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Des centaines de «cyberesclaves» libérés d’un centre d’escroquerie en Birmanie

Plus de 260 ressortissants étrangers, employés sous la contrainte dans des centres d’escroquerie en ligne en Birmanie, ont été libérés et remis aux autorités thaïlandaises. Cette opération s’inscrit dans le cadre d’une répression accrue contre le trafic d’êtres humains et la fraude informatique le long de la frontière entre les deux pays.

Un groupe rebelle birman DKBA (Democratic Karen Buddhist Army), qui a récemment effectué un raid contre des centres d’escroquerie dans la région, a remis les victimes aux autorités thaïlandaises le 12 février. Les personnes transférées en Thaïlande travaillaient dans un centre situé à Kyauk Khet, un village de l’État Karen en Birmanie près de la frontière entre les deux pays, selon DKBA, qui contrôle cette zone.

Transportées par bateaux sur la rivière frontalière, elles ont été débarquées sur la rive thaïlandaise 30 km plus au sud, à Phop Phra, selon un journaliste de l’AFP. « Il y a actuellement 261 personnes, mais le nombre final doit encore être confirmé », a déclaré Natthakorn Rueantip, un officier de l’armée thaïlandaise à Mae Sot. 

Les étrangers doivent être interrogés avant d’être renvoyés dans leurs pays d’origine avec la coordination de leurs ambassades, ont indiqué les autorités thaïlandaises, qui veulent vérifier leurs antécédents. Comme dans les cas précédents, on s’attend à ce que les autorités découvrent que certains ont été victimes de trafic tandis que d’autres ont accepté ces emplois de leur plein gré.

Le commandant de la DKBA a contacté mardi un membre du Parlement thaïlandais pour organiser la remise des 260 travailleurs. Les dernières informations font état de 221 hommes et 39 femmes, en majorité originaires d’Afrique et d’Asie. « Nous livrons aujourd’hui tous ceux que nous trouvons, mais le processus est difficile. Le département de l’immigration de la junte [birmane] formule des exigences et le terrain est difficile. Nous devons récupérer les victimes nous-mêmes avant de les transférer aux autorités thaïlandaises les plus proches », a déclaré le chef d’état-major du DKBA, Saw San Aung, à Voice of America (VOA). 

Cyberesclavage

Construits comme des forteresses et gérés par des réseaux criminels, les centres d’escroquerie emploient par la force des milliers de personnes de diverses nationalités, auxquelles il est demandé d’arnaquer leurs compatriotes par téléphone ou internet. Une industrie qui, selon les analystes, vaut des milliards de dollars et dont l’ampleur réelle est difficile à estimer, en raison de sa nature clandestine et de lacunes dans la réponse des autorités.

Les escrocs recherchent des travailleurs possédant des compétences dans les langues des personnes ciblées par la cyberfraude, généralement l’anglais et le chinois. Les gens de la région sont souvent attirés par des promesses d’emplois bien rémunérés, mais ils sont ensuite retenus en otage. Ils sont contraints de mener des activités criminelles allant des escroqueries amoureuses et de la fraude aux crypto-monnaies, au piratage de carte bleu, blanchiment d’argent et aux jeux de hasard illégaux. Ces travailleurs deviennent ce que certains médias et ONG qualifient de « cyberesclaves ». 

Un secouriste et témoin oculaire qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, a déclaré à VOA lors d’une interview téléphonique mercredi que les gangs forçaient les victimes de trafic « à atteindre des objectifs de revenus mensuels allant jusqu’à 50 000 dollars. Si elles échouaient, elles étaient torturées. Elles n’étaient autorisées à dormir que deux à trois heures par jour et travaillaient sans interruption. Elles étaient enfermées dans des cellules obscures et soumises à des abus continus. »

L’ONU estime que ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui travaillent aujourd’hui dans ces centres d’appel clandestins. Si des citoyens chinois et originaires d’Asie du Sud-Est restent majoritaires dans ces réseaux, les victimes libérées évoquent la présence de nombreux ressortissants africains contraints de travailler dans ces centres. Parmi les nationalités des personnes libérées le 12 février, on compte des ressortissants d’Éthiopie, du Kenya, du Nigeria, de Tanzanie, du Burundi, du Ghana et d’Ouganda.

Un phénomène en plein essor qui inquiète

Le problème des centres d’appel et de l’explosion de la criminalité en Birmanie, qui s’enfonce dans la guerre civile, inquiète les autorités en Asie du Sud-Est, car le phénomène semble complètement hors de contrôle ces dernières années. Sous l’effet combiné d’un durcissement des législations en Chine et au Cambodge et surtout de l’effondrement de l’État de droit en Birmanie depuis le coup d’État de février 2021, les réseaux criminels fleurissent dans le pays. Le trafic de drogue et d’êtres humains explose, porté par le vide institutionnel et l’absence de régulation et d’application de la loi dans ces zones.

Face au phénomène, le gouvernement thaïlandais a bloqué début février l’accès à l’électricité dans plusieurs régions birmanes limitrophes, connues pour héberger un vaste réseau criminel d’arnaque et de traite humaine. Le ministre thaïlandais de la Défense, Phumtham Wechayachai, a justifié cette mesure en déclarant que c’était une question de « sécurité nationale » pour le royaume. Les règles bancaires et de visa ont également été renforcées pour tenter d’empêcher les escrocs d’utiliser la Thaïlande comme pays de transit pour déplacer des travailleurs et de l’argent.

Le gouvernement a déployé davantage de forces de sécurité le long de la frontière pour faire face à tout afflux éventuel de personnes libérées des centres d’appel, a déclaré M. Phumtham. Il a aussi précisé que la Thaïlande assouplirait les sanctions sur la fourniture de services internet, de carburant et d’électricité si les autorités birmanes prouvaient qu’elles n’étaient pas impliquées dans ces réseaux.

Une source de tension non seulement avec la Thaïlande, mais aussi avec la Chine, pour qui le démantèlement de ces organisations est devenu une priorité. Pékin a mis la pression à la fois sur la junte au pouvoir et sur les groupes armés actifs dans le nord du pays. La Chine, l’un des principaux fournisseurs d’armes de la junte birmane, mais qui entretient également des liens avec les groupes rebelles locaux, a demandé à plusieurs reprises aux autorités en Birmanie de mettre fin à ce marché.

À la faveur de la pandémie

Ces réseaux ont profité de la pandémie de Covid-19, explique un rapport de l’ONU de 2023. Les mesures de riposte mises en place pour contrer la crise sanitaire ont eu un impact considérable sur certaines activités, entraînant notamment la fermeture de casinos dans de nombreux pays. Ces activités ont été déplacées vers des zones moins réglementées, telles que les zones frontalières touchées par des conflits.

Au même moment, la pandémie a accru la vulnérabilité de nombreux migrants, qui se sont retrouvés du jour au lendemain bloqués dans des pays loin de chez eux et sans emploi. Tandis que les confinements généralisés ont favorisé le nombre de personnes en ligne susceptibles d’être arnaquées.

Les experts de l’Institut des États-Unis pour la paix estiment que les profits générés par cette industrie clandestine sont principalement blanchis dans le secteur de l’immobilier à travers le monde. Mais ils servent aussi à financer certaines élites politiques de la région, au Laos, Cambodge et Birmanie par exemple, en échange de leur collaboration implicite. 

Radio France Internationale – 13 février 2025

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