« Il n’y a pas de fatalité à l’oppression et au malheur » : André Menras revient sur son histoire mouvementée avec le Vietnam au cœur d’un livre puissant
Instituteur aujourd’hui à la retraite, André Menras a noué des liens indéfectibles avec le Vietnam, qu’il découvre en 1970 alors que la guerre fait rage. Il publie un livre sur ses « 50 ans de fidélité » au peuple vietnamien.
Le souffle de la résistance. Quand on lui dit, impressionné par sa biographie et ses engagements, qu’il a fait preuve d’un incroyable courage, André Menras balaie l’argument d’un revers de main. S’il n’est pas « du genre à se débiner », comme il le dit lui-même, il concède juste combattre, depuis ses plus vertes années, l’injustice.
L’occasion, alors qu’il vient de sortir son dernier livre « Vietnam, entre le meilleur et le pire – 50 ans de fidélité aux combats de ma jeunesse » (Les Indes savantes éd.), de revenir sur le parcours de ce « fils de paysans durs au labeur, forgés par cette vie rugueuse » du sud Aveyron, aujourd’hui professeur des écoles à la retraite.
« Dans l’apocalypse et l’humiliation »
Il a 23 ans lorsque, jeune instituteur frais émoulu de l’École normale de Montpellier, il part en 1968, en tant que coopérant, exercer son métier à Saïgon, au Vietnam alors que la guerre y fait rage. Très vite, il rejette ces « milieux français qui puaient le colonialisme finissant » et se prend d’aversion « pour ces soldats américains qui « libéraient » le peuple dans l’apocalypse et l’humiliation ».
À ses heures perdues et durant les vacances scolaires, il sillonne à moto, en voiture et même en bateau de pêche le Sud Vietnam, tout en notant les souvenirs de ses périples dans un petit carnet noir. Lentement mais sûrement, la colère envers la guerre grandit car dans le Sud Vietnam aussi, elle fait des ravages.
Le saccage d’un pays
« J’ai vu, de mes yeux vu, dans tout le sud du Vietnam, le saccage systématique d’un pays, le massacre organisé du peuple des campagnes », écrit-il dans son ouvrage, livrant « sa honte insoutenable d’être un témoin impuissant » des incendies, viols et tueries qui avaient cours.
« On arrachait les gens à leurs villages et on les parquait dans des camps, sans moyens de subsistance. D’un peuple fier, qui était autosuffisant même dans la pauvreté, on en faisait des gens privés de leur dignité, de leur culture, qui devaient quémander ou se prostituer… »
Le drapeau de la révolte
Alors un beau jour de juillet 1970, avec un compatriote français, coopérant comme lui, il brandit le drapeau « de l’exaspération et de la révolte », l’étendard du Front de libération nationale, en escaladant la statue des deux marines, en plein cœur de Saïgon, et en jetant des tracts en vietnamien pour demander le retrait des troupes étrangères.
« Ce n’était pas un acte politique, dans le sens affilié à un parti, communiste en l’occurrence. C’était juste pour donner une voix à ceux qui n’en avaient plus et témoigner de ce que l’on avait vu pour réclamer la paix ».
Deux ans et demi en prison
Arrêté, jugé et condamné, André Menras passe deux ans et demi en prison, dans des conditions difficiles – hygiène ou salubrité quasi inexistantes, bastonnades… Mais en nouant des amitiés indéfectibles. Quand il est enfin libéré en décembre 1972, il revient en France et reprend son métier d’enseignant mais sans rien renier des liens qu’il a forgés là-bas.
Maîtrisant la langue, « je parlais déjà un peu le vietnamien et j’ai appris à l’écrire pour communiquer clandestinement en prison », il est reçu avec les honneurs en 2002 par le Parti communiste au pouvoir et est le premier étranger à recevoir, en 2009, la nationalité vietnamienne des mains du Président de la République.
De l’espoir à la désillusion
Mais l’espoir cède vite le pas à la désillusion quand il constate l’emprise du « grand frère » chinois, un ogre aux appétits sans limites, sur l’État vietnamien. « J’avais, dès 2005, des divergences de vues importantes avec le régime car des journalistes étaient emprisonnés pour avoir dénoncé la corruption ou parce que le gouvernement avait attribué à la Chine le monopole de l’exploitation de la bauxite ».
Son documentaire sur les veuves des pêcheurs de l’archipel des Paracels, agressés par les Chinois, a d’ailleurs été censuré sur place, tout comme ses écrits finissent par l’être. Pour autant, André Menras ne veut rien céder. Il est l’auteur notamment du film, « Un cri qui vient de l’intérieur », sur la répression des démocrates au Vietnam.
Un régime policier
« C’est un régime policier, gangrené par la corruption et sous l’emprise de Pékin. Une fois de plus, les gens sont bâillonnés », s’émeut-il. Mais le pays ne fait plus l’actualité ici. À peine un entrefilet pour évoquer les pluies torrentielles, inondations et glissements de terrain meurtriers il y a deux semaines. Ou pour s’étonner de cet afflux de réfugiés vietnamiens à Calais.
Lettre ouverte
André Menras vient de signer une lettre ouverte avec 90 académiciens, journalistes, diplomates et chercheurs vietnamiens de l’étranger pour exiger la libération d’un journaliste Vietnamien (Huy Duc), arrêté en juin 2024 et dont on n’a pas de nouvelles. La pétition est parue au moment où le nouveau secrétaire général du Parti et Président de la République est arrivé à New-York, pour participer à l’Assemblée générale des Nations Unies du 22 au 27 septembre.
Alors, début novembre, il repartira là-bas pour un autre documentaire. Parce que malgré tout, « comme quand j’avais 20 ans, je persiste à croire qu’il n’y a pas de fatalité à la misère, à l’oppression et au malheur ».Jeudi 10 octobre, à 18 h, la Cimade (14 rue de la Rotonde) organise, avec l’association Adep France-Vietnam, une soirée avec André Menras autour du livre « Vietnam, entre le meilleur et le pire », avec projection du film « Un cri de l’intérieur.
Par Diane Petitmangin – Midi Libre – 29 septembre 2024
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