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Au Laos, un café d’exception cultivé sur les ruines de la guerre du Vietnam

Dans le sud du Laos, jadis ravagé durant la guerre du Vietnam, des producteurs de café regroupés dans des coopératives équitables investissent dans des installations vitales qui profitent à toute leur région. Et font ainsi renaître l’espoir, grain à grain.

Les murs sont éventrés, criblés d’impacts ; le sol, jonché de gravats. Aux fenêtres, plus aucun carreau. Ils ont volé en éclats il y a longtemps. Les escaliers écroulés débouchent sur le vide. Et en levant les yeux, à travers le plafond défoncé, on aperçoit le ciel — on s’attendrait presque à voir surgir les B-52. Le CC 1971 Café occupe une ancienne centrale électrique de Paksong, bourg agricole au coeur du plateau des Bolovens, une région du sud du Laos.

Détruit pendant la guerre du Vietnam, le site a été conservé en l’état, c’est-à-dire en ruines, et décoré d’ogives suspendues aux poutrelles métalliques, de canons rouillés et de turbines d’avions abandonnés. Dans ce cadre apocalyptique, on sert du café : de l’arabica et du robusta, variétés cultivées sur la moindre parcelle alentour.

95% du café du Laos est produit dans cette région encore minée

Introduits au début du XXe siècle par les colons français, les premiers caféiers ont vite prospéré sur ce plateau volcanique à 1 000 mètres d’altitude. La Seconde Guerre mondiale a interrompu cet élan. Celle du Vietnam lui a porté le coup de grâce. Car le Laos fut massivement bombardé par les États-Unis, qui cherchaient à couper la piste Hô Chi Minh — un réseau de sentiers utilisés par l’Armée populaire vietnamienne, qui reliait le Vietnam du Nord et le Sud-Vietnam en passant notamment par le Laos. Entre 1964 et 1973, deux millions de tonnes de bombes furent larguées, tuant 30 000 civils, contaminant les sols et détruisant villages et cultures.

Au sortir de la guerre, quelques familles revinrent s’installer sur le plateau pour reprendre la culture du café. La région produit désormais 95% du café national, qui est le cinquième produit d’exportation de ce pays parmi les plus pauvres du monde (en 139e position sur 193 selon l’indice de développement humain des Nations unies).

Mais le pari était dangereux. Là, et le long de la frontière avec le Vietnam, 80 millions de munitions non explosées dormaient encore, qui auraient causé dans les années qui suivirent 20 000 morts supplémentaires. Sous un hangar ouvert aux vents, éclairé par une guirlande d’ampoules nues, Khamkheuth Santhalamsy, 89 ans, patriarche du village de Ban Phoumone, incarne cette génération pionnière. Il se souvient « de deux enfants tués par une explosion alors qu’ils accompagnaient leur père aux champs ». Les terres sont désormais « plus sûres, grâce aux démineurs qui passent deux fois par an », dit-il.

La majorité de la production est revendue à des acheteurs

Puis, en 2007, certains caféiculteurs ont choisi de se regrouper. Ils ont fondé la Coopérative des producteurs de café du plateau des Bolovens (CPC), avec l’aide du gouvernement et de l’Agence française de développement. Deux ans plus tard, ils ont obtenu les certifications Fairtrade Max Havelaar et bio. La CPC vend son café à des entreprises équitables, qui leur garantissent un prix fixe et versent des primes spéciales. Pourtant, seuls 5 % des producteurs (représentant 18 55 familles dans 55 villages) y adhèrent. En cause, les procédures lourdes, les contrôles stricts et les délais de paiement pouvant durer des mois. Alors la majorité préfère un autre circuit : la vente à des acheteurs — souvent vietnamiens — moins regardants sur la qualité et qui paient moins bien, mais leur assurent une rétribution en liquide immédiate…

Dans la plantation équitable d’arabica qui domine le village de Phorkhem, ce ne sont plus les bombes que redoutent les cueilleurs mais les chenilles urticantes, les araignées, les fourmis rouges et parfois un serpent furtif. Vêtus de capuches, chapeaux coniques et gants, ils récoltent les cerises de café rouges, mûres à point, veillant à ne pas blesser les branches. Payé environ 3 000 kips le kilo (12 centimes d’euro), un cueilleur ramasse en moyenne 40 kg par jour, soit 120 000 kips (4,80 euros). Un revenu correct ici mais qui reste modeste : il faut 2 à 3 millions de kips par mois (80 à 120 euros) pour couvrir les besoins primaires d’une famille rurale.

À Phorkhem, dès l’aube, les bâtiments de la coopérative s’animent. Sous le hangar, le tambour du dépulpeur extrayant le grain de café rythme le travail. La pulpe rejetée sur le côté s’amoncelle en un tas d’où s’échappe une odeur âcre. Elle servira de compost pour fertiliser les plantations. Les grains, eux, sont lavés dans de petits canaux puis séchés sur des « lits africains » – tables surélevées couvertes d’un treillis aéré – ou étalés sur des bâches au soleil. Romain Bordon, agronome employé par une marque française (Malongo) suit ce travail avec intérêt : « Nous garantissons un prix stable, plus de 40% au-dessus du marché, offrant aux producteurs une sécurité face aux fluctuations, dit-il. Nous sommes le cauchemar des traders. »

Des primes réinvesties dans des projets locaux

En plus du prix, les acheteurs versent des « primes Fairtrade » à la coopérative, que celle-ci réinvestit dans des projets locaux. « Pendant la pandémie, ces primes ont permis d’acheter du riz pour les familles », témoigne Somchanh Xayavong, ancienne fonctionnaire devenue responsable technique. Ici, chaque projet raconte cette solidarité : Seythong Phetlansy, le chef du village de Phorkem, montre une route bétonnée, la seule à des kilomètres à la ronde – tout sauf un luxe sur ce plateau envahi par la poussière rouge. « Neuf cents mètres de long, quatre mètres de large, vingt centimètres d’épaisseur », énumère-t-il fièrement. La coopérative a financé les travaux, les villageois ont uni leurs forces pour les réaliser.

C’est le cas aussi de l’école de Ban Phoumone. En ce mois de janvier, période de vacances, l’établissement construit grâce aux primes Fairtrade est silencieux. Dans la cour, un chien paresseux somnole au soleil. « Nos 133 élèves apprennent les maths, l’histoire du Laos et un peu d’anglais », précise Khamsi Saypreseud, la directrice, qui enseigne ici depuis trente ans avec deux collègues.

À une demi-heure de piste de là, autre réalisation, le dispensaire du hameau de Ban Maysaisomboun : une chambre exiguë, une salle de soins pour les accouchements et la petite chirurgie, et une salle d’attente constituée de quatre chaises en plastique sous un auvent… Sept soignants, dont un médecin. « L’an dernier, nous avons réalisé 688 consultations et nous avons eu 12 naissances », détaille l’infirmière Suliyo Kaopone. Ce matin, le calme règne. « Les patients viennent tôt ou tard, avant ou après le travail », explique-t-elle. Sans cet établissement édifié il y a une dizaine d’années grâce aux primes Fairtrade, il faudrait deux heures de piste cahoteuse, truffée de nids de poule, pour atteindre la ville de Paksé et espérer des soins.

La nature reprend ses droits

Autre soutien vital, la « prime bio » versée par les marques équitables. Khampeng Xengprascud, 48 ans, montre ses plantations 100 % sans intrants, au-dessus de Ban Maysaisomboun. Il y a trois ans, un insecte ravageur a détruit sa culture d’arabica. Grâce à une caisse de solidarité alimentée par la fameuse prime, il a pu replanter en bio selon les règles de l’agroforesterie. Aujourd’hui, ses plants de robusta poussent sous la canopée de bananiers, avocatiers et bois de rose. « Cette diversité protège la terre, les oiseaux reviennent, la nature reprend ses droits », confie-t-il. Autrefois démuni après une mauvaise récolte, il diversifie ainsi désormais ses revenus. Ce qui lui permet, lui qui regrette « de n’avoir pu continuer d’aller à l’école », d’envoyer ses deux enfants à la fac. Dans cette région où les certitudes sont rares, l’éducation reste un phare…

Sur le plateau des Bolovens, la parole est rare. Les caféiculteurs de la coopérative ne l’expriment pas mais ils ont la satisfaction d’avoir déjà financé le dispensaire et cinq écoles, ainsi qu’une quinzaine de forages assurant aux habitants l’accès à l’eau potable. Des installations vitales pour toute la région.

Par Cyril Guinet – GEO Magazine – 7 septembre 2025

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