Le mystère du nom Nguyen porté par un tiers des Vietnamiens
Quand on arrive au Vietnam, un détail frappe tout de suite : impossible d’ouvrir un annuaire, un réseau social ou un dossier administratif sans tomber sur des dizaines de « Nguyen ». À l’échelle du pays, près d’un Vietnamien sur trois porte ce nom de famille. Mais pourquoi est-il si courant ? Et que raconte-t-il de l’histoire du pays ?
Les noms vietnamiens suivent une logique bien différente de celle des pays occidentaux. Un nom complet se compose de trois parties : le nom de famille, le prénom intermédiaire et le prénom personnel.
Dans Nguyen Thi Minh Khai, par exemple, Nguyen est le nom de famille, Thi le prénom intermédiaire (fréquent chez les femmes) et Minh Khai le prénom personnel. Dans la vie quotidienne, les Vietnamiens se tutoient ou s’appellent par leur prénom : dire « Madame Nguyen » est perçu comme très formel, presque distant.
Nguyen, un nom forgé par l’histoire et le pouvoir
Mais le plus fascinant, c’est la manière dont ce nom s’est imposé. Le patronyme Nguyen, trouve son origine dans les dynasties vietnamiennes et les influences chinoises anciennes. Son histoire est intimement liée à la politique et à la survie.
Dès le XIIIᵉ siècle, lorsque la dynastie Tran renversa la dynastie Ly, les nouveaux dirigeants imposèrent à de nombreux membres de l’ancienne famille royale de changer de nom. Devenus Nguyen, ces anciens nobles effacèrent symboliquement leurs racines pour échapper aux représailles. Le scénario s’est répété à plusieurs reprises: à chaque changement de pouvoir, des milliers de familles adoptaient le nom de la dynastie victorieuse, par prudence ou par opportunisme.
Au XIXᵉ siècle, la dynastie Nguyen, fondée par l’empereur Gia Long, fit de ce patronyme le plus prestigieux du royaume. Porter ce nom, c’était appartenir à la maison régnante ou, à défaut, montrer sa loyauté à l’empereur. En quelques générations, le phénomène prit une ampleur telle qu’il devint presque une norme sociale.
Sous la colonisation française, le mouvement s’est encore accéléré. Dans les campagnes, certaines familles n’avaient pas de nom de famille officiel. Les administrateurs coloniaux, chargés d’enregistrer les habitants, ont souvent attribué « Nguyen » par défaut, parce qu’il figurait déjà sur la majorité des registres. Une simplification bureaucratique qui a fini de sceller la domination de ce patronyme.
Le patronyme le plus répandu au Vietnam
Aujourd’hui, les chiffres donnent le vertige : selon plusieurs études, entre 30 et 40 % des Vietnamiens s’appellent Nguyen. Sur une population de cent millions d’habitants, cela représente plus de trente millions de personnes. Une concentration sans équivalent dans le monde. À titre de comparaison, « Smith » aux États-Unis ou « Dupont » en France ne concernent qu’une fraction infime de la population.
Le Vietnam compte à peine trois cents noms de famille différents. Après Nguyen, les plus fréquents sont Tran, Le, Pham, Huynh ou Hoang. Beaucoup renvoient eux aussi à d’anciennes dynasties ou à des valeurs symboliques comme la bravoure ou la sagesse.
Entre identité commune et besoin de singularité
Dans un pays où tant de gens partagent le même nom, le prénom devient un marqueur d’identité essentiel. Les prénoms vietnamiens sont souvent choisis pour leur sens poétique : Linh signifie «âme», Anh «intelligence», Hoa «fleur», Minh «clarté», Phuc «bonheur». Chaque prénom raconte un vœu, une espérance, un idéal familial.
Et à l’étranger, le phénomène se poursuit. En France, aux États-Unis, au Canada ou en Australie, le nom Nguyen figure régulièrement parmi les plus répandus. Pour les Vietnamiens de la diaspora, il est devenu un véritable symbole identitaire : un lien silencieux avec leurs origines.
Derrière cette uniformité apparente, il y a donc bien plus qu’un simple hasard linguistique. Le nom Nguyen résume mille ans d’histoire : les guerres de pouvoir, les stratégies de survie, les choix politiques, les héritages familiaux. Il incarne à lui seul la résilience d’un peuple et la continuité d’une culture. Au Vietnam, s’appeler Nguyen, c’est appartenir à une immense famille, pas par le sang, mais par l’histoire.
Lepetitjournal.com – 25 octobre 2025
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