« France-Vietnam : réorientons la diplomatie culturelle ! »
François Bibonne, qui réalise une série sur la culture vietnamienne et entend créer des liens culturels entre le Vietnam et la France, constate que l’influence culturelle française recule dans le pays, bien que de nouveaux acteurs indépendants émergent.
Le Français Philippe Troussier a terminé son contrat d’entraîneur de l’équipe nationale de football du Vietnam après sa dernière défaite face à l’Indonésie, fin mars. Celle de trop dans un pays où le foot est pilier de la nation. Ce cas intervient comme un symbole quant à l’évolution des relations entre la France et le Vietnam. 2024 célèbre justement les 70 ans des accords de Genève, et la fin de la guerre d’Indochine qui, depuis 1946, opposait la France au Việt Minh dirigé par Hô Chi Minh. Les relations diplomatiques entre les deux pays ont bien changé. D’un point de vue « technocratique », la France est certes très présente avec l’accompagnement du Vietnam dans sa transformation numérique, l’aide pour la transition environnementale (Agence Française de Développement), la lutte anti-corruption et son rôle de négociateur entre l’Union européenne et l’ASEAN. Sans compter les échanges universitaires (Campus France).
Mais en ce qui concerne son influence globale, la France a perdu le fil. Producteur du documentaire « Once upon a bridge in Vietnam », je constate une perte de vitesse du soft power français dans le pays, mais des lueurs d’espoir grâce à l’action de nouveaux acteurs indépendants.
L’INFLUENCE CULTURELLE DE LA FRANCE AU VIETNAM EN PERTE DE VITESSE
Avec la réouverture du pays dans les années 1990, la France participe activement à la modernisation du Vietnam avec des programmes de coopération pour y former les nouveaux juristes, médecins et journalistes. En 1997, le sommet de la francophonie se tient à Hanoï et Jacques Chirac y inaugure le musée de l’ethnographie. Mais en 2024, la France ne figure plus parmi les dix premiers investisseurs dans la 34e économie mondiale aux 100 millions d’habitants, surnommée « l’étoile filante ».
Symbole fort : le Président Emmanuel Macron n’est jamais venu au Vietnam. Est-ce que la perte de vitesse de la France d’un point de vue économique s’est accompagnée du retrait de la francophonie ? Ecoutons l’avis de personnes extérieures au réseau diplomatique, qui connaissent la situation. « La France aurait tout intérêt à renforcer son influence au Vietnam, l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde : davantage d’opportunités commerciales, économiques et touristiques, et un allié géopolitique potentiel dans un monde multipolaire où les tensions entre les États-Unis et la Chine s’accentuent. Cette influence n’est pas acquise, expliqueLinh K. Tran, jeune Vietnamienne expatriée, à la London School of Economics. D’autres pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Russie, considèrent également le Vietnam comme un partenaire stratégique. La génération de mes parents écoutait des chansons françaises quand ils étaient plus jeunes, mais les jeunes Vietnamiens d’aujourd’hui sont prêts à payer plusieurs centaines d’euros pour assister aux concerts d’artistes américains et coréens, même s’ils ont lieu dans un autre pays. Dans ce contexte concurrentiel, le soft power français est bien vivant mais a besoin d’un rajeunissement et de « ponts » plus créatifs pour le rendre plus accessible, pertinent et convaincant pour les Vietnamiens d’aujourd’hui. »
DÉCALAGE DE PERCEPTIONS
En combinant tous les paramètres d’apprentissage, le français est la cinquième langue étrangère la plus pratiquée après l’anglais (86 %), le Japonais (16 %), le chinois (15 %) et le coréen (11 %). L’allemand (3 %) est presque à égalité avec le français (4%)2. En 2023, l’institut français de Hanoi n’a plus les fonds pour garder son auditorium et déménage dans une villa éloignée du centre-ville.
Un changement profond qui symbolise parfaitement le recul du soft power français au Vietnam. Une professeure de français au Vietnam m’expliquait récemment que « si Hanoï est dite « la Paris du Sud-Est asiatique », c’est sans doute par la richesse de son architecture coloniale. Le traitement réservé aux imposantes bâtisses jaunes aux volets verts est, à mon sens, symptomatique du rapport qu’entretient le Vietnam avec la France. Parfois restaurées, magnifiées par un parc dans lequel grandissent des arbres colossaux et centenaires, elles abritent des ambassades ou des institutions gouvernementales ». Cette professeure juge ainsi que « la France a encore cette image prestigieuse, notamment en ce qui concerne sa culture. L’augmentation constante du nombre d’élèves inscrits dans les lycées français du Vietnam en est la preuve. Et pourtant, certaines de ces belles demeures sont laissées à l’abandon, s’écroulent peu à peu et seront finalement remplacées par des immeubles neufs. »
« Cette fracture entre la réalité du Vietnam contemporain et la pensée française freine nos liens. »
Il y a un décalage entre la perception de notre relation avec le Vietnam et la réalité. Certains médias estiment encore le pays à travers la loupe des historiens et des titres passéistes : le dernier titre du Nouvel Obs, « Indochine, colonisation oubliée », le nom même de certaines associations humanitaires condescendantes comme « Grain de riz, grain de vie » ou l’attitude d’une Valérie Pécresse qui tweete souhaite un bon nouvel an chinois à tous les Français d’origine indochinoise… Cette fracture entre la réalité du Vietnam contemporain et la pensée française freine nos liens.
Vo Trung Dung, rédacteur en chef d’Asie Pacifique News, juge lui ceci : « L’évolution des relations franco-vietnamienne va dans le sens du ‘mieux qu’avant’ en particulier sur le passé colonial. Je peux citer l’affaire des restes des soldats français à Điện Biên Phủ. Pour que ça avance vraiment, Hanoi attend toujours la visite promise du président français. Sur les enjeux de la diplomatie culturelle, elle est importante pour les deux pays, mais les actions françaises, selon mes observations, restent timides. La diplomatie culturelle, pour qu’elle soit efficace, il faudrait aller au-delà de ce qui se fait aujourd’hui. Par exemple, des échanges universitaires, des salons du livre, des coopérations de la bibliothèque nationale et les fonds d’archives, des conférences… »
VERS UNE NOUVELLE DIPLOMATIE CULTURELLE ?
Stéphane Gompertz écrivait qu’un diplomate « mange et boit pour son pays ». Dans notre pays, on compte près de 400 000 Français d’origine vietnamienne contre seulement moins de 10 000 Français au Vietnam. Pensons une diplomatie inversée avec une action portée vers la compréhension du pays plutôt que sur l’expansion à sens unique de la culture française. On pourrait penser que la France n’a rien à faire au Vietnam et que l’on fait déjà assez, que les temps ont changé.
Ce serait ignorer le métissage de la France, sa diaspora, et tous les enjeux économiques qui ont besoin de compréhension. Lier les deux pays, c’est rapprocher différentes populations françaises et améliorer le vivre ensemble.
Depuis plus de quatre ans je resserre les liens entre nos deux pays via mon documentaire Once upon a bridge in Vietnam. Ma grand-mère est vietnamienne et j’ai dialogué avec toutes les associations et acteurs du milieu franco-vietnamien. J’ai projeté mon film à Harvard, Columbia, au Forum des Images et diffusé le film à la télévision vietnamienne… mais jamais avec l’Institut Français.
J’ai donc organisé moi-même mes projections au Vietnam. Nous, créateurs de tous milieux, ne cessons de rapprocher nos deux peuples et attendons le soutien spontané des diplomates pour trouver des financements et des moyens de visibilité. Pour cela il faut que nos institutions sortent de leur réseau de clientélisme et s’informent davantage. Les résidences d’artistes comme la Villa Saigon, n’y répondent pas assez. Le soft power français pourrait endosser le rôle de producteur culturel.
Comme le dit Alain Rouquié, il nous faut des « diplomates réactifs et innovants à même de proposer des initiatives adaptées ». Repenser la diplomatie, c’est penser influence et donc repenser les influenceurs, c’est-à-dire les acteurs de cette diplomatie. Les acteurs ne sont pas tant des diplomates : ce sont des artistes, des nouveaux médias, des associations et des jeunes entreprises.
Une faille du système de la diplomatie française est d’avoir fait de la culture une machine avec une bureaucratie qui freine la création. C’était un reproche dans la presse sportive vietnamienne : « Philippe Troussier n’est pas assez sur le terrain avec les joueurs, il est trop reclus dans sa cabine ». Pourrons-nous transmettre la culture française au-delà des mots et jouer sur des émotions pour toucher le Vietnam non-francophone ?
Par François Bibonne – Marianne – 12 avril 2024
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