Cambodge : dans les campagnes infestées de mines, le gel des aides américaines met des vies en danger
Au Cambodge, les opérations de déminage sont considérablement ralenties par le gel des aides américaines. Véritable fléau pour les habitants des campagnes, ces mines continuent de causer des blessés et des morts.
Le gel des aides américaines a mis sur pause une partie des opérations de déminage au Cambodge, où des explosifs laissés par trois décennies de conflits continuent de menacer des milliers de vies. Yeat Saly, onze ans, gardait des vaches dans une région rurale du pays, lorsqu’il est tombé sur un obus niché dans le tronc d’un hévéa, le 5 février dernier.
« Je pensais que c’était un simple bout de métal. Je l’ai lancé, et ça a explosé », raconte le garçonnet, depuis son lit d’un hôpital financé par la Chine, à Tboung Khmum (est). « Un éclat est toujours là », explique-t-il, en se touchant le front. Des bandages recouvrent aussi un poignet, une cuisse et une cheville.
Mines laissées par l’armée américaine
À des milliers de kilomètres de Washington, les communautés rurales et pauvres du Cambodge ressentent déjà les effets du gel massif des aides américaines, et le démantèlement attendu de l’agence qui l’organise, USAID, accusée par le président Donald Trump de malversations, sans apporter de preuves.
Les États-Unis ont longtemps financé les efforts pour nettoyer un territoire infesté par les mines et autres munitions non-explosées, laissées en partie par l’armée américaine. Les États-Unis ont largué des milliers de tonnes de bombes sur le Cambodge, accusé d’abriter des insurgés communistes, durant la guerre du Vietnam. Les mines ont fait 65 000 victimes, dont 20 000 morts depuis 1979 dans le pays.
Une « montagne de demandes »
Aujourd’hui, une partie des opérations de déminage sont à l’arrêt, ce qui affecte quelque 1 000 démineurs et experts, selon les autorités locales, alors qu’il reste à passer au peigne fin plus de 1 600 km², où vivent environ un million de personnes. Le Cambodge est le pays dans le monde qui a décontaminé le plus large territoire en 2023, soit 167 km², selon le dernier rapport annuel de l’Observatoire des mines.
Le royaume est réputé pour son expertise en la matière, et a contribué récemment à la formation de démineurs ukrainiens. « Nous avons reçu une montagne de demandes, et on ne peut pas y répondre. Nous avons tellement de regrets », regrette Moch Sokheang, 36 ans, démineuse depuis vingt ans.
Chea Sokha a perdu un œil à la suite de l’explosion d’une vieille bombe, alors qu’il jouait dans un champ, à l’âge de cinq ans. Aujourd’hui âgé de 38 ans, il soupçonne la présence d’explosifs dans la rizière qu’il cultive dans la province de Svay Rieng, près de la frontière vietnamienne. « Avant, nous labourions les rizières avec des vaches ou des buffles, donc nous n’étions pas si inquiets. Mais maintenant, nous utilisons de grosses machines, alors nous craignons de rouler dessus », explique-t-il.
Objectif 2030
Les opérations de déminage ont permis de diminuer considérablement le nombre de victimes tuées ou blessées, de 858 en 2000, à 32 en 2023, selon l’Observatoire des mines. Le pays espère se débarrasser de toutes ses mines en 2030 – un objectif initialement fixé à 2025, mais repoussé après la découverte de nouveaux champs contaminés près de la frontière thaïlandaise. Après l’annonce d’un gel de l’aide américaine, qui a fait l’effet d’un séisme pour les ONG du monde entier, la Chine, un allié de longue date de Phnom Penh, a promis en février de verser 4,4 millions de dollars pour les opérations de déminage.
Mais l’aide chinoise ne représente pas la moitié des fonds apportés par Washington, estimés à 10 millions de dollars par an. « Le gel des aides va provoquer plus d’accidents. Il reste encore beaucoup de munitions non-explosées », explique Keo Sarath, directeur régional du Centre cambodgien d’action contre les mines (CMAC).
Dans le village de Banteay Kraing, à quatre heures de route de la capitale Phnom Penh, des journalistes de l’AFP ont vu un obus rouillé entre deux arbres, signalé simplement par un ruban de la police. Som Khatna a déclaré que son époux avait déterré l’explosif en janvier, alors qu’il entamait des travaux pour construire les fondations d’une maison. « Je suis tellement inquiète à l’idée que des enfants viennent et jouent avec », concède la grand-mère de 59 ans.
Sud Ouest avec Agence France Presse – 20 février 2025
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