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Cambodge : Clan Hun, tel est pris qui croyait prendre

Phnom Penh, début juillet. Dans les couloirs feutrés du Sénat, Hun Sen, silhouette familière, continue d’imprimer sa marque sur le Cambodge. Quarante années de règne, une main de fer passée à son fils, Hun Manet, mais un empire familial qui ne vacille pas. Le pouvoir, ici, se transmet comme une affaire de famille, et la dynastie Hun s’étend, tentaculaire, dans l’armée, la police, les affaires.

Pourtant, c’est à l’extérieur que le clan a choisi de frapper, chez son voisin thaïlandais, déclenchant une crise régionale d’une rare violence. Un geste d’une rare maladresse, qui pourrait bien fissurer l’armure d’invulnérabilité que le clan Hun croyait acquise.

Un enregistrement qui fait vaciller la Thaïlande

Tout commence par une fuite. Un enregistrement audio de 17 minutes, diffusé depuis Phnom Penh, dans lequel Paetongtarn Shinawatra, Première ministre thaïlandaise, s’adresse à Hun Sen avec bienveillance et respect. « Oncle », l’appelle-t-elle, dans un échange où il est question de souveraineté sur des temples frontaliers, sujets de crispations historiques entre les deux voisins. La diffusion de cette conversation, orchestrée par le clan Hun, fait l’effet d’une bombe à Bangkok. Coalition gouvernementale éclatée, tollé national, marchés financiers ébranlés, Première ministre écartée.

La manœuvre n’a rien d’un hasard. Hun Sen sait très bien que l’économie cambodgienne dépend des jeux d’argent. Ce secteur a permis au pays d’amasser, en 2022, plus de deux milliards de dollars de taxes sur les casinos. Avec l’épuisement des sources classiques de revenus – concessions foncières, exploitation minière –, le régime s’est tourné vers les jeux et le crime organisé pour se financer. Les analystes s’accordent : le leak vise à affaiblir le gouvernement thaïlandais, tout en détournant l’attention des scandales qui menacent le clan Hun, entre cybercriminalité et blanchiment d’argent.

La communauté internationale, entre stupeur et indignation

Mais le geste va plus loin : il choque. La communauté internationale, d’ordinaire prudente, s’indigne. Les usages diplomatiques sont ici piétinés. En silence, dans les chancelleries, on s’inquiète de la violation grave de la confidentialité et des codes d’honneur entre chefs d’État et grands dirigeants.

Certains y voient même une dimension possiblement misogyne, Hun Sen n’ayant pas hésité à exposer une dirigeante femme, plus jeune, issue d’une dynastie rivale, jadis amie, à la vindicte publique. Paetongtarn Shinawatra, elle-même, a dit sa sidération : « Je suis très déçue par le dirigeant cambodgien pour avoir mis en ligne l’enregistrement. Je ne pense pas qu’aucun autre dirigeant dans le monde aurait agi de cette manière ».

Un clan sous surveillance, entre Pékin et les réseaux mafieux

Aujourd’hui sous le feu des projecteurs, le clan Hun Sen se retrouve exposé comme jamais. Les grandes ONG internationales, Human Rights Watch et Amnesty International en tête, rappellent la dérive autoritaire du régime, la répression des opposants, la mainmise sur la justice et l’économie, et la proximité du pouvoir avec des réseaux criminels, notamment dans les casinos et la cyberescroquerie. La dépendance croissante du Cambodge à l’égard de la Chine, tant sur le plan économique que sécuritaire, inquiète également jusqu’à Washington, Bruxelles et l’ONU.

Plusieurs observateurs estiment que la crise frontalière et la fuite audio constituent en fait une diversion pour masquer les enquêtes en cours sur les activités mafieuses liées à la famille Hun, notamment le blanchiment de fonds issus de cyberattaques et d’escroqueries en ligne via des centres d’appels installés au Cambodge.

« Tel est pris qui croyait prendre »

Finalement, en cherchant à déstabiliser son voisin, Hun Sen a, en réalité, attiré sur lui la lumière crue des projecteurs internationaux. Les révélations sur ses méthodes, l’emprise de son clan et la collusion avec des réseaux criminels placent désormais le Cambodge dans l’œil du cyclone international. Les chancelleries occidentales, l’ASEAN et les grandes ONG scrutent à la loupe les manœuvres de Phnom Penh, tandis que la société cambodgienne, sous surveillance, observe les soubresauts d’un pouvoir dont l’arrogance pourrait bien précipiter la chute.

PolitiqueMatin.fr – 11 juillet 2025

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