Le Prince Patrick-Édouard Bloch : de ses souvenirs avec son père empereur au souhait de retour aux origines
Les histoires sur l’empereur Bao Dai, 13e et dernier monarque de la dynastie des Nguyên (1802-1945) et aussi dernier empereur du Vietnam, ou ses enfants légitimes sont bien connues. Mais celle sur son dernier fils reste largement méconnue. Une rencontre fortuite entre une journaliste de l’Agence Vietnamienne d’Information (VNA) en France et le fils cadet de l’ancien empereur d’Annam, Patrick-Édouard Bloch, offre un regard intime sur sa vie et ses liens avec ses origines royales.
Dans son appartement élégant au bord de la rivière Ill qui traverse la belle ville de Strasbourg, Patrick-Édouard Bloch, fils cadet du dernier empereur de la dynastie des Nguyên, nous reçoit dans un salon décoré d’objets anciens, de tableaux d’Orient et d’Occident. Une photo de son père, l’empereur Bao Dai, et de sa mère, Christiane Bloch-Carcenac, est posée sur une table près du canapé, où il reçoit habituellement ses invités.
« Maman a rencontré Sa Majesté lors d’une partie de chasse. Lorsque l’ancien empereur est rentré en Alsace en 1957, il a été invité par le Comte Jean de Beaumont. Ma mère était invitée également« , commence Patrick-Édouard Bloch en racontant à la journaliste de la VNA en France la rencontre fatidique entre l’ancien empereur Bao Dai et sa mère alsacienne Christiane Bloch-Carcenac. Et Patrick-Édouard Bloch est le fruit de cette histoire d’amour qui a duré dix ans. Il est donc le 13e enfant et aussi le fils cadet du dernier empereur du Vietnam.
L’enfance de Patrick-Édouard n’a pas été facile. Il a grandi dans une famille juive aisée à Erstein, en Alsace, avec Georges Bloch, le mari de sa mère qu’il a longtemps cru être son père biologique. La vérité sur ses origines royales ne lui fut révélée que par hasard, quand il avait environ 8-9 ans, lors d’une visite à Paris avec Bao Dai, qu’il considérait comme un ami proche de sa famille. Selon son récit, c’était dans l’ascenseur de l’hôtel George V qu’un employé demanda qui était ce garçon accompagnant l’ancien empereur du Vietnam. Celui répondit simplement : « C’est mon fils« . Ce moment de révélation de la vérité bouleversa profondément Patrick-Édouard, créant de grandes perturbations psychologiques qui influenceront profondément sa vie ultérieure.
« J’avais le teint de mon père. En France, on m’appelait le Petit Bao Dai… Les gens étaient parfois gentils, parfois non« , se souvient-il. « J’ai eu une éducation très stricte, un peu comme mon père. Ma mère était très sévère avec moi. Je ne pouvais pas m’amuser. Je n’avais pas d’amis, rien« . Toujours obligé de porter des habits classiques avec chemise, nœud papillon, pantalon à pince, comme “un petit vieux”, il était privé de liberté, ne pouvait pas faire ce qu’il voulait. Dans le contexte de la France des années 1960, le petit Patrick-Édouard vivait toujours avec le sentiment d’être « un enfant différent« .
Une relation spéciale avec l’empereur Bao Dai
Pour Patrick-Édouard, le lien le plus marquant de sa vie reste celui qu’il entretint avec son père empereur. Ses rares souvenirs heureux de l’enfance sont les moments où Bao Dai venait le chercher à l’école. « Mon seul plaisir, c’était de voir mon père qui venait à l’école me chercher avec une belle voiture tous les soirs à 17h00. Ça me faisait plaisir« .
Bien que non reconnu officiellement, Patrick-Édouard a eu l’occasion d’être proche de l’ancien empereur Bao Dai dès son enfance et jusqu’au décès de son père en 1997. Contrairement à ses demi-frères et demi-sœurs, issus de différentes liaisons, Patrick-Édouard Bloch entretenait une relation très intime avec son père. Il estime que l’ancien empereur Bao Dai lui portait une affection particulière, en partie parce qu’il était le benjamin et donc plus favorisé, mais surtout parce qu’ils se comprenaient profondément.
Dans son récit autobiographique intitulé Tu dois l’appeler Majesté, Patrick-Édouard Bloch raconte l’histoire mouvementée de sa vie, consacrant un chapitre important à son père empereur Bao Dai. Il a insisté : « Il m’a toujours beaucoup impressionné et a contribué ainsi grandement à construire l’homme que je suis aujourd’hui« .
Patrick-Édouard a hérité de nombreuses caractéristiques de son père, tant physiques que comportementales : un visage similaire, un goût pour la direction, une nature dynamique et un calme remarquable face aux épreuves. Ils partageaient aussi plusieurs passions communes, notamment pour les voitures et les avions.
Contrairement à l’image distante que l’Empereur donnait en public, Patrick-Édouard le décrit dans son autobiographie comme « un père extraordinaire« . Chaque semaine, il rejoignait son père à Paris. Ensemble, ils se promenaient, dînaient, et parlaient de sujets aussi variés que l’histoire, la politique ou la philosophie. « Nous avons partagé de nombreux moments et eu de multiples occasions de discuter longuement ensemble. J’ai été l’une des rares personnes de son entourage auxquelles il s’est confié en toute franchise et sans détour… L’Empereur m’a non seulement confié sur sa vie mais m’a donné aussi de bons conseils pour mener la mienne« , se souvient-il.
Les conseils de Bảo Đại l’ont profondément marqué, notamment celui qu’il répétait souvent : « Ne fais jamais de politique, Patrick ; tu y perdrais ton âme. J’ai passé une grande partie de ma vie à faire de la politique et je suis bien heureux de m’en être débarrassé à présent ».
Aspiration à revenir au pays d’origine
Malgré cette proximité, leur relation restait empreinte d’un certain formalisme royal : « Je ne l’ai jamais appelé +papa+. Je l’ai toujours appelé +Majesté+ ou +Monsieur+« . Dans les années 1980, l’ancien empereur lui proposa une reconnaissance officielle et le titre de prince impérial. Il refusa, le qualifiant d’inutile : « J’avais décliné sa proposition car je n’en voyais pas l’utilité. Ce n’était qu’une formalité qui n’aurait rien changé notre relation sentimentale« .
Jusqu’à sa retraite, Patrick-Édouard Bloch travaillait comme homme d’affaires ordinaire en France. Il était président-directeur général de magasins de construction et de supermarchés. Il mène désormais une retraite épanouie à Strasbourg, aux côtés d’Eric Humbert, son compagnon depuis 1995.
En 2021, il a publié son récit autobiographique intitulé Tu dois l’appeler Majesté. C’est l’histoire d’un voyage à la recherche de l’identité de l’auteur, ainsi que de la douleur de grandir sans connaître ses véritables origines, le sentiment d’isolement et de différence, et finalement le processus d’acceptation et de réconciliation avec son passé complexe. C’est non seulement l’histoire d’un garçon qui a grandi au milieu de secrets de famille, mais aussi une porte ouverte sur certains aspects méconnus de la dernière famille royale du Vietnam.
Lors de son entretien avec la journaliste de la VNA en France, il a exprimé son profond désir de retrouver ses racines, d’offrir de l’encens à ses ancêtres et de visiter l’ancienne Cité impériale de Huê (au Centre du Vietnam) où sont conservés les vestiges de la dynastie des Nguyên avec ses 13 empereurs. Bien qu’il n’ait jamais mis les pieds dans le pays natal de son père, le Vietnam reste présent dans son cœur à travers des souvenirs, des histoires et la fierté de ses origines.
Il affirme suivre régulièrement l’actualité de son pays d’origine et qu’il est « très fier de ce qui se passe au Vietnam« . Il se sent reconnaissant que le Vietnam préserve bien l’héritage de la dynastie des Nguyên et l’Ensemble de monuments de Huê, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1993. Il maintient également des contacts avec certains membres de la famille royale et entretient de bonnes relations avec la communauté vietnamienne en France. « Je trouve que les Vietnamiens sont très amicaux. Toutes mes relations avec eux sont vraiment parfaites« , avoue-t-il, avec sincérité.
Et peut-être qu’un jour proche, son rêve de visiter le Vietnam deviendra réalité. Un retour symbolique vers ses origines, pour boucler le cercle de son histoire de dernier fils du dernier empereur du Vietnam, témoin d’une période historique particulière, passerelle entre le passé et le présent, entre la France et le Vietnam.
Par Nguyên Thu Hà – Le courrier du Vietnam – 3 mai 2025
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