Les îles Coco, cheval de Troie de Pékin dans l’océan Indien ?
Des nouvelles images satellites ont révélé que d’importants travaux ont eu lieu sur les îles Coco, un petit archipel de 24 km² qui dépend de la Birmanie. Pour la plupart des observateurs, cela pourrait devenir un avant-poste d’observation pour la Chine dans l’océan Indien.
« C’est totalement absurde ». Le ministère chinois des Affaires étrangères a voulu mettre un terme, lundi 10 avril, aux spéculations entourant de mystérieuses constructions sur les îles Coco, au nord de l’océan Indien non loin des côtes birmanes.
De nouvelles images satellites, prises en janvier par la société américaine Maxar, ont mis en branle la machine à rumeur. Elles suggèrent une extension des infrastructures existantes sur Grande Coco, la principale île de ce petit archipel qui appartient à la Birmanie. “La Birmanie construit-elle un poste d’espionnage ? » Et à qui cela profiterait-il ?, s’interrogent les experts du Chatham House, un influent cercle de réflexion britannique, dans une note publiée fin mars qui a pour la première fois fait état des images satellites.
Une piste d’atterrissage et un poste radar
En filigrane, c’est Pékin qui est visé. “Ce n’est pas déraisonnable de penser que la Chine construit directement des installations là-bas ou alors finance la Birmanie pour le faire. La junte n’a pas les moyens et le savoir-faire technique pour se lancer dans un tel chantier seul”, assure Ho Ting “Bosco” Hung, spécialiste de la Chine à l’International Team for the Study of Security de Vérone (ITSS Verona).
En outre, “le développement d’infrastructures militaires sur une île dans une zone où le régime birman n’a pas d’ambition géopolitique n’est sûrement pas une priorité pour le pouvoir qui a suffisamment à faire sur le front intérieur”, ajoute Zeno Leoni, spécialiste des questions de sécurité chinoise au King’s College de Londres.
Les nouvelles photos satellites ne donnent qu’une idée vague de ce qui se trame sur les îles Coco. L’extension visible d’une piste d’atterrissage et la construction de plusieurs hangars semblent suggérer que l’île de Grande Coco pourrait accueillir un petit aéroport.
En outre, ce qui ressemble à une station radar a également été construit au sud de l’île. De quoi donner l’impression que ce petit territoire d’une vingtaine de km² pourrait devenir les grandes oreilles de Pékin (ou de la Birmanie) dans l’océan Indien. “Pour le moment cela ressemble à des installations de renseignement”, confirme Zeno Leoni.
Ce n’est pas la première fois que les îles Coco se retrouvent au centre de spéculations sur une possible présence militaire chinoise dans l’océan Indien. Des rumeurs ont fait état tout au long des années 1990 de l’existence d’une gigantesque antenne d’écoute opérée par la Chine sur ces îles birmanes. Des théories du complot relayées par plusieurs médias d’Asie du Sud suggéraient même que la Chine avait en secret loué ces îles à la Birmanie, souligne la note du Chatham House. Mais rien n’a jamais permis d’étayer ces affirmations.
Vue imprenable sur une base militaire indienne
Si ces minuscules îles se retrouvent depuis si longtemps au centre des discussion sur la volonté chinoise d’avoir une présence dans l’océan Indien, c’est à cause de leur situation géographique stratégique. “Elles se trouvent à moins de 50 km des îles Andaman-et-Nicobar où l’Inde a une importante présence militaire”, précise Ho Ting “Bosco” Hung.
En fait, l’archipel d’Andaman-et-Nicobar, qui fait davantage penser à une destination pour riches vacanciers que pour espions, abrite la seule base militaire indienne qui accueille à la fois des éléments de l’armée de terre, de l’aviation et de la flotte militaire, indique la chaîne CNN.
“Dans le contexte de la rivalité grandissante entre la Chine et l’Inde pour le leadership en Asie, Pékin a tout intérêt à avoir un poste d’observation pour suivre les agissements militaires indiens dans cette zone”, note Ho Ting “Bosco” Hung.
Les îles Coco pourraient aussi s’avérer vitales pour la Chine à beaucoup plus long terme. Un peu au sud de ces territoires se trouve, en effet, le détroit de Malacca qui représente l’un des risques stratégiques majeurs pour la Chine”, souligne Zeno Leoni.
Ce couloir maritime entre la Malaisie et l’Indonésie qui débouche sur la mer de Chine est actuellement l’un des principaux passages pour les importations chinoises – notamment d’énergie depuis le Moyen-Orient – et une partie des exportations. Problème : il est très étroit – pas plus de 3 kilomètres de large à son point le plus resserré – et “la navigation pourrait facilement y être bloquée par les États-Unis ou un autre pays comme l’Inde en cas de conflit. Les conséquences économiques seraient très lourdes pour la Chine”, résume Zeno Leoni.
Un avant-poste sur les îles Coco permettrait à Pékin de pouvoir intervenir rapidement pour défendre sa capacité à emprunter le détroit de Malacca. Mais pour ce faire, il faudrait plus qu’un simple poste radar sur l’archipel. “Pour l’instant, on en est au début et nul ne sait l’importance des installations à venir”, estime Zeno Leoni.
La Birmanie, cheval de Troie chinois dans l’océan Indien ?
Surtout que la Birmanie a son mot à dire sur ces constructions. La junte aura notamment à cœur de ne pas se mettre à dos l’Inde, avec qui “la Birmanie a traditionnellement de bonnes relations et qui a déjà dû être contrariée en voyant les images satellites”, assure Ho Ting “Bosco” Hung.
Mais pour l’instant, le régime n’a pas trop le choix. “La Birmanie a toujours eu des relations houleuses avec les démocraties occidentales, mais depuis le coup d’État [de 2021], le pays est encore plus isolé et le rapprochement avec la Chine représente sa seule chance d’avoir un allié qui le soutient sur la scène internationale”, analyse l’expert de l’ITSS.
Et puis, il y a les sanctions économiques internationales imposées depuis le coup d’État. “La Chine aide la junte à les contourner, ce qui rend le pays très dépendant du bon vouloir de Pékin”, précise Zeno Leoni.
L’affaire des îles Coco représente ainsi une illustration du célèbre effet papillon. “La Chine profite de la situation créée par les sanctions économiques pour commencer à mettre un pied dans l’Océan indien”, estime Zeno Leoni.
Pour l’instant, la situation en mer de Chine demeure prioritaire pour Pékin “car il s’agit d’assurer la défense directe de son territoire”, poursuit cet expert. Mais à long terme, l’océan Indien, où convergent les intérêts de l’Inde, de la Chine et des puissances occidentales voulant jouer un rôle dans la région du Pacifique, pourrait devenir une zone de tensions encore plus importante. Et le contrôle des 25 km² des îles Coco pourrait être un atout décisif pour Pékin.
Par Sebastian Seibt – France 24 TV – 12 avril 2023
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