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Cinquante ans après la guerre, le Vietnam est un pays à la mémoire fracturée

Les sites de guerre au Vietnam sont devenus des lieux touristiques où l’Histoire ne retient qu’un seul côté du conflit mortel qui a ravagé le pays pendant des décennies.

Cinquante ans après la chute de Saïgon, l’image d’un hélicoptère américain décollant à la hâte du toit de l’ambassade américaine continue d’habiter la mémoire collective.

Pour certains, elle symbolise la défaite d’un empire. Pour d’autres, le début d’un long exil.

Le 30 avril 1975, les chars nord-vietnamiens entraient dans la capitale du Sud, scellant la fin de la guerre du Vietnam.

Une victoire pour le Nord communiste. Un drame pour des millions de Sud-Vietnamiens qui prendront le chemin de l’exil.

Aujourd’hui, la ville rebaptisée Ho Chi Minh-Ville bouillonne d’activités. Gratte-ciel scintillants, cafés branchés, embouteillages monstres : tout témoigne d’un Vietnam tourné vers l’avenir.

Pourtant, un petit café est resté figé dans le temps.

À l’époque, seuls ceux qui connaissaient le mot de passe pouvaient entrer ici, raconte Ngo Viet Tho, en montrant une trappe dissimulée sous le plancher de bois du café Do Phu.

Fils d’un combattant communiste, il revient régulièrement dans ce lieu qui servait de relais clandestin pendant la guerre.

On y cachait des messages codés dans des boîtes de conserve sous le plancher. Au mur, des photos en noir et blanc témoignent de ce passé. Au plafond du rez-de-chaussée, un petit escalier en bois rétractable mène à l’étage où les messages étaient dissimulés.

Un simple mur de pierre séparait le café de la résidence d’un général sud-vietnamien qui y vivait sans se douter des activités des combattants.

C’était ça, la stratégie des combattants. Le lieu le plus dangereux devenait parfois le plus sécuritaire, explique-t-il.

Ngo Viet Tho consacre aujourd’hui une bonne partie de son temps au Musée des forces spéciales à Ho Chi Minh-Ville, où il préserve l’héritage de son père et de ses compagnons d’armes.

Des dizaines de photos de combattants morts au combat ornent les murs.

Il faut que les jeunes sachent qui sont ceux qui ont fait de lourds sacrifices pour le pays. Nous voulons tous la paix et être heureux.Une citation de Ngo Viet Tho, fils d’un combattant communiste

Survivre sous terre pendant douze ans

À une trentaine de kilomètres au nord de la ville, un autre lieu emblématique attire chaque jour des autobus bondés de touristes.

Les tunnels de Cu Chi, longs de plus de 250 kilomètres, ont servi de refuge et de base militaire aux combattants Viêt Congs pendant des années.

Huynh Van Chia, un ancien fermier et guérillero, connaît chaque recoin de ce labyrinthe souterrain.

Vêtu d’un uniforme vert foncé, petites lunettes sur le nez, il guide les visiteurs avec une mémoire qui ne fait aucunement défaut.

J’ai vécu douze ans dans ces tunnels. Il y avait peu de nourriture, aucun analgésique. On dormait le jour, on sortait la nuit. Des fois, nous devions manger des plantes. Il n’y avait pas toujours du riz, se souvient-il.

Son bras droit, perdu lors d’un affrontement dans les années 1960, témoigne des souffrances.

Le président Ho Chi Minh a déclaré : rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté. Je pense que ce dicton a toujours une signification importante pour le peuple vietnamien en général, et pour moi en particulier. Une citation de Huynh Van Chia, ancien fermier et guérillero

Mon souhait est que, désormais, les jeunes Vietnamiens et les jeunes du monde entier ne se rencontrent plus sur un champ de bataille, mais se réunissent autour d’une table ronde, boivent du thé, discutent d’affaires et s’entraident pour se développer ensemble, affirme Huynh Van Chia.

Les tunnels, devenus un symbole de résilience, pourraient bientôt figurer au Patrimoine mondial de l’UNESCO, une reconnaissance officielle de l’ingéniosité et de la ténacité vietnamiennes.

Une demande officielle du gouvernement vietnamien est en cours de préparation.

La guerre du Vietnam, ou guerre américaine, comme on l’appelle ici, a duré près de 20 ans. Elle a coûté la vie à quelque 58 000 soldats américains et à plus de 3 millions de Vietnamiens, combattants et civils.

Dans la mémoire vietnamienne imposée par le gouvernement communiste, c’est l’histoire d’un combat pour l’indépendance et la réunification.

Au Palais de l’Indépendance à Ho Chi Minh-Ville, autrefois le palais présidentiel du Sud, des anciens combattants en uniforme viennent saluer les camarades disparus.

Je suis venu me souvenir des sacrifices que nous avons faits. Et je suis impressionné par les progrès depuis la réunification, confie Nguyen Duc Son, un ancien soldat communiste en visite pour la première fois depuis la fin de la guerre avec son unité.

Les anciens combattants retournent sur les différents sites où ils ont combattu dans le Sud.

Unification et discrimination, des souvenirs divergents

Ces progrès sont visibles partout dans le pays. Routes modernisées, zones industrielles florissantes dans les grandes villes, construction omniprésente à Hanoï et à Ho Chi Minh-Ville.

Mais cette croissance entamée après l’ouverture aux marchés étrangers (la politique Doi Moi introduite en 1986) a coûté cher.

Après la guerre, des millions de Vietnamiens, notamment des habitants du Sud, ont fui le pays par la mer ou à pied. Parmi eux, des dizaines de milliers ont trouvé refuge au Québec.

Pour ces réfugiés, le 30 avril 1975 ne marque pas la fin d’un conflit, mais le début d’une nouvelle lutte pour l’exil, la liberté, une vie meilleure.

L’unification était une condition essentielle au développement, explique Pham Hong Tung, professeur à l’Université des sciences sociales et humaines de Hanoï.

Il était tout jeune lors de la guerre, mais il se rappelle que le ciel orangé et enfumé accompagné des bruits d’explosions était excitant. C’était presque un jeu pour les jeunes.

Le développement vietnamien s’accélère depuis quelques années, mais des inégalités persistent entre le Nord et le Sud, entre les campagnes et les villes.

Les récits divergents sur la guerre continuent d’opposer la mémoire officielle du gouvernement communiste à celle des exilés et vaincus.

Pour ceux qui ont combattu aux côtés des États-Unis, les cinq dernières décennies ont été marquées par la discrimination et l’effacement sous le régime communiste vietnamien. Ils ne sont pas honorés comme des vétérans, mais traités comme des traîtres ou des marionnettes des Américains, écrivait début avril dans le quotidien USA Today Nghia M. Vo, auteur vietnamien-américain.

L’histoire est écrite par les vainqueurs, mais un pays ne peut véritablement guérir en effaçant la moitié de son passé. Pour qu’une réconciliation soit possible, le gouvernement vietnamien doit reconnaître la souffrance de ceux qui ont combattu pour le Sud – non pas comme des ennemis, mais comme des concitoyens. Une citation de Nghia M. Vo, auteur vietnamien-américain, dans le USA Today

Hanoï, devenue ville de paix

À plus de 1500 kilomètres au nord, la capitale Hanoï porte aussi les traces de ce passé douloureux.

Ancien bastion de la résistance communiste, la ville a connu une transformation au cours des dernières décennies.

Ce passé douloureux a permis de construire quelque chose de grand grâce à la paix. Après un demi-siècle, nous avons pu nous développer comme nous le faisons aujourd’hui. Hanoï doit s’efforcer encore plus de démontrer son rôle de leader dans le processus de développement économique, politique, culturel et social, affirme Le Thi Thu Huong, directrice de l’Institut de recherche de Hanoï.

Elle rappelle avec fierté que la ville a été désignée ville pour la paix par l’UNESCO en 1999.

C’est d’ailleurs à Hanoï qu’a eu lieu en 2019 une rencontre diplomatique historique entre les présidents américain et nord-coréen, Donald Trump et Kim Jong-un.

Cinquante ans après la fin de la guerre, une nouvelle génération de Vietnamiens grandit dans un pays en paix, mais où la mémoire d’un conflit complexe est contrôlée.

Pour Ngo Viet Tho qui a défendu son pays contre le Cambodge à la fin des années 1970, ce devoir de mémoire est personnel.

C’est pour ça qu’il présente divers objets et témoignages dans le petit musée privé dédié aux combattants des forces spéciales à Ho Chi Minh-Ville.

Il accueille des touristes à qui il raconte l’histoire de son père, de ses amis, de cette génération qui a combattu les forces américaines.

Si on ne transmet pas cette mémoire, elle se perdra. La guerre a causé beaucoup de souffrances, mais c’était pour défendre notre pays, dit-il.

Dans le Vietnam d’aujourd’hui jeune, dynamique, ambitieux, les fantômes de la guerre continuent de hanter les mémoires.

Par Philippe Leblanc – Radio Canada – 26 avril 2025

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