre Innwa et MEC. Le Bureau d’implémentation des sanctions financières (OFSI), qui dépend du Trésor britannique, a bel et bien intégré cette banque dans la liste des succursales avec lesquelles il est interdit de commercer. En France, le ministère de l’Économie et des Finances estime à travers son porte-parole que, même sans cette précision, il n’y a pas de doute : « Le cadre des sanctions prévoit que toute entité détenue et/ou contrôlée par une personne sanctionnée voit également ses avoirs gelés. Il est de l’obligation des opérateurs soumis à la réglementation européenne et amenés à connaître des transactions pour cette entité de geler ses avoirs. »
Plus de failles que de sanctions
Sauf que certains opérateurs européens, et pas des moindres, ne partagent pas cette lecture du Trésor français. L’entreprise SWIFT, qui fournit un service de messagerie sécurisée utilisé par les établissements bancaires du monde entier, est presque incontournable pour faire affaires. Les fichiers volés à la banque Innwa montrent que cette dernière continue d’utiliser ce service, sous le code AVABMMMY.
« SWIFT est une coopérative globale et neutre, commente un porte-parole. Toute décision d’imposer des sanctions sur des pays ou des individus reste la compétence exclusive des gouvernements. Relevant du droit belge, nous sommes dans l’obligation de nous soumettre aux législations de l’UE et de la Belgique. » Mais pas plus et, surtout, sans faire de zèle.
Or, dans les faits, les États membres sont mitigés sur les façons d’appliquer les sanctions adoptées par le Conseil européen. « Il y a des débats, des interprétations, observe Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales de l’Economist Intelligence Unit. Ce n’est pas normal, mais c’est courant : il y a un manque d’uniformisation des sanctions parmi les pays européens. Et si la France fait partie des pays qui sont sur une ligne plutôt dure, ce n’est pas le cas de tout le monde. »
Pour une entreprise issue d’un pays plutôt sévère, comme la France, il suffit en réalité de passer par une filiale dans un pays plus laxiste pour poursuivre ses activités avec les militaires au pouvoir à Naypyidaw. Ces désaccords ne sont pas sans conséquences pour les Birmans qui y voient un moyen pour la junte qui les persécute de préserver sa santé économique. « L’appartenance au réseau SWIFT facilite le business des militaires et le vol de biens publics au profit de la junte, qui est une organisation terroriste », juge Yadanar Maung, de Justice For Myanmar.
Par Romain Mielcarek – Radio France Internationale – 19 novembre 2022
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