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9 mars 1945 : S.O.S Indochine – chapitre 2

1944. Depuis près de quatre ans, maintenant, l’Indochine française fait figure d’exception, aussi bien au sein de l’empire colonial puisqu’elle est le seul territoire à ne pas avoir rallié la France libre du Général De Gaulle, qu’au sein de l’Asie orientale où partout ailleurs, la guerre dite « du Pacifique » fait encore rage.

Le Petit Journal vous propose de revivre cette page tragique et méconnue de notre Histoire « 9 mars 1945 : S.O.S Indochine ». L premier chapitre revient sur le coup de force des soldats japonais qui, en une nuit, balaye la souveraineté française.

Revenons donc à cette guerre dite « du Pacifique » …

Cette exception indochinoise est due à des accords conclus entre le Japon impérial et le régime de Vichy du Maréchal Pétain auquel l’Indochine reste fidèle, d’autant plus fidèle qu’elle a pour Gouverneur général l’Amiral Jean Decoux, qui est lui-même un fervent partisan de la révolution nationale prônée par l’Etat français.

La présence française en Indochine

L’Indochine reste donc un havre de paix. La souveraineté française y est de fait respectée, et d’abord par les Japonais qui ont obtenu de larges concessions de la part de Vichy et qui ont ainsi à leur disposition une véritable base arrière au sud de la Chine.

La courtoisie de façade qui prévaut alors dans les relations franco-nippones masque une réalité beaucoup plus complexe. Le Japon impérial n’a en effet aucunement renoncé, ni à ses visées panasiatiques ni surtout à l’un de ses principaux buts de guerre qui est de rendre l’Asie aux Asiatiques. Aussi tente-t-il de rallier les différents groupes nationalistes –  vietnamiens notamment – à sa « grande sphère de coprospérité de l’Asie orientale ». La Kempetaï, la redoutable police nippone, s’y emploie en sous-main.

Quant aux Français, leur principal souci est de durer, de maintenir le statu quo en attendant le départ des Japonais, dont la perspective se précise à mesure que les Américains avancent dans le Pacifique. Signe des temps, le traditionnel Cognac-soda a été remplacé par le paddy-soda, une sorte d’ersatz absolument infâme qui rappelle que malgré tout, les temps sont difficiles.
Cela étant, ces Français d’Indochine sont loin d’être tous aussi attentistes, loin s’en faut. Certains d’entre eux sont entrés en résistance, choisissant ainsi la voie de l’aventure et de la gloire. La gloire en moins …

Quatre réseaux clandestins vont voir le jour au sein des bureaux du Service de Renseignement Inter-colonial (réseaux « Giraud-Lan », « Graille », « Maupin-Levain » et « Mingant »), trois autres au sein de la société civile (« Nicolau-Bocquet », « Plasson » et « Tricoire »), auquel il faut ajouter « Bjerring », a priori le seul réseau voué à l’action, les autres se consacrant essentiellement au renseignement à destination des Alliés et de la France libre.

Cette dernière a déclaré la guerre au Japon impérial dès décembre 1941. Le Général De Gaulle, pour qui l’Indochine est « un grand navire désemparé qui s’éloigne dans la brume », estime en effet que la France ne pourra jouer un rôle dans le règlement de la guerre du Pacifique que si elle y participe pleinement. Aussi encourage-t-il les mouvements de résistance qui se mettent en place. 

« Il était essentiel, écrira-t-il dans ses Mémoires, que le conflit ne s’achevât pas sans que nous fussions, là aussi, devenus des belligérants. Si nous prenions part à la lutte, fût-elle près de son terme, le sang versé sur le sol de l’Indochine nous serait un titre imposant »

Le 8 décembre 1943, De Gaulle précise sa conception de l’avenir de l’Indochine française.

« A ces peuples, qui ont su affirmer à la fois leur sentiment national et leur sens de la responsabilité politique, La France entend donner au sein de la communauté française, un statut politique nouveau où, dans le cadre de l’organisation fédérale les libertés des divers pays de l’Union  seront étendues et consacrées ; où le caractère libéral des institutions sera, sans perdre la marque de la civilisation et des traditions indochinoises, accentué, où les Indochinois, enfin, auront accès à tous les emplois et fonctions de l’Etat », déclare-t-il alors.

A peu près au même moment, le Comité français de Libération nationale, créé le 3 juin 1943, envisage la formation d’un corps expéditionnaire destiné à chasser les Japonais, condition du rétablissement de la souveraineté française en Indochine. Dans le courant de l’année 1944, De Gaule va charger le Général Eugène Mordant, alors commandant militaire en Indochine, de coordonner la résistance.

L’Amiral Decoux, lui, est au courant de ce qui se trame. Mais il est aussi au courant de ce qui se passe en métropole et lorsqu’en août 1944, le régime de Vichy s’effondre une bonne fois pour toute, il demande des instructions au Gouvernement Provisoire de la République Française, qui va mettre très longtemps à lui répondre avant de finalement lui enjoindre de rester en place pour « couvrir » Mordant : le pétainiste protège le gaulliste, un comble !

Les deux hommes ne s’entendent d’ailleurs pas, Decoux supportant mal d’être ainsi mis sur la touche au profit de Mordant, qui est le seul des deux à garder un contact direct avec Paris.

« Je comprends bien l’utilité d’un mouvement de résistance, mais demeurant investi par les textes en vigueur de lourdes responsabilités touchant le maintien de l’ordre et l’action diplomatique, je vous demande instamment d’être tenu au courant de toutes les actions parallèles, afin que la mienne ne se trouve plus gênée dans l’un ou l’autre domaine. Si des pouvoirs ont été confiés à des tiers, je demande à en connaître exactement la nature et la portée », s’insurge-t-il vainement.

Mordant, qui n’en n’a cure, échafaude des plans, mais un constat s’impose assez rapidement : les troupes d’Indochine, qui stationnent depuis six ans ou plus dans la colonie, sont à la fois usées et trop mal équipées pour faire face aux Japonais. Quant à une éventuelle aide des Alliés, il ne faut pas trop y compter, du fait de l’anticolonialisme affiché du président américain du moment, le Président Roosevelt, qui, pour ne rien arranger, a pris De Gaulle en grippe.

De son côté, le Gouvernement Provisoire de la République Française prévoit la création de Forces Expéditionnaires Françaises en Extrême-Orient (FEFEO), censées être fortes de 60.000 hommes. Le général Blaizot, qui en est le chef désigné, est envoyé à Ceylan, alors territoire britannique, où il est accueilli par Lord Mountbatten.

Il faut dire que contrairement aux Américains, les Britanniques, qui ont eux aussi un empire colonial à défendre, sont prêts à aider les Français.

La Force 136

C’est en 1941 que le Special Operations Executives britanniques (Direction des opérations spéciales) décide de former une unité charger d’encadrer les maquis dans les territoires asiatiques occupés par le Japon. Cette unité, qui est basée à Calcutta, reçoit en 1943 le nom de « Force 136 ».

Dès 1944, cette Force 136 intègre un service de renseignement français, la Section de Liaison Française en Extrême Orient, qui va disposer d’un service action baptisé French Indochina section, placé sous le commandement de François de Langlade, lequel va être nommé en août délégué du Gouvernement Provisoire de la République Française en Indochine.

Les jeunes recrues reçoivent une formation accélérée. A propos de leurs futurs ennemis, certains instructeurs venus d’Afrique leur affirment que « le Japonais est un petit homme aux jambes torses habillé en vert. Mauvais tireur, il raterait un éléphant dans un couloir ». Les instructeurs britanniques, eux, s’empressent de modérer ce jugement à l’emporte-pièce.

« A la Baïonnette, le soldat nippon est insurpassable. Il ne s’avoue jamais vaincu et pousse le fanatisme jusqu’au sacrifice », préviennent-ils.

A partir du mois de novembre 1944, des groupes commandos sont parachutés sur l’Indochine, et notamment sur le Laos, dont la nature plus sauvage se prête bien à ce genre d’opérations. La résistance indochinoise va ainsi recevoir des postes radio, des armes, des munitions et des explosifs.

Cette montée en puissance des maquis commence par contre à inquiéter les Japonais, qui estiment ne plus être tenus par les accords conclus avec la France de Vichy, c’est-à-dire avec un régime qui a purement et simplement cessé d’exister.

Famine et veillée d’armes

L’économie indochinoise, elle, est durement éprouvée par la guerre : la pénurie alimentaire s’accompagne d’une hausse excessive du prix du riz. A la récolte 1944-45, très insuffisante, s’ajoutent les réquisitions japonaises et les bombardements alliés qui désorganisent les transports et finissent par provoquer une terrible famine, au Tonkin.

Dans les premiers mois de l’année 1945, les populations, affamées, se lancent dans une vaste migration vers les régions où la récolte est censée avoir été meilleure. Environ 50.000 personnes périssent au cours de cet exode désespéré.

Sur le plan militaire, la situation commence à devenir critique, pour les Japonais, qui craignent un débarquement américain en Indochine et qui décident alors d’en finir avec l’administration française et de s’emparer de tout le territoire. Ce sera l’opération Mei.

Ils savent, ces Japonais, que le rapport de force n’est pas favorable aux Français, qui peuvent tout au plus aligner 12.000 hommes d’origine européenne (les régiments dits de « souveraineté »), plus 62.000 soldats autochtones, dont l’aptitude au combat et la loyauté sont incertaines.

Les Japonais, eux, ont accru leurs effectifs sur tout le territoire indochinois où ils disposent d’environ 45.000 hommes au début de l’année 1945.

Mais les Français ne s’en soucient guère. Ils sont persuadés que le plus dur est derrière eux et que les soldats nippons vont bientôt devoir évacuer l’Indochine, bien gentiment. Toute la colonie ou presque se pique de faire partie de la résistance, en ces premiers mois de l’année 1945, et à Saïgon, la terrasse du Continental grouille d’ouvriers de la onzième heure qui ne sont en réalité que des conspirateurs d’opérette.

Lepetitjournal.com – 26 février 2025

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