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9 mars 1945 : S.O.S Indochine – chapitre 1

En cette année 2025, le Vietnam célèbre le cinquantenaire de la fin de la guerre, le 30 avril 1975. Mais cette année 2025 est aussi le 80e anniversaire d’un autre évènement, antérieur de 30 ans à la prise de Saïgon, et sans lequel, rien n’eût été possible: le coup de force des Japonais du 9 mars 1945. Le Petit Journal vous propose donc de revivre cette page tragique et méconnue de notre Histoire, qui est pourtant le premier acte des guerres d’Indochine…

9 mars 1945. Il est un peu plus de 19 heures lorsque l’Ambassadeur du Japon présente un ultimatum à l’Amiral Decoux, le Gouverneur général de l’Indochine française, lui enjoignant de faire passer tous les fonctionnaires et militaires français sous la tutelle de l’armée du Mikado.

Deux heures plus tard, face au refus de Decoux, les Japonais passent à l’attaque. Dans toute l’Indochine, on va alors assister une à véritable Saint Barthélémy des Français. Viols, exécutions sommaires, massacres, déportations… Les soldats japonais réalisent un coup de force que personne n’avait vu venir, et en une nuit, la souveraineté française est balayée.

Du jour au lendemain, les quelques Français qui ne sont pas enfermés dans les prisons japonaises sont contraints de vivre terrés, dans l’angoisse et le dénuement. Ni les femmes, ni les enfants n’échappent à la main de fer de la Kempetaï, l’équivalent nippon de la Gestapo.

A Hue, Bao Daï sort de son impériale réserve et proclame que le Vietnam est désormais indépendant, quoique déterminé à collaborer avec le Japon et à rejoindre la « sphère de coprospérité de la grande Asie orientale ».
Le Japon ! En cette année 1945, l’empire du soleil levant est partout sur le reculoir et la question n’est plus de savoir si les soldats du Mikado vont perdre leur guerre mais quand et surtout à quel prix.

Il n’en demeure pas moins que l’un des buts de cette guerre menée par le Japon de Hiro Hito est de « redonner l’Asie aux Asiatiques », autrement dit de mettre fin au colonialisme.

Le premier acte des guerres d’Indochine

Ce coup de force de mars 1945 s’inscrit bien évidement dans cette logique, mais il va avoir de graves conséquences pour l’Indochine, et plus singulièrement pour le Vietnam.

Autant le dire d’entrée de jeu, le régime colonial instauré par la France à la fin du XIXe siècle ne pourra jamais être rétabli dans toute sa plénitude… Mais il faudra quand même 30 années de guerre au Vietnam pour retrouver son indépendance et son intégrité territoriale.

Ce 9 mars 1945 est en fait le tout premier acte des guerres d’Indochine. C’est un épisode qui est tombé dans les oubliettes de l’Histoire mais qui est pourtant fondamental. Pour ce qui est des Français de l’Indochine, une véritable chape de plomb s’est abattue sur eux, qui ont été assimilés beaucoup trop hâtivement à des « collabos » pour avoir vécu dans un pays en paix alors que partout ailleurs, la guerre faisait rage.

En cette année 2025, le Vietnam célèbre le cinquantenaire de la fin de la guerre. En France, les victimes du coup de force de mars 1945 en Indochine (cela fera 80 ans cette année) ont depuis longtemps rejoint le long cortège des oubliés de l’Histoire. Mais en réalité, il n’y aurait pas eu de 30 avril 1975 s’il n’y avait pas eu de 9 mars 1945…

Et pourtant… Il s’en est fallu de peu pour que l’Indochine française sorte indemne de la Seconde guerre mondiale.

1940, le Japon bouscule la France en Indochine

Lorsqu’en mai 1940, le maréchal Pétain signe l’armistice de Rethondes, la « perle de l’empire » – ainsi surnomme-t-on l’Indochine – se retrouve totalement isolée de la métropole, et sous la menace directe des soldats japonais, lesquels sont en guerre contre la Chine de Tchang Kaï Chek depuis 1937 et veulent absolument contrôler la ligne de chemin de fer Haïphong-Kunming.

C’est alors le général Georges Catroux qui est Gouverneur général de l’Indochine. Face à la pression nippone (trois divisions à la frontière nord…), il interdit dès le 16 juin le transport de carburant vers Kunming, qui est en ces années-là la capitale provisoire de la Chine.

Mécontent de cette initiative, le gouvernement de Vichy le limoge et le fait remplacer par l’Amiral Jean Decoux. La passation de pouvoir a lieu le 22 juillet. Catroux, lui, en profite pour rejoindre De Gaulle à Londres en laissant à son successeur le soin de poursuivre les négociations qu’il a entamées avec l’armée impériale japonaise, dont les incursions en territoire indochinois sont de plus en plus fréquentes.

Le 30 août, un premier accord est signé, par lequel la France de Vichy reconnaît la position privilégiée du Japon en Extrême-Orient. Le 22 septembre, un nouvel accord met à disposition des Japonais trois aérodromes (Gia Lam, Lao Cai et Phu Lang) et autorise un maximum de six mille soldats à transiter par le Tonkin, au nord du fleuve Rouge.

Le même jour et en dépit de cet accord conclu, l’armée japonaise basée dans le sud de la Chine lance 25.000 combattants sur le Tonkin. En face, les Français n’ont que 5.000 hommes à aligner.

C’est essentiellement autour de Lang Son qu’ont lieu les combats. Ils vont durer quatre jours et se solder par de lourdes pertes, côté français. Le quartier général nippon finit néanmoins par ordonner un cessez-le-feu. Quant à Decoux, il est obligé de céder et d’autoriser les soldats du Mikado à faire de l’Indochine une véritable base arrière, pourvu qu’ils y respectent – et c’est là l’essentiel aux yeux de l’Amiral – la souveraineté française.

Le fait est que les Japonais vont effectivement respecter la souveraineté française en Indochine, au moins en apparence. Dès le 5 octobre, les prisonniers de Lang Son sont libérés (il y a eu 800 morts, tout de même…) et lorsque vingt jours plus tard, l’administration française reprend possession des lieux, le général Nakamura lit un message de l’Empereur Hiro Hito, lequel exprime son « regret profond pour l’incident de Lang Son ». On en reste donc à une sorte de gentleman’s agreement qui augure un long jeu de dupes entre Français et Japonais.

« Qu’on se représente un territoire situé à l’autre extrémité du monde, coupé de communications avec l’extérieur, devant pourvoir, lui-même, à tous ses besoins et dont le chef, face à un Japon enivré par ses victoires sur les puissances occidentales et qui proclame que l’Asie doit être désormais aux Asiatiques, n’a pour répondant qu’une nation vaincue, qu’un pays aux trois quarts occupé ! », dira Claude de Boisanger, le directeur du service diplomatique de Decoux.

Une victoire volée

La relative facilité avec laquelle le Japon lui a imposé ses conditions met la France en position de faiblesse et incite certains pays à en profiter, à commencer par la Thaïlande, qui va vouloir annexer plusieurs provinces appartenant au Laos et au Cambodge, c’est-à-dire à l’Indochine. S’en suit une guerre franco-thaïlandaise, véritable « guerre dans la guerre », qui se solde par une victoire de la marine française à Koh Chang en janvier 1941, suite à laquelle les Japonais offrent leur médiation… et imposent finalement à la France la cessation des territoires en litige.

Mais ce n’est pas tout. Le 16 mai 1941, un accord passé avec le gouvernement de Vichy reconnait au Japon le statut de « nation la plus favorisée », ainsi que d’importants avantages en nature, incluant des concessions minières et des livraisons de riz. Un peu plus de deux mois après, le 29 juillet, un protocole franco-nippon permet aux forces japonaises de stationner dans toute l’Indochine, laquelle reste en principe sous l’autorité du régime de Vichy.

Faut-il le préciser ? A aucun moment, Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens n’ont été consultés ou associées un tant soit peu à toutes ces décisions, et pour eux, ces années vont être vécues comme une « double occupation ».

Jeunesse et sports

Curieusement, cette Indochine pétainiste va faire des progrès notoires vis-à-vis des populations locales. Interdiction de tutoyer les indigènes (le mot est encore en vogue à l’époque), relative liberté de la presse, construction d’écoles… Ce sont des mesures souvent symboliques, mais qui témoignent d’une volonté évidente, de la part de Decoux, de ne pas laisser les populations indochinoises sous la seule influence du Japon, lequel va, de son côté, encourager divers mouvements nationalistes et jouer la carte du « grand frère asiatique ».

Le fait est que depuis la bataille de Tsushima en 1905, le Japon est auréolé du prestige d’être le premier pays asiatique à avoir vaincu une grande puissance européenne, la Russie tsariste en l’occurrence. Mais surtout, le Japon impérial entretient depuis longtemps des liens étroits avec le nationalisme vietnamien, dont deux figures emblématiques, le prince Cuong De et Phan Boi Chau, ont trouvé en Tokyo une terre d’exil.

En Indochine, cette cohabitation forcée franco-japonaise va donner lieu à un véritable affrontement à fleuret moucheté qui a lieu sur le terrain des politiques culturelles. La propagande vichyste, elle, s’efforce de faire vibrer la corde traditionaliste, en associant par exemple la célébration de Jeanne d’Arc à celle des sœurs Trung.

Mais c’est surtout sur le terrain des sports que Jean Decoux va se montrer actif. Il peut compter pour cela sur Maurice Ducoroy, son zélé commissaire général à l’Education physique, aux sports et à la jeunesse, qui va s’atteler à faire des jeunes Indochinois des jeunes gens forts et utiles à leurs pays et surtout à l’empire.

Sa devise ? « Soyons forts, les faibles sont des inutiles ou des lâches »

Le mouvement de jeunesse qu’il met en place un peu partout dans l’Indochine s’inspire ouvertement du scoutisme et surtout des « Chantiers de la jeunesse française », alors très répandus en métropole. Plus de 100.000 jeunes Indochinois vont ainsi apprendre à chanter « Maréchal nous voilà », à défiler au pas de l’oie, à faire le salut fasciste, à faire des courses au flambeau. Ironie de l’Histoire, ces mêmes jeunes deviendront pour la plupart d’entre eux, des cadres du Vietminh quelques années plus tard.

Certaines initiatives prises durant cette période méritent que l’on s’y attarde, à commencer par le tour d’Indochine, course cycliste dont la 1ère édition a lieu de 1942 à 1943, et qui voit s’affronter des équipes issues des cinq Ky (Cochinchine, Annam, Tonkin, Laos, Cambodge) ainsi que des coureurs français : c’est une véritable opération de promotion de la « fédération indochinoise », qui est un cadre politique mis en avant à titre d’antidote au nationalisme vietnamien.

C’est donc une sorte de modus vivendi qui prévaut, entre Français et Japonais, qui entretiennent des relations courtoises, mais bien non dépourvues d’arrières pensées. Pour les premiers, il s’agit de faire le dos rond en attendant des temps meilleurs. Pour les seconds, il y a un avantage évident à pouvoir faire de l’Indochine une base arrière, au moins dans un premier temps…

Lepetitjournal.com – 22 février 2025

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