Transparence dans l’industrie extractive : peu nettement mieux faire
Le 28 février 2020, le gouvernement birman, et notamment la task-force pour la mise en place de l’Initiative pour la Transparence de l’Industrie Extractive de Birmanie (ITIE) – un organisme délivrant un agrément standard international visant à promouvoir une gestion transparente et responsable des ressources naturelles afin d’éviter les trafics et la corruption – ont présenté les premiers résultats de la série de mesures prises depuis 2016 pour se conformer aux exigences de l’ITIE, (…)
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qui avait à l’époque accepté la candidature de la Birmanie en son sein mais émis alors des critères à remplir avant janvier 2020 pour que cette candidature soit complètement avalisée. Mesure phare du gouvernement : la base de données collectant l’ensemble des informations considérées comme pertinentes relatives aux 163 principaux exploitants des secteurs extractifs dans le pays, à savoir cinq entreprises d’état, dont certaines dépendant de l’armée, et 158 entreprises privées.
La base de données est connectée au site internet de la Direction des Investissements et de l’Administration des Sociétés (DICA) et elle propose entre autres un registre des bénéficiaires réels – ceux qui reçoivent l’argent – des activités de ces entreprises qui touchent les secteurs miniers, pétrolier et gazier du pays. Autres données collectées en théorie, l’identité exhaustive de toutes les personnes détenant au moins 5% des parts de l’une de ces entreprises d’extractions ou encore les bénéficiaires réels qui sont des « personnes politiquement exposées » (PPE), c’est-à-dire des personnes, ainsi que leur famille et proches associés, qui occupent ou ont exercé des fonctions publiques les exposant à des possibilités de corruption.
La moitié des réponses sont absentes, erronées ou lacunaires
Si obtenir le label ITIE n’est pas une obligation en soi pour vendre les produits de l’extraction, en disposer garantit un nettement meilleur accès au marché mondial et surtout de meilleur prix à la vente, donc plus de revenus. Or, la Birmanie a longtemps été considéré comme l’un des pays les plus opaques au monde, notamment pour le monde des affaires, et ce n’est que depuis le début de la transition démocratique, vers 2010, que le pays a petit à petit essayé de normaliser son cadre des affaires afin d’attirer des investisseurs étrangers et de développer son économie. C’est U Thein Sein, alors Président du pays, qui a entamé le processus de candidature à l’ITIE en 2012, et depuis son arrivée au pouvoir en 2015 la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi a repris le flambeau en faisant de la lutte contre la corruption l’un de ses chevaux de bataille. Or, le jour même de la conférence de presse du gouvernement, le 28 février 2020, l’experte en ressources naturelles Charlotte Boyer publié son rapport sur ces 163 entreprises et sur la manière dont la base de données avait été ou pas bien remplie et informée.
Premier constant, sur 163 entreprises soumises à information, seulement 121 ont transmis toutes les données réclamées. Manquent beaucoup notamment les informations sur les bénéficiaires réels, ceux qui récupèrent l’argent à la fin du processus économique. Et sur ces 121, 31 ont soumis des informations lacunaires ou erronées. « Ces lacunes importantes érodent la crédibilité des informations communiquées ou montrent une mauvaise compréhension des exigences en matière de propriété effective », selon le rapport.
L’Etat manque de moyens de pression pour forcer les entreprises
Lors de sa conférence de presse, le gouvernement a d’ailleurs reconnu que malgré ses efforts, tout n’était pas encore au point. La task-force pour la mise en place de l’ITIE a même affirmé manquer de moyens de pression pour obliger les entreprises à divulguer leurs informations les plus sensibles, sur les vrais propriétaires et bénéficiaires et sur où va l’argent. Par exemple, dans une lettre adressée à DICA, le Myanmar Center for Responsible Business (MRCB), basé à Yangon, indique que son étude de MyCo, le registre officiel des sociétés, montre que certaines entreprises familiales ont divisé les parts entre les enfants afin de ne pas dépasser un certain seuil de participation officiel. Dans certains cas, le fondateur de l’entreprise familiale, ou le père de famille, détient peu ou pas d’actions, même s’il est clair que cette personne « exerce une influence notable » sur ses enfants, d’après le MRCB. Qui recommande à la DICA d’envisager « l’établissement d’un canal confidentiel d’information par lequel un membre du public qui pense que les informations du registre sont inexactes pourrait fournir des corrections ». Le MRCB suggère également d’obliger les propriétaires d’entreprise à fournir des informations sur eux-mêmes et les membres de leur famille qui sont ou étaient de hauts responsables gouvernementaux ou militaires. Les informations permettraient alors à ces individus d’être identifiés par les régulateurs, les investisseurs et les autres parties prenantes comme des PPE.
L’ITIE ne dit pas autre chose, qui estime que de nouvelles mesures sont nécessaires après cette date limite de janvier 2020 avant de pouvoir donner son label à la Birmanie. Cette étape d’identification systématique et exhaustive des propriétaires et bénéficiaires réels restent une exigence de base, signe que l’organisme juge que le pas de la transparence n’est pas encore franchi. L’ITIE veut aussi que les agences gouvernementales compétentes vérifient les informations fournies et les recoupent avec d’autres agences de contrôle ou de délivrance de licences afin d’éviter les fraudes. Un tel recoupement pourrait être intégré dans les procédures de demande de licence d’exploitation, par exemple, afin d’éviter les conflits d’intérêts. Autre demande de l’ITIE, mettre gratuitement les informations collectées à la disposition de tous les citoyens. Cela permettra aux journalistes et aux organisations de la société civile d’examiner les données, et de compléter les efforts de transparence du gouvernement. Et enfin, l’ITIE demande que la collecte d’informations soit étendue à toutes les entreprises, et non pas seulement 163, ayant des intérêts dans le secteur extractif du pays. Une harmonisation de la législation et des arrêtés ministériels en vigueur permettrait d’identifier les lacunes qu’utilisent aujourd’hui les -très – nombreux fraudeurs.
Des milliards de dollars fraudés et perdus
Pour l’année fiscale 2017-2018, le secteur extractif – pétrole, gaz, minéraux et pierres précieuses – représentait 5,16% des recettes de l’état, soit près de 383 milliards de kyats, environ 35% (quelque 5 milliards de dollars) des exportations totales et 4,78% du produit intérieur brut (PIB) du pays, en légère augmentation par rapport à l’année précédente. Or, selon le quatrième rapport ITIE sur la Birmanie, une étude en 2016 a estimé que 60 à 80% des pierres précieuses produites dans le pays ne sont pas déclarées… Le dernier indice mondial de surveillance de la corruption de Transparency International a vu la Birmanie gagner deux places, passant de la 132ème en 2018 à la 130ème place sur 180 pays classés en 2019. Ce classement s’est lentement mais régulièrement amélioré depuis que Daw Aung San Suu Kyi a accédé au pouvoir en 2016, alors que la Birmanie était à la 136ème position. Mais attention, ce classement n’est pas celui de la corruption réelle mais celui de la perception de la corruption par la population et les agents socio-économiques.
Par Ludivine Paques – Lepetitjournal.com – 23 avril 2020
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