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L’industrie cinématographique cambodgienne, quelles réalités aujourd’hui ?

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L’industrie cinématographique cambodgienne a connu une histoire tumultueuse. Après son “âge d’or” des années 1960 et l’arrêt brutal des productions durant la période Khmer rouge, quelles réalités caractérisent le cinéma cambodgien aujourd’hui ?

Le cinéma cambodgien, une histoire tumultueuse 

Le cinéma cambodgien est né dans les années 1950. Il a connu un âge d’or dans les années 1960, pendant lesquelles l’industrie a produit de nombreux classiques, et des salles de cinéma étaient ouvertes à travers tout le pays. L’un des réalisateurs les plus prolifiques de l’époque n’est autre que le roi Norodom Sihanouk, qui a écrit, produit et réalisé de nombreux films. En 1971 le Cambodge a produit 157 films, diffusés dans 10 salles de cinéma à Phnom Penh. L’industrie est restée vivace jusqu’à la prise de pouvoir par les khmers rouges en 1975. 

Depuis la fin des années 1980, et malgré la fin de la guerre, elle peine à retrouver toute sa vitalité. Le documentaire franco-cambodgien Le Sommeil d’or réalisé par Davy Chou, qui est sorti en 2012, vise à restituer par les témoignages d’artistes survivants la floraison du cinéma cambodgien entre 1960 et 1975 (près de 400 films, dont beaucoup ont été détruits ou perdus sous les Khmers rouges).

L’industrie cinématographique aujourd’hui

Nicolas Thévenet, directeur Recherche et Développement et Marketing chez Kongchak Pictures, a accepté de répondre à nos questions sur l’industrie du cinéma cambodgien. Kongchak Pictures est un label local qui a produit plusieurs films depuis une dizaine d’années. “Nous essayons de faire des films à la fois commercialement viables, mais avec une assez bonne qualité pour être exportés en festival ou en vidéo à la demande (VOD) hors du Cambodge”.  Auparavant Nicolas Thevenet travaillait au sein du plus gros distributeur de films du pays qui s’occupe notamment de Disney, Universal et Warner. Il a également occupé un poste chez Legend Cinema, la plus grosse chaîne de cinéma au Cambodge.

Le Cambodge n’est pas un gros pays producteur de film. Si l’on observe le nombre de long métrages produits dans le Royaume, chiffres fournis par Nicolas Thévenet, on constate qu’ils oscillent entre 20 et 30 par an entre 2019 et 2023. Une nette diminution dans la production cambodgienne peut s’observer en 2020, à cause, bien entendu, de l’épidémie de COVID-19. 

Nombre de film (long métrage) sortie par an:

2019: 29

2020: 12

2021: 22

2022: 18

2023: 26

2024: 30 (attendus)

Nicolas Thévenet nous explique que les cinémas sont restés fermés, pour la majorité d’entre eux, entre 2020 et novembre 2021 où ils ont rouvert progressivement. 

“Les productions locales ont sorti 2-3 films par semaine sur les deux derniers mois de l’année 2021 puis, en 2022, ils n’avaient plus de films en stock, ce qui explique le chiffre de long métrage assez bas de cette année. Les chiffres remontent tout doucement, on est sur un retour à la normale en 2024.”

Les budgets des films se situeraient généralement entre 10 000$ et 100 000$. D’après Nicolas Thévenet, la plupart des films locaux sont financés entièrement par la production, qui appartiendrait généralement à un réalisateur qui finance lui-même ses films avec l’argent du dernier produit.

“Quelques fois, les films sont sponsorisés, mais très peu. La moitié des productions locales a un budget de plus de 100 000$, souvent grâce à des aides et des subventions de festivals internationaux comme Busan, Locarno, ou même le CNC avec Cinéma du Monde. Il n’y a pas d’aide locale venant du gouvernement pour des films” , nous explique Nicolas Thévenet.

 Entres contraintes et avantages 

Au Cambodge, un bureau de censure regarde tous les films qui sortent en salles, qu’ils proviennent de l’étranger ou produits localement. Celui-ci donne ensuite une note générale, précisant si le film doit être interdit au moins de 12, 15 ou 18 ans. Sur les treize dernières années, peu de films ont été interdits. Nous pouvons citer le cas de Kingsmen 2, sous prétexte que “la méchante” du film se cachait et distribuait de la drogue dans les temples. Cela insinuait que le gouvernement cambodgien n’interviendrait pas dans une telle situation. Hormis cet exemple, le comité s’est montré relativement ouvert d’esprit : des versions moins censurées qu’aux Etat-Unis ont été acceptées avec par exemple de la nudité très frontale, comme dans Spy sorti en 2015.

Les contraintes sont davantage budgétaires et liées aux compétences générales en cinéma. En effet, il n’existe pas d’école de cinéma à part celle de l’association Pour un Sourire d’Enfant (PSE), qui n’est ouverte qu’aux élèves qui ont fait leur scolarité au sein de leur école. 

“Beaucoup de ceux qui arrivent à avoir des bourses pour des écoles de cinéma à l’étranger y restent, ou s’ils reviennent au Cambodge, découvrent une industrie en développement qui n’a rien à voir avec celle à laquelle ils sont familiarisés. Le choc post-études est souvent très dur. La plupart des gens qui travaillent dans l’industrie du cinéma ici sont autodidactes. Cela vient avec un lot d’inconvénients, mais aussi d’avantages. Ils développent leur propre façon de faire sans trop de cadre extérieur, quelques fois innovantes. D’autres personnes qui travaillent dans ce secteur à l’étranger sont étonnées”, nous explique Nicolas Thévenet.

Les genres de film les plus appréciés par les cambodgiens 

Dans un article de Khmer Times de novembre 2023, Pok Borak, directeur du Département du film et de la diffusion culturelle (DFCD) expliquait que le groupe des 15-35 ans constituait la majorité des spectateurs dans les grandes villes du pays.

“Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de public en province, mais qu’il n’y a pas encore beaucoup de salles”, expliquait Pok Borak. “C’est un obstacle de taille pour nos cinéastes, qui ne disposent que d’environ 110 salles de projection dans tout le pays, dont 80 % à Phnom Penh et le reste dans les grandes provinces telles que Siem Reap, Battambang, Preah Sihanouk et Banteay Meanchey.”

Selon Pok Borak, le genre le plus populaire au Cambodge est l’horreur, suivi de la comédie et du drame.

Nicolas Thévenet nous confirme que beaucoup des films tournés sont des films d’horreurs. Pour lui, cet attrait pour ce genre particulier s’explique par l’ouverture du premier cinéma digital en 2011, qui a attiré une majorité d’adolescents. 

“Les adolescents cambodgiens ont très peu d’espace privé dans leur culture. Du coup, quand ils veulent se retrouver, ils choisissent le genre de film le plus vu par cette catégorie démographique, c’est-à-dire les films d’horreur. Donc, les productions qui veulent faire de l’argent misent sur une valeur sûre.”

Il souligne cependant que, bien que les films d’horreur fassent de bons chiffres de façon consistante, ce sont les films d’action qui font de gros box offices. Ainsi Jailbreak (2017), The Prey (2018) et KTV (2023) ont plutôt bien marché à l’étranger, notamment en Chine.

“On peut voir des films locaux d’un genre différent avoir un succès grandissant, comme récemment le film “White Building” (2021) qui a gagné le prix du meilleur acteur à Venise. Le film a été vu par beaucoup de personnes et même des gens qui ne vont pas régulièrement au cinéma. Ce film traite pourtant de sujet social, il est lent, prend son temps, et les retours sont principalement positifs. Il y a 10 ans, un film comme ça aurait été très peu vu”, nous explique-t-il.

Pour Ousa Rin, étudiante en dernière année de relations internationales à l’Université,“les jeunes cherchent à tester leur degré de résistance à la peur en regardant des films d’horreur.”  Elle précise cependant qu’elle préfère les films romantiques. “J’ai pris l’habitude de chercher la fin du film avant de commencer à le regarder. Si la fin est heureuse, je regarde. Mais si ce n’est pas le cas, je saute le film. Je pense que notre vie est parfois déjà remplie de tristesse, alors je veux juste passer un peu de temps à regarder quelque chose de doux pour me sentir mieux.”

Selon elle, le cinéma est apprécié des jeunes car c’est un lieu calme, qui permet de “se retrouver en toute tranquillité avec ses amis ou son partenaire et de partager ses émotions.”

Lepetitjournal.com – 24 février 2024

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