Thaïlande : après la dissolution du parti Move Forward, le pays replonge dans l’incertitude
En Thaïlande, la Cour constitutionnelle a décidé ce mercredi 7 août – à l’unanimité – de dissoudre le principal parti d’opposition Move Forward, accusé d’avoir mis en danger la monarchie constitutionnelle. Le parti s’était mobilisé pour réformer la loi sur le crime de lèse-majesté. Le principal parti d’opposition disparaît du paysage politique, replongeant le pays dans une période d’incertitude.
Avec cette dissolution du principal parti d’opposition Move Forward et l’exclusion de la vie politique de Pita Limjaroenrat, ainsi que de dix autres cadres de ce parti réformateur, la Thaïlande replonge dans une période d’incertitude. Plusieurs scénarios sont dorénavant possibles à court ou moyen terme. Le plus probable, c’est la formation d’un nouveau parti progressiste.
Move Forward n’en est pas à son coup d’essai : ce parti est né de la dissolution de Future Forward, dissolution qui avait déclenché de gigantesques manifestations antigouvernementales en 2020. D’ailleurs, son leader charismatique Pita Limjaroenrat ne fait pas de mystère. « Relâchons notre frustration dans le prochain bulletin que l’on déposera dans l’urne », c’est ce qu’il a déclaré ce mercredi 7 août à Bangkok suite à la décision de la Cour constitutionnelle.
Et il reste 143 députés du parti Move Forward à l’Assemblée, « et donc il est évident qu’ils vont s’organiser », estime Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Ce nouveau parti, à moyen terme, pourrait être dirigé par une femme : Sirikanya Tansakul qui est économiste de formation, qui a bonne réputation et qui n’était pas membre du bureau exécutif. Donc il est fort possible que ce parti se reforme avec, peut-être, un léger changement de programme. Mais on retrouve néanmoins cette tension qui travaille l’espace public thaïlandais depuis maintenant plus de quinze ans, qui est la tension entre les vieilles élites politiques autour de la monarchie et de l’armée, et puis des forces plus progressistes. »
Vers de probables mobilisations de la jeunesse thaïlandaise à Bangkok
Dans la capitale Bangkok, la jeunesse aspire à une monarchie constitutionnelle dans laquelle le roi se tiendrait en dehors de la vie politique et pourrait être critiqué. Ce qui est aujourd’hui impensable dans le royaume, qui punit de lourdes peines de prison toute offense au roi. La loi sur le crime de lèse-majesté est très souvent utilisée, en fait, pour museler la dissidence. Avec cette dissolution du principal parti d’opposition, c’est le neuvième parti à connaître ce sort depuis 2007. Si la dissolution de Move Forward n’est pas une surprise, le bannissement pour dix ans de Pita Limjarorenrat risque de plonger la jeunesse thaïlandaise, qui avait voté en masse pour cette nouvelle formation réformiste et son leader charismatique, dans le désarroi.
« Il est évident que les supporters du Move forward vont probablement descendre dans la rue, notamment parce qu’il s’agit d’une base populaire qui est basée à Bangkok, précise Sophie Boisseau du Rocher. Bangkok est le centre vraiment politique du royaume, et donc c’est à Bangkok qu’ils vont manifester et entretenir leur mécontentement. »
Ce que redoutent les partisans de Move Forward, c’est une répression violente de leur mobilisation. « En 2020, il y a eu 268 personnes arrêtées qui sont toujours en prison, rappelle David Camroux, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) et professeur à Sciences Po. Certains sont même morts en prison suite à une grève de la faim. Donc en épuisant l’arme judiciaire, la répression a été très forte et c’est ça aussi qui va effrayer la jeunesse actuellement. »
Face à ce changement du paysage politique dans le pays, les observateurs parient sur une nouvelle phase d’instabilité, avec une démocratie fracturée jusqu’à la prochaine élection, qui pourrait de nouveau voir triompher le parti qui succèdera à Move Forward.
Des conséquences néfastes à attendre sur le plan économique
Cette instabilité politique risque d’avoir aussi des conséquences néfastes sur le plan économique : « Cela va faire bientôt vingt ans que la Thaïlande subit les effets de cette instabilité sur son économie, rappelle Sophie Boisseau du Rocher. Et effectivement, la Thaïlande perd de l’influence économique et perd de son prestige économique au profit de voisins qui sont stables, comme le Vietnam. »
« Donc, il y a un vrai risque de désintérêt des investisseurs internationaux, à moins que la Chine vienne à la rescousse de la monarchie thaïlandaise et des élites thaïlandaises », estime la chercheuse. « Et ça serait d’ailleurs un étrange renversement de l’histoire puisque dans les années 1970, au moment de la Guerre froide, les États-Unis soutenaient l’armée contre les forces communistes et aujourd’hui, ce seraient les États-Unis qui soutiendraient les acteurs démocratiques contre des vieilles élites, elles-mêmes soutenues par un pays autoritaire comme la Chine. »
Par Jelena Tomic – Radio France Internationale – 8 août 2024
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