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Agent orange : l’ombre de la guerre – chapitre 3

Les Américains ont perdu la guerre après des millions de litres d’agent orange déversés sur la jungle. Qui doit être tenu pour responsable ? L’Etat fédéral américain ? Les grandes firmes agrochimiques ? Pour les victimes, la réponse est a priori claire : c’est l’Etat fédéral. 

Sauf que cet Etat fédéral bénéficie de l’immunité pour tout acte commis en temps de guerre. Restent alors les grandes firmes agrochimiques. C’est contre ces dernières que les vétérans américains se retournent pour leur demander réparation et les mettre face à l’écrasante responsabilité d’avoir produit ou commercialisé l’agent orange en le rendant particulièrement toxique, et ce, en parfaite connaissance de cause.

Dans le cadre de ce dossier thématique sur l’Agent orange, Le Petit Journal souhaite offrir à son lectorat un aperçu aussi exhaustif sur l’aspect historique, politique, scientifique et médical. Retrouvez les deux premiers épisodes « Agent orange – chapitre 1 » ainsi que « Agent orange – chapitre 2 ».

Dès les années 1970, des vétérans américains de la guerre du Vietnam lancent une action collective contre Monsanto et six autres producteurs d’agent orange.

En 1984, Monsanto, Dow chemical et cinq autres entreprises accusées signent un accord à l’amiable avec les associations de vétérans en échange de l’arrêt de toute poursuite. Les vétérans, eux, acceptent cet accord transactionnel pour recevoir les indemnités dont ils ont besoin, mais ils le font de guerre lasse, au sens propre comme au sens figuré.  Les firmes agrochimiques, elles, versent la somme de 180 millions de dollars à un fonds de compensation. Presque 40.000 des 68 000 vétérans reçoivent ensuite entre 256 et 12 800 dollars, selon la gravité des cas.

Poursuites judiciaires et dédommagements

Les Etats-Unis n’en ont pourtant pas fini avec l’agent orange puisqu’en 2005, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange présente un recours collectif contre onze fabricants d’herbicide (dont Dow Chemical et Monsanto) pour crime de guerre et crime contre l’humanité. La première séance du procès a lieu le 1er mars 2005, à New York. 10 jours plus tard, la cour rejette la plainte, en arguant que l’agent orange n’est pas un poison au regard du droit international, et qu’il n’y a donc pas d’interdiction d’utiliser un herbicide.

Dans d’autres pays aussi, on s’active. En Corée du Sud, par exemple, environ 20.000 vétérans du Vietnam vont ainsi porter plainte contre les deux principaux fabricants d’herbicide, Monsanto et Dow chemical. Après avoir perdu en première instance en 2002, ils vont faire appel et obtenir gain de cause le 26 janvier 2006. La justice condamne les deux firmes américaines à verser 62 millions de dollars à 6.800 personnes.

En 2013, la justice sud-coréenne ira jusqu’à reconnaître, par l’intermédiaire de sa Cour suprême, la responsabilité de Monsanto et de Dow chemical dans les maladies de peau développées par les vétérans, en tenant pour établie la « corrélation épidémiologique » avec l’agent orange.

Le combat d’une vie

Mais à elle-seule, une femme va incarner le combat des victimes de l’agent orange. Tran To Nga – c’est son nom – est franco-vietnamienne, aujourd’hui âgée de 82 ans.

Journaliste pendant la guerre du Vietnam, elle est directement contaminée par l’agent orange. Les nombreuses maladies qu’elle développe ensuite lui font rapidement prendre conscience de la gravité de la situation. Aussi décide-t-elle d’intenter un procès à plusieurs multinationales américaines, parmi lesquelles Monsanto et Dow chemical, pour obtenir justice et réparation, aussi bien pour elle-même que pour toutes les victimes dont elle va se faire le porte-étendard.

C’est en France qu’a lieu la procédure, et plus précisément à Evry, au sud de Paris, où les audiences débutent le 25 janvier 2021.

Le tribunal d’Évry, justement, va refuser de statuer sur la responsabilité des multinationales. Il va retenir que ces dernières ont agi « sur ordre et pour le compte de l’État américain, dans l’accomplissement d’un acte de souveraineté » et qu’en conséquence, elles peuvent se prévaloir de « l’immunité de juridiction » reconnue ordinairement aux États étrangers. Cette conclusion est, aujourd’hui encore, largement contestée.

C’est du reste en faisant appel de ce verdict que Tran To Nga a vu sa plainte rejetée une nouvelle fois à la fin du mois d’août dernier (le Petit journal s’en était fait l’écho). Mais affaire à suivre puisqu’elle a décidé de se pourvoir en cassation. « Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle », a-t-elle prévenu, misant en cela sur un soutien de plus en plus large au sein de l’opinion publique.

Une mobilisation planétaire

Tran To Nga n’est pas seule dans ce combat, loin s’en faut. Au Vietnam, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange (V.A.V.A – https://vava.org.vn/) s’emploie à mobiliser le ban et l’arrière ban de la communauté internationale pour venir en aide aux victimes et faire valoir leurs droits. Créée en 2004, c’est avant tout une organisation humanitaire qui gère plusieurs centres de soins et de réhabilitation fonctionnelle, qui travaille à la décontamination des sols et qui prend en charge une partie des traitements médicaux et de l’assurance maladie des victimes. Mais la V.A.V.A offre aussi des bourses d’études et des fournitures scolaires à des enfants de victimes ou des enfants handicapés.

Basé en France, le collectif Vietnam Dioxine (http://vietnamdioxine.org/) regroupe quant à lui des bénévoles et des associations partenaires. Il lutte pour la reconnaissance officielle et les réparations. C’est une association qui a pour but de créer un élan de solidarité vis-à-vis des victimes ; de soutenir ces dernières (y compris financièrement), de contribuer à leur reconnaissance mémorielle, sociétale et judiciaire ; de sensibiliser et d’informer le grand public sur l’agent orange et ses conséquences actuelles au Vietnam ; de soutenir les luttes pour la justice sociale, raciale et environnementale ; et ad finem se constituer partie civile dans toutes les procédures ayant pour requérants des victimes de l’agent orange. Pour sensibiliser le grand public, le collectif organise avec des associations partenaires et des personnalités publiques, des conférences, projections, débats, podcasts, webinaires.

Lepetitjournal.com – 13 novembre 2024

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