Chine / Vietnam : Mort suspecte d’un lama tibétain
Les autorités chinoises auraient joué un rôle dans l’arrestation au Vietnam de Humkar Dorje Rinpoché après sa fuite du Tibet.
Le gouvernement vietnamien devrait enquêter sur la mort dans des circonstances suspectes d’un haut lama tibétain, Humkar Dorje Rinpoché, à Hô-Chi-Minh-Ville le 29 mars, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Humkar Dorje, 56 ans, est décédé après des mois d’inquiétude au sein de la communauté tibétaine quant à son sort et à son bien-être. Ses fidèles en Inde, où de nombreux Tibétains vivent en exil, affirment que les autorités vietnamiennes et chinoises l’ont arrêté au Vietnam après sa fuite du Tibet. Son monastère en Chine, sous tutelle officielle, a au contraire affirmé qu’il était mort d’une maladie lors d’une retraite monastique.
« La mort d’Humkar Dorje Rinpoché au Vietnam est particulièrement préoccupante, compte tenu de la répression sévère exercée par le gouvernement chinois contre les Tibétains et des précédents enlèvements de Tibétains au Vietnam », a déclaré Maya Wang, directrice adjointe pour la Chine à Human Rights Watch. « Les autorités vietnamiennes devraient enquêter de manière crédible et impartiale sur ces allégations et prendre les mesures appropriées, notamment en communiquant les résultats de l’autopsie à la famille d’Humkar Dorje. »
Le haut lama Humkar Dorje dirigeait le monastère de Lung Ngon, dans le comté de Gabde, situé dans la préfecture autonome tibétaine de Golok qui fait partie de la province du Qinghai en Chine. Il comptait des milliers de fidèles en Chine et à l’étranger, notamment au Vietnam. Éducateur de renom, il avait fondé, avec l’autorisation et la supervision des autorités chinoises, une école professionnelle et plus de dix autres écoles dans la province du Qinghai, où il parrainait l’éducation d’enfants de la région.
La disparition et le décès d’Humkar Dorje sont survenus dans le contexte de la répression exercée par le gouvernement chinois contre d’éminents éducateurs tibétains et les écoles qu’ils dirigent, qui promeuvent la langue et la culture tibétaines, au Tibet ainsi que dans des zones à l’est de cette région, dont la préfecture de Golok.
Humkar Dorje était porté disparu depuis au moins le mois de novembre 2024, selon les médias tibétains en exil. Lorsque des habitants du comté de Gabde ont exprimé leur inquiétude à son sujet en décembre, les autorités locales auraient interdit toute discussion publique à son sujet. Ce silence a pris fin le 1er avril, lorsque les autorités du comté de Gabde ont montré aux représentants du monastère un certificat de décès délivré par un hôpital de Hô-Chi-Minh-Ville.
Le 3 avril, des moines du monastère de Lung Ngon ont publié une déclaration publique officielle, affirmant que Humkar Dorje avait « présenté des signes de mauvaise santé », était « parti seul vers un lieu inconnu » à une date non précisée pour une retraite religieuse, et était « mort subitement d’une maladie » au Vietnam le 29 mars, sans donner plus de détails.
Le 5 avril, des disciples de Humkar Dorje vivant en Inde ont toutefois contredit ces affirmations ; ils ont indiqué que le haut lama avait fui vers le Vietnam, après avoir été convoqué par la police chinoise pour un interrogatoire en septembre 2024. Ils ont affirmé que la police vietnamienne, agissant manifestement de concert avec des agents du ministère chinois de la Sécurité d’État, l’avait arrêté le 25 mars. Humkar Dorje est décédé quatre jours plus tard.
La déclaration du monastère est incomplète et pourrait avoir été rédigée sous la contrainte, a déclaré Human Rights Watch, compte tenu du contrôle strict exercé par les autorités chinoises sur la gestion des monastères tibétains.
Les lamas tibétains partent souvent en retraite pour de longues périodes, mais il semble très improbable que les moines du monastère de Lung Ngon aient ignoré où se trouvait le haut lama Humkar Dorje ou s’il avait voyagé à l’étranger, ou qu’ils aient dissimulé des informations pendant plusieurs mois. De plus, si le haut lama était parti en retraite ou avait été malade, les autorités n’auraient aucune raison d’interdire toute discussion sur sa situation.
Des fidèles de Humkar Dorje en Inde ont déclaré qu’il avait fui son monastère fin septembre 2024, après avoir été interrogé à Gabde par des représentants du gouvernement et des forces de sécurité locales. Un article de presse officiel chinois paru le 15 octobre 2024 décrivait la visite d’un haut fonctionnaire du comté au monastère de Lung Ngon pour « inspecter la gestion du temple » ; mais l’article ne mentionnait pas Humkar Dorje, ce qui était inhabituel.
Précédemment, Humkar Dorje était apparemment en bons termes avec les autorités chinoises depuis longtemps. Diplômé en 2001 de l’école nationale chinoise des lamas bouddhistes tibétains, il occupait un poste prestigieux au sein de l’Assemblée populaire du comté, où il était président adjoint du comité permanent du Congrès. Il était également président de la branche de l’Association bouddhique de Chine au comté de Gabde, ce qui en faisait la plus haute figure religieuse de ce comté.
En juillet 2024, Humkar Dorje avait présidé une importante cérémonie religieuse publique au monastère de Lung Ngon, ce qui aurait nécessité une autorisation officielle. En août, des articles de presse officiels l’ont présenté comme l’un des chefs d’une délégation gouvernementale visitant un autre monastère local. En septembre, les médias officiels ont montré un responsable national et des membres d’une délégation provinciale partageant un repas avec Humkar Dorje à son monastère, affirmant que « les divers travaux menés par le temple de Longen [Lung Ngon] ces dernières années ont été pleinement approuvés par les services à tous les niveaux de la province, de la préfecture et du district ».
Les mentions de Humkar Dorje dans des publications officielles chinoises ont cessé fin septembre ; c’est vers cette date qu’il aurait fui au Vietnam, selon ses fidèles qui vivent en exil en Inde.
Les autorités chinoises exercent depuis longtemps une répression transnationale – des violations des droits humains commises au-delà des frontières d’un pays pour réprimer la dissidence – notamment contre les Tibétains vivant à l’étranger, ciblant ceux qui critiquent le gouvernement chinois ou participent à des activités considérées comme menaçantes pour le gouvernement.
Des informations non confirmées émanant d’autres fidèles d’Humkar Dorje indiquent que certains membres du monastère de Lung Ngon qui se trouvaient avec lui au Vietnam pourraient avoir aussi été détenus par les autorités vietnamiennes et remis à la Chine, malgré les risques importants de torture et autres mauvais traitements dans ce pays.
Le gouvernement vietnamien est tenu de respecter le principe de non-refoulement qui est inscrit dans le droit international ; ce principe interdit aux pays de renvoyer une personne vers un autres pays où elle serait exposée à un risque réel de persécution.
En 2022, le gouvernement chinois a précédemment rapatrié, avec la coopération des autorités vietnamiennes, au moins deux dissidents politiques chinois qui avaient fui au Vietnam – Dong Guangping et Wang Bingzhang – avant d’y être arrêtés.
Conformément au Protocole du Minnesota concernant les enquêtes sur les décès potentiellement illégaux, le gouvernement vietnamien devrait mener une enquête impartiale sur les circonstances du décès de Humkar Dorje, notamment sur le rôle des services de sécurité vietnamiens et sur toute implication éventuelle des services de sécurité chinois ou d’autres responsables de ce pays. Cette enquête devrait inclure une autopsie visant à établir les causes du décès, devant être fournie à la famille lors de la restitution du corps. Le Protocole du Minnesota définit ainsi cette obligation : « En cas d’homicide résultant potentiellement d’un acte illégal, les familles ont le droit, au moins, d’obtenir des informations sur les circonstances de la disparition du défunt, le lieu où se trouve le corps et l’état de la dépouille ainsi que, pour autant qu’elles aient été établies, la cause et le type du décès. »
« Les gouvernements étrangers devraient faire pression sur le gouvernement vietnamien pour obtenir des réponses sur la mort de Humkar Dorjé Rinpoché », a conclu Maya Wang. « Ils devraient tenir les responsables vietnamiens rendent des comptes pour toute complicité dans les pratiques abusives de la Chine au Vietnam, et prendre des mesures pour empêcher qu’elles ne se reproduisent. »
Human Rights Watch – 10 avril 2025
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