Des robes safran pour sauver les forêts du Cambodge
À Prey Lang, les Kouy célèbrent chaque année l’ordination des arbres, une cérémonie spirituelle et militante. Drapés de robes safran, ces arbres sacrés deviennent un rempart symbolique contre la déforestation.
Chaque année, entre janvier et mars, un rituel unique se perpétue au cœur de Prey Lang. Les Kouy, minorité ethnique cambodgienne, se rassemblent pour honorer les esprits de la forêt et renforcer leurs liens communautaires. Cette année, la cérémonie aura lieu les 14 et 15 février dans la communauté forestière de Chheu Teal Pres, à Stung Treng.
Mais ce n’est pas une simple fête. C’est un acte de foi, un cri du cœur contre la destruction de leur forêt ancestrale.
Des robes safran pour protéger les arbres
Le moment fort ? L’ordination des arbres. Drapés de robes safran, comme des moines bouddhistes, ils deviennent intouchables. Ce rituel, accompagné de prières et de chants sacrés, est bien plus qu’un symbole : il vise à dissuader les bûcherons illégaux.
« Certains ont pris peur et ont fait demi-tour en voyant ces robes », raconte Hoeun Sophap, organisateur de la cérémonie et membre du réseau communautaire de Prey Lang. Car ici, chaque arbre ordonné devient un gardien, un rappel puissant que la forêt n’est pas un bien à exploiter, mais un sanctuaire à respecter.
Une forêt en danger
Avec ses 5 000 km² s’étendant sur quatre provinces (Kampong Thom, Kratie, Preah Vihear et Stung Treng), Prey Lang est une bouffée de vie pour plus de 250 000 autochtones. Pourtant, malgré son statut de sanctuaire faunique depuis 2016, la forêt recule face aux coupes illégales.
Depuis 2019, les autorités multiplient les interdictions. Les rangers du ministère de l’Environnement empêchent la tenue des cérémonies dans certaines zones protégées. En 2021, le ministère est même allé jusqu’à organiser sa propre ordination des arbres après avoir refusé celle des Kouy. Mais la communauté ne se laisse pas faire. Chaque année, elle trouve un autre lieu, un autre moyen de faire vivre la tradition.
Résister, encore et toujours
« La déforestation a bouleversé nos traditions, nos pratiques, notre lien à la forêt », déplore Sophap, engagé dans la lutte contre l’exploitation illégale depuis 2006. Il se souvient de 2013 comme d’une année noire : l’arrivée d’entreprises bénéficiant de concessions foncières a accéléré la destruction de la forêt.
Mais les Kouy ne cèdent pas. « Nous continuons nos rituels, nous prions pour que les esprits de la forêt nous aident à stopper cette destruction », affirme Sophap. Plus qu’une cérémonie, l’ordination des arbres est devenue un symbole de résistance. Un espoir suspendu aux branches de Prey Lang.
Par Teng Yalirozy – Cambodianess / Lepetitjournal.com – 13 février 2025
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