Le Canada continue d’exporter ses déchets plastiques
En périphérie nord de la plus grande ville de la Birmanie — pays anciennement connu sous le nom de Myanmar — se trouve une municipalité de près de 300 000 personnes dont l’industrie dans les domaines du textile, des biens de consommation et des produits alimentaires est en plein essor.
Mais au nord de Rangoun, à Shwepyithar, dont le nom signifie « doré et agréable », rien ne pousse plus vite que les déchets.
Et beaucoup de ces déchets ne sont même pas les leurs.
À chaque coin de rue s’entassent de grands monticules de sacs en lambeaux, de bouteilles en plastique jetées et d’emballages rendus gris par les intempéries et la saleté.
Des montagnes de déchets plastiques, parfois aussi hautes que des maisons de plain-pied, pourrissent dans les rues. Les gens doivent se frayer un chemin autour des piles pour se rendre dans les temples et les centres communautaires.
La puanteur s’infiltre dans les maisons et les mères demandent à leurs enfants de ne pas jouer dans les ordures. La chaleur assèche les ordures, ce qui fait que chaque route risque de s’enflammer.
Au Myanmar, où les citoyens sont de nouveau soumis à un régime militaire depuis le coup d’État de 2021, les résidents sont terrifiés à l’idée de s’exprimer.
Frontier Myanmar, un magazine anglophone publié à Rangoun, s’est rendu à Shwepyithar à plusieurs reprises entre janvier et juin. Les reporters Allegra Mendelson et Rachel Moon ont documenté le problème des ordures, partageant leurs observations et leurs images avec La Presse Canadienne.
Elles ont également fait des entrevues avec des résidants, ainsi que des propriétaires et des employés d’usines de recyclage de plastique, sur l’impact de ce problème. La Presse Canadienne a accepté de n’identifier aucun d’entre eux par leur nom par crainte de représailles de la part des autorités de la Birmanie.
« Si je crée un problème avec les autorités, l’armée viendra m’arrêter », a affirmé un père de famille de 55 ans dont la maison est l’une de celles qui font face à un monticule d’ordures.
« Je n’aime pas cela, mais je ne suis pas à l’aise pour parler de ce que je n’aime pas. À mon âge, je ne peux plus supporter d’être battu ou torturé. »
Si l’on peut penser que les usines voisines sont responsables d’une partie des déchets, il ne fait aucun doute, à y regarder de plus près, qu’une grande partie d’entre eux provient de l’étranger.
Des déchets du Canada
Alors que la plupart des déchets se sont déjà dégradés au point d’être méconnaissables, on voit clairement dans les débris des marques d’Europe et d’Amérique du Nord, y compris plusieurs articles que l’on peut facilement identifier comme provenant du Canada.
Beaucoup d’entre eux semblent être des déchets postconsommation — le genre de déchets que les Canadiens ont probablement jetés dans le bac de recyclage de leur cuisine sans se douter qu’ils finiraient au sommet d’un tas d’ordures à 11 000 kilomètres de là.
Au sommet d’une pile, dans le quartier 27 de la ville, se trouve un sac Unico rouge et bleu vif qui contenait autrefois des pâtes penne sèches. Sun-Brite Foods, qui possède la marque Unico, connue pour ses pâtes et ses conserves, n’a pas encore répondu aux questions de La Presse Canadienne.
À côté du sac de pâtes se trouve un pot blanc délavé de yogourt aux cerises noires de la marque Foremost Dairies de Loblaws. Loblaws n’a pas encore répondu à une demande de commentaire.
Un pot de yogourt Oikos bleu vif de Danone se trouve à quelques centimètres du contenant Foremost. Un porte-parole de Danone Canada a déclaré que l’entreprise cherchait à savoir si l’emballage pouvait être identifié comme provenant des gammes canadienne, européenne ou américaine de l’entreprise.
Ce que l’on peut confirmer, c’est qu’ils ne proviennent pas de la Birmanie. Aucune de ces marques n’est vendue dans ce pays.
Mais le Canada fait partie d’un traité international visant à empêcher le déversement de déchets plastiques dans les pays en développement et n’a jamais délivré de permis pour expédier des déchets plastiques en Birmanie.
Alors, comment ces déchets sont-ils arrivés là ?
La Presse Canadienne, en partenariat avec Lighthouse Reports, une salle de rédaction d’enquête dont le personnel est établi dans plusieurs endroits sur la planète et en collaboration avec des médias en Thaïlande, en Birmanie, en Pologne, aux États-Unis et au Royaume-Uni, tente de répondre à cette question.
En 2016, le Canada commençait à faire face aux retombées de l’envoi aux Philippines de cargaisons de déchets canadiens illégalement étiquetés comme étant du plastique à recycler. L’opération avait donné lieu à une querelle internationale très médiatisée, à l’issue de laquelle les Philippines avaient renvoyé les déchets au Canada.
Dans le cadre de sa réponse, le gouvernement fédéral a présenté une nouvelle réglementation exigeant que les exportations de déchets plastiques obtiennent un permis du ministère fédéral de l’Environnement.
La réglementation a été à nouveau mise à jour en 2021, après que le Canada eut accepté de mettre en œuvre une modification de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination.
La convention initiale, à laquelle le Canada a adhéré en 1992, visait à empêcher les pays riches de déverser des déchets dangereux dans les pays en développement. Elle exige le consentement éclairé du pays importateur avant que de tels envois puissent être effectués.
En 2019, un amendement a été officiellement proposé pour inclure le plastique dans la liste des déchets dangereux couverts par le traité. La majorité des pays signataires de la Convention de Bâle ont accepté l’amendement en mars 2020, mais le Canada a d’abord résisté, pour finalement accepter quelques semaines avant l’entrée en vigueur de l’amendement en janvier 2021.
Exportations avec ou sans permis
L’amendement signifie que le Canada n’est pas censé exporter des déchets plastiques presque n’importe où sans consentement préalable et éclairé. Si le consentement est donné et qu’un permis est accordé, cela signifie que le pays importateur a confirmé qu’il peut gérer les déchets correctement, notamment en les recyclant ou en les éliminant d’une « manière respectueuse de l’environnement ».
Lorsqu’une autorisation est délivrée, le ministère fédéral de l’Environnement suit les transferts et demande une confirmation de l’étape finale de recyclage ou d’élimination.
Il y a toutefois une réserve. Si les déchets sont considérés comme « propres et triés » et destinés au recyclage, aucun permis n’est nécessaire. Mais il y a peu de limites ou de contrôles pour vérifier si les déchets sont conformes.
Les données fournies par le ministère à La Presse Canadienne montrent qu’un total de 16 permis d’exportation de déchets plastiques ont été délivrés depuis 2016 — la moitié en vertu des règlements de 2016 et l’autre moitié en vertu de la version mise à jour en 2021. Neuf d’entre eux concernaient des expéditions vers la Malaisie, six vers les Pays-Bas et un vers le Danemark. Aucune n’était destinée en Birmanie.
Les données commerciales, qui sont suivies à l’aide d’un système de codification international, montrent que le Canada a exporté des déchets plastiques vers des dizaines de pays au cours de cette période. En 2022, par exemple, le Canada n’a délivré de permis d’exportation qu’à deux pays, mais les données commerciales font état de 26 pays destinataires des exportations canadiennes de déchets, rognures et débris de plastique.
En 2021, des licences d’exportation n’ont été délivrées qu’à la Malaisie, mais les données commerciales montrent que des exportations ont été effectuées vers 40 pays.
La base de données Comtrade des Nations Unies, qui suit les exportations et les importations internationales, indique qu’entre 2020 et 2023, la Birmanie a enregistré des importations de près de 80 000 kilogrammes de déchets plastiques en provenance du Canada, d’une valeur d’environ 50 000 $.
Le ministère de l’Environnement n’a pas voulu accorder d’entrevues de ses experts sur le dossier des déchets plastiques. Toutefois, en réponse à des questions écrites, un porte-parole a expliqué que le ministère ne suivrait pas les déchets plastiques qui ne nécessitent pas de permis.
En 2022, le Canada a exporté 183 millions de kilogrammes de déchets plastiques. Plus de 90 % de ces déchets ont été exportés vers les États-Unis, qui sont l’un des rares pays à ne pas être partie prenante de la Convention de Bâle.
Le Canada a conclu son propre accord avec les États-Unis sur les déchets plastiques. De nombreux critiques craignaient que cela ne permette au Canada de contourner ses obligations au titre de la Convention de Bâle et d’expédier des déchets vers les pays en développement sans leur permission, en les expédiant d’abord aux États-Unis.
Le ministère de l’Environnement affirme que l’accord ne le permet pas.
« Sans spéculer sur les envois spécifiques quittant les États-Unis, Environnement et Changement climatique Canada peut confirmer que les déchets plastiques soumis à la Convention de Bâle et destinés à toute partie signataire de la Convention de Bâle (y compris les pays en développement) nécessitent un permis d’exportation avant d’être exportés du Canada, même lorsque l’envoi transite par les États-Unis », a indiqué le ministère dans une déclaration.
L’objectif de la convention « violé »
Mais les défenseurs de la fin des exportations de déchets plastiques estiment que si l’on ne s’assure pas que tous les déchets plastiques sont conformes aux exigences de recyclage et qu’ils sont effectivement recyclés, le Canada et d’autres pays riches continuent d’assister sans rien faire à la transformation de leurs déchets en problèmes pour d’autres.
« Nous violons l’objectif même de la Convention de Bâle depuis des années et des années », a souligné Kathleen Ruff, une militante canadienne des droits de la personne qui a fait de l’arrêt des flux mondiaux de déchets plastiques un élément clé de son travail.
Plusieurs importateurs de déchets plastiques interrogés en Birmanie ont indiqué aux journalistes de Frontier qu’une grande partie des déchets internationaux qu’ils importent sont trop contaminés pour être recyclés. Il s’agit souvent d’ordures ménagères contenant des produits qui ne peuvent pas être recyclés ou dont le tri et le nettoyage nécessitent trop d’efforts pour les rendre économiquement utiles.
Les propriétaires d’une société d’importation ont déclaré à « Frontier Myanmar » qu’environ 60 % du plastique qu’ils achètent est importé, et qu’environ 10 % de ce plastique doit être jeté parce qu’il n’est pas recyclable.
Un employé d’une grande usine de recyclage de Rangoun a expliqué à Frontier Myanmar qu’ils ne pouvaient renvoyer les déchets plastiques inutilisables que s’ils les achetaient localement. Tout ce qui est importé ne peut être retourné et les déchets inutilisables sont jetés. Il est estimé que l’équivalent d’une « grosse voiture » est jeté chaque mois.
Selon Mme Ruff, de nombreux pays riches prétendent soutenir les industries des pays en développement, alors qu’ils n’ont pas la possibilité de recycler les matériaux chez eux.
Elle a ajouté que l’objectif de la Convention de Bâle est d’empêcher les déchets des pays riches de nuire aux résidants des pays les plus pauvres, et la Birmanie est la dernière preuve en date de son inefficacité.
« L’expérience internationale […] a montré que c’était un désastre », a-t-elle déclaré.
« Elle n’a pas été efficace. »
À Shwepyithar, le problème des ordures a commencé à s’amplifier sérieusement au cours de l’année dernière.
Créée il y a moins de 40 ans, Shwepyithar est l’une des municipalités les plus récentes de Rangoun. Elle a été conçue comme un lieu où les espaces verts seraient prédominants, afin d’encourager les activités de plein air. Au fur et à mesure de la construction des maisons, de grands terrains ont été laissés vacants, dans le but de les transformer en parcs.
Mais ces parcs n’ont jamais vu le jour. Au lieu de cela, les espaces ouverts, intercalés entre chaque centaine de maisons, constituent un dépotoir idéal et la plupart d’entre eux sont aujourd’hui inondés de déchets.
Jusqu’en 2018, la Chine était la principale destination des plastiques recyclés dans le monde, les matières premières servant à alimenter ses industries manufacturières insatiables.
Mais en janvier de la même année, la Chine a fermé la porte à la plupart des importations de déchets plastiques. Elle s’est plainte que la grande majorité de ces déchets étaient trop contaminés pour être recyclés et finissaient dans les décharges ou les incinérateurs chinois.
Cette décision a entraîné des problèmes majeurs pour les systèmes de recyclage municipaux des pays riches, qui se sont soudain retrouvés en concurrence pour de nouvelles destinations limitées dans d’autres pays asiatiques.
En 2020, Interpol a fait état d’une forte augmentation du commerce illégal de matières plastiques polluantes, des revendeurs sans scrupules ayant promis d’acheter des matières plastiques recyclées à des villes du monde entier, y compris au Canada, sans avoir l’intention de les recycler un jour.
Nombreux sont ceux qui les déversent illégalement dans des pays tels que l’Indonésie, le Vietnam et la Thaïlande. Lorsque ces pays ont commencé à faire plus attention à ce qui entrait dans leurs ports, le commerce s’est déplacé, la Birmanie devenant une destination plus courante.
La région de Rangoun particulièrement touchée
Un document du gouvernement de la Birmanie datant de 2020, traitant des amendements à la Convention de Bâle relatifs aux déchets plastiques et de l’élaboration de nouvelles lois en Birmanie, fait état de la difficulté de distinguer les envois acceptables de ceux qui ne le sont pas.
Cette présentation, faite avant le coup d’État militaire du pays, est intervenue au moment où la Birmanie mettait en œuvre de nouvelles lois strictes sur les importations de matières plastiques.
Officiellement, les articles relevant du code international 3915, qui désigne les déchets et débris de plastique, sont interdits d’importation en Birmanie. Des exceptions sont toutefois prévues pour les négociants en plastique agréés et, depuis le coup d’État, l’application de la loi est devenue plus limitée.
Okka Phyo Maung, fondateur et directeur de l’organisation de recyclage RecyGlo, a expliqué aux journalistes de Frontier Myanmar qu’il y a maintenant des décharges illégales dans tout le pays, mais que la région de Rangoun est la pire en raison de ses grandes zones industrielles.
Selon M. Okka, les entreprises étrangères paient des courtiers pour faire entrer les déchets en Birmanie et les vendre à de petites entreprises qui essaient de travailler comme recycleurs.
« Environ 70 % des déchets sont utilisables et 30 % sont très mauvais, et ils sont simplement jetés dans une décharge », a-t-il dit.
M. Okka a souligné que les courtiers ne se soucient pas du sort des déchets, car ils sont payés à la fois par les entreprises occidentales qui cherchent à se débarrasser des déchets et par les recycleurs de la Birmanie qui cherchent du plastique à transformer en granulés pour les usines locales.
Par Mia Rabson – La Presse (.ca) – 19 octobre 2023
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