Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 – chapitre 5
Été 1974. Voilà un an et demi que les accords de Paris ont été signés. Au Vietnam, ils ne sont respectés par personne, hormis les Américains, qui se sont effectivement retirés. Partout ailleurs, on en est revenu à une guerre larvée, faite de petites escarmouches.
C’est le Sud qui reste le principal théâtre de cette drôle de guerre, qui voit les maquisards du Front national de libération harceler les troupes gouvernementales de la République du Vietnam. On en reste néanmoins à de petites empoignades sans réelle conséquence, si ce n’est une inexorable montée en puissance des forces communistes, qui plus que jamais, sont appuyées par Hanoï.
Le Petit Journal vous propose lors de cette série intitulée « Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 » de revivre la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, date qui marque la fin de la guerre du Vietnam. Le premier, deuxième, troisième et quatrième chapitres reviennent sur l’entrée de Nixon jusqu’en 1974, faisant parti des années charnières dans l’Histoire des guerres d’Indochine.
Il y a bien une commission internationale de contrôle, chargée de veiller à la bonne application des clauses… Mais force est de constater que cette commission, qui est constituée d’Indonésiens, d’Iraniens, de Hongrois et de Polonais, ne contrôle pas grand-chose.
Au Nord-Vietnam, on reste prudent. Les soldats américains ont certes quitté le pays, mais le Président Nixon a promis à son homologue sud-vietnamien, Nguyen Van Thieu, d’intervenir immédiatement en cas de violation vraiment trop flagrante des accords conclus.
A Hanoï, cette menace est prise au sérieux. Et pour cause. Richard Nixon a déjà démontré, dans le passé, qu’il était prêt à réagir énergiquement et promptement, quitte à passer outre le Congrès.
Seulement voilà : Richard Nixon, ce grand fauve, est depuis deux ans empêtré dans une sale affaire d’espionnage politique qui restera dans l’Histoire sous le nom de « Watergate ». Acculé, il préfère démissionner plutôt que d’être démis par le Congrès.
L’arrivée de Gérard Ford
Le 9 août, il quitte la Maison Blanche, et comme le veut la constitution, c’est son vice-Président, Gérard Ford, qui lui succède. « Jerry » – ainsi le surnomme-t-on – est un personnage assez terne, dont ses détracteurs assurent qu’il est incapable de « marcher et de mâcher un chewing-gum en même temps ». « Humainement parlant, je m’entendais mieux avec Ford qu’avec Nixon. », dira Henry Kissinger, l’homme des accords de Paris. Ce qui laisse entendre qu’intellectuellement.
A Hanoï, en tout cas, ce changement de locataire à la Maison blanche est vu comme une aubaine, et chacun, à commencer par Le Duan, le secrétaire général du Parti communiste, se dit que l’occasion tant attendue est peut-être enfin arrivée.
« Tâter les défenses de l’adversaire »… L’expression va prendre tout son sens en ce mois de janvier 1975.
Maintenant qu’ils sont débarrassés tout à la fois des soldats américains et de leur bouillonnant Président Nixon, les Nord-Vietnamiens sont bien décidés à passer à l’offensive et à en finir enfin avec cette guerre qui n’a que trop duré. Leur objectif n’a pas varié : il s’agit, ni plus ni moins de réunifier tout le Vietnam et d’y instaurer un régime communiste. Pour cela, une seule solution : s’emparer de Saïgon, capitale et verrou de tout le Sud-Vietnam.
Cette stratégie repose sur une présomption, renforcée par la présence de Gérard Ford à la Maison blanche : les Américains ne réagiront pas. Il parait du reste assez clair qu’aux Etats-Unis, plus personne ne veut entendre parler du Vietnam.
La prudence reste néanmoins de mise et à Hanoï, les dirigeants décident d’avancer d’abord à pas feutrés… pour voir.
Qui sont-ils, ces dirigeants ? Il y a les politiques : Le Duan, qui est à la tête du Parti, mais aussi Truong Chinh, membre éminent et surtout influent du politburo, Le Duc Tho, le négociateur de Paris et le très aristocratique Pham Van Dong, alors Premier ministre. Le commandement des opérations militaires, lui, est entre les mains du général Van Tien Dung, qui a été préféré à Vo Nguyen Giap, suite au relatif échec de l’offensive dite « de Pâques ».
La bataille de Phuonc Long
C’est sur Binh Phuoc, une petite province située à une centaine de kilomètres au nord de Saïgon que les troupes nord-vietnamiennes vont lancer la toute première offensive de leur grande offensive finale.
Dès le 12 décembre 1974, Van Tien Dung lance sa 4e division sur Phuoc Long, le chef-lieu provincial. La ville est tenue par environ 3.000 soldats sud-vietnamiens, qui paraissent bien frêles face aux blindés de Hanoï.
Il faudra néanmoins quatre semaines de combats aux soldats de l’armée de libération pour s’emparer de Phuoc Long et de toute la province de Binh Phuoc : c’est chose faite le 6 janvier 1975.
A Hanoï, on a le triomphe modeste. La question est maintenant de savoir quelle va être la réaction adverse, si tant est qu’il y ait une réaction.
Perplexité
A Saïgon, la perplexité règne. La province de Binh Phuoc n’est pas a priori d’une importance stratégique capitale. C’est une localité des Hauts plateaux, qui jouxte le Cambodge et qui est assez peu peuplée : une perte minime, somme toute. Mais une perte tout de même, et qui fait désordre, notamment pour le Président Thieu qui a fait placarder un peu partout ses quatre « non » : « Non aux négociations avec l’ennemi », « Non à une reconnaissance des communistes au Sud-Vietnam », « Non à un gouvernement de coalition » et. « Pas de territoire cédé aux communistes ». Les trois premières injonctions vont tout simplement à l’encontre des accords de Paris. Quant à la dernière.
A Washington aussi, on ne veut pas voir dans cette offensive sur Binh Phuoc l’amorce d’une opération de plus grande envergure. Gérard Ford veut d’autant moins y croire qu’il compte bien être candidat en 1976 et qu’il n’a aucunement l’intention de voir son nom associé à une nouvelle escalade au Vietnam. La Cambodge voisin, en revanche, commence à sérieusement l’inquiéter : le régime mis en place avec l’appui de son prédécesseur commence à vaciller sous les coups de butoir des Khmers rouges, ces maquisards maoïstes qui gagnent du terrain de jour en jour.
L’attentisme règne, donc, dans le tout-Saïgon, où chacun veut se donner de bonnes raisons de croire que le régime sudiste a encore de beaux jours devant lui.
Les lettres de Nixon
Retranché dans son palais présidentiel, Nguyen Van Thieu s’accroche à ce qu’il considère comme un véritable viatique : des lettres (il y en a 27, en tout), signées Richard Nixon, dans lesquelles ce dernier l’assure qu’il ne laissera pas faire les hommes de Hanoï.
« Vous avez ma garantie absolue, you have my absolute assurance, que si Hanoï ne respecte pas les termes de cet accord, j’ai l’intention de recourir à des représailles rapides et sévères » (14 novembre 1972)
« Nous ne reconnaissons pas à des troupes étrangères le droit de se trouver sur le territoire sud-vietnamien. Nous réagirons fortement si l’accord est violé » (14 janvier 1973)
« Nous reconnaissons votre gouvernement comme le seul gouvernement légitime au Sud-Vietnam » (19 janvier 1973)
Seul problème : ces lettres sont signées Richard Nixon, et ce dernier a perdu tout crédit en ce mois de janvier 1975. Quant à son successeur, les conditions très particulières de son accession à la présidence en font l’otage du Congrès.
Le Président Thieu, lui, veut néanmoins croire que les promesses de Nixon engagent Ford.
Attentisme
Il n’est pas le seul, du reste, à afficher cet optimisme de façade, à Saïgon. Au sein du corps diplomatique aussi, on se refuse à croire à l’imminence d’un tremblement de terre. Personne, pourtant, n’ignore que le général Viktor Kulikov, adjoint au ministre soviétique de la défense, se trouvait à Hanoï au mois de décembre, et qu’il n’était sans doute pas venu pour chanter des cantiques de Noël.
Les Etats-Unis sont représentés par Graham Martin, ambassadeur auprès de la République du Vietnam depuis le 21 juin 1973, très exactement. Ancien officier du renseignement militaire, c’est un adepte du verre à moitié plein à qui il faudrait bien plus qu’une province perdue pour s’affoler et à plus forte raison pour envisager une évacuation massive.
Cet angélisme est conforté par celui de son excellent voisin Jean-Marie Mérillon, l’ambassadeur de France, qui est quant à lui persuadé de la possible émergence d’une « troisième force » au Sud-Vietnam, mi-communiste, mi-nationaliste. C’est du reste le point de vue qui prévaut à l’Elysée, où le Président Giscard d’Estaing se soucie bien peu de cette lointaine Asie du Sud-Est qui est pourtant l’un des théâtres de la Guerre froide.
Auto-persuasion ? Aveuglement collectif ? Pour les dirigeants de Hanoï, c’est du petit lait, et surtout le signe évident que le moment opportun, le thoi co, est enfin arrivé. Le général Van Tien Dung est envoyé dans le Sud pour prendre la direction des opérations. Mais il n’est pas seul. Il est accompagné par Le Duc Tho : le politique coiffe le militaire, comme c’est l’usage.
« Ne reviens pas avant d’avoir gagné. Nous avons maintenant une chance historique qui ne répétera pas avant dix mille ans », lui aurait confié Le Duan avant son départ.
Lepetitjournal.com – 20 avril 2025
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