La répression alimentée par un réseau d’armement bien huilé
La junte qui a pris le pouvoir il y a deux ans en Birmanie (Myanmar) dispose d’usines de production d’armement lui permettant de poursuivre la violente répression de la population malgré les embargos imposés par de nombreux gouvernements pour limiter sa force de frappe.
Un groupe d’experts s’alarme de la situation dans un rapport paru lundi qui reproche à des dizaines de firmes étrangères en Asie, en Europe et en Amérique du Nord d’avoir fourni des produits facilitant le fonctionnement des usines en question, se rendant potentiellement complices de graves exactions.
« Les entreprises étrangères qui tirent profit des souffrances de la population birmane doivent être tenues responsables », a souligné dans un communiqué l’un des auteurs du rapport, Chris Siroti, qui est membre du Special Advisory Council for Myanmar (SAC-M), une organisation se donnant pour mandat de soutenir la transition démocratique du pays.
La production intérieure d’armement en Birmanie ne date pas d’hier puisque les premières usines y ont fait leur apparition dans les années 1950, officiellement pour permettre à l’armée de limiter sa dépendance face aux fournisseurs étrangers.
Elle a gagné en importance au fil des décennies alors qu’une vingtaine d’usines s’ajoutaient et offre aujourd’hui aux militaires une « capacité extrêmement robuste » de production d’armes presque entièrement utilisée à des fins de répression interne.
Des armes semi-automatiques, des mortiers, des mines et des lance-missiles figurent dans l’arsenal produit localement, note le SAC-M, qui s’attend à ce que les dirigeants de la junte intensifient encore plus leurs efforts dans ce domaine alors que les pressions économiques et diplomatiques à leur encontre s’intensifient.
Ils demeurent néanmoins dépendants pour l’heure de fournisseurs internationaux pour certains matériaux de base, des composants préfabriqués ainsi que de la machinerie de production avancée.
Les limites des embargos
Le SAC-M note que la Birmanie continue notamment d’importer, pour soutenir sa production d’armes, du fer et de l’acier de Chine avec une société d’État qui l’a aidée à développer ses activités d’extraction minière.
Les militaires importent par ailleurs des fusibles et des détonateurs de firmes établies en Asie, notamment en Inde, et utilisent des machines-outils et des logiciels émanant d’entreprises établies en France, en Allemagne et en Israël, relève le rapport.
Il indique aussi que des machines-outils sont « régulièrement » envoyées à Taiwan pour être entretenues par des techniciens des firmes européennes responsables en profitant du fait que l’île n’a pas imposé de sanctions à la Birmanie.
Les auteurs notent que les informations mises en lumière par leurs recherches ne font « qu’égratigner la surface » du réseau complexe de production d’armements du pays et insistent sur la nécessité de pousser l’exercice de manière à déterminer où frapper pour miner les capacités militaires de la junte.
Jean-François Rancourt, chercheur rattaché à l’Université de Montréal qui suit de près les développements en Birmanie, note que le rapport « montre la limite » d’embargos sur les armes dans un monde multipolaire où nombre d’États et d’entreprises ont les moyens de fournir des technologies sensibles.
Des élections à l’horizon ?
L’analyste ne voit aucun signe d’essoufflement du conflit à quelques semaines du deuxième anniversaire du coup d’État.
Les militaires avaient prétexté la découverte d’une fraude électorale massive pour annuler, en février 2021, la victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et de sa dirigeante, Aung San Suu Kyi.
La lauréate du prix Nobel de la paix a récemment été condamnée à 33 ans de prison à l’issue de procès décriés par les organisations de défense des droits de la personne.
La promesse de la junte de tenir des élections dans l’année en cours pour respecter la Constitution paraît vide de sens dans ce contexte, note M. Rancourt.
« Sans la LND, l’élection sera une simple mascarade. La communauté internationale n’est pas dupe de ce qui va se passer », ajoute le chercheur.
La tenue du scrutin paraît d’autant plus compliquée que des affrontements se poursuivent à la grandeur du pays.
Des groupes d’autodéfense formés par des civils opposés au coup d’État se sont formés notamment dans de nombreuses régions et multiplient les attaques contre la junte, qui doit aussi composer avec de puissantes milices régionales.
Les militaires ne contrôleraient plus pleinement, selon une analyste du SAC-M, qu’environ 20 % du territoire.
« Aucun camp ne semble en mesure de s’imposer. Dans l’intermédiaire, l’armée continue de brûler des villages et d’utiliser la violence à grande échelle, y compris contre des enfants », relève M. Rancourt.
Par Marc Thibodeau – La Presse (.ca) – 17 janvier 2023
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