Il était une fois un lycée appelé Pétrus Ky
Le lycée Pétrus Ky de Saïgon, aujourd’hui Lycée d’élite Lê Hông Phong de Hô Chi Minh-Ville, évoque pour les anciens Cochinchinois des souvenirs du temps de la colonisation française comme le Lycée du Protectorat de Hanoï le fait pour les ex-Tonkinois.
Souvenirs plus lointains même puisque la conquête de la Cochinchine s’était achevée en 1867 tandis que celle du Tonkin remonte à 1883.
Le nom de Pétrus Ky, alias Truong Vinh Ky (1837-1898), dit les débuts de l’acculturation France – Vietnam (Ouest-Est). Cet éminent érudit et lexicographe catholique, créateur du journalisme vietnamien, a laissé 118 ouvrages linguistiques, historiques, didactiques, littéraires, y compris les traductions en quôc ngu (écriture vietnamienne romanisée) d’œuvres en idéogrammes vietnamiens nôm.
Un ancien élève du lycée Pétrus Ky, l’octogénaire Nguyên Khac Siêm, nous parle de ses années scolaires dans cet établissement un peu avant et après l’explosion de la Seconde Guerre mondiale (1939). Son article publié aux États-Unis donne des détails intéressants et pittoresques sur le système éducatif et la mentalité d’une époque.
À 13-14 ans, Siêm a été admis par voie de concours au lycée Pétrus Ky pour suivre le cycle primaire supérieur de quatre ans. Les deux premières années se sont passées sans incident. À la troisième année, il récolta plusieurs mauvaises notes, étant influencé par des camarades fils à papa. Saigon connaissait alors une explosion de plaisirs nocturnes, la fréquentation des dancings était en vogue. Heureusement Siêm s’est ressaisi à temps. « Il y avait alors à Saigon très peu de gens du Nord. Mon père, venu au Sud, avait emmené des membres de la petite et grande famille, paternelle et maternelle. Ceux-ci en avaient emmené d’autres. Les émigrants s’étaient établis des deux côtés du pont de Bàng Ky, formant un petit village de menuisiers. Ils envoyaient leurs économies aux parentés restés au Nord pour l’achat de rizières et la construction de la maison familiale ». « Mon père jouissait d’une grande estime de la part de ses co-villageois. Si je ratais mon diplôme d’études primaires supérieurs, comment pourrais-je regarder en face les gens de mon village ! ». Cette pensée poussa le jeune Siêm à bûcher jour et nuit pour réussir. Pour un chercheur en sociologie, ce fait banal est révélateur de la force du sens communautaire (attachement à la famille et au village) et du souci de garder la face chez les Vietnamiens.
La tradition confucéenne
La Cochinchine ayant le statut de colonie d’administration française directe, la plupart des professeurs étaient des Français. C’est pourquoi les relations entre professeurs et élèves étaient loin d’être aussi chaleureuses qu’au Tonkin. Au Nord, persistait la tradition confucéenne du respect des disciples pour le maître (tôn su).
Parmi les professeurs français de Siêm émergea Louis Malleret qui lui enseigna le français en terminale. Licencié ès lettres avant de conquérir son doctorat, ce dernier fut un spécialiste en archéologie indochinoise. Il se distingue en particulier par ses fouilles mettant à découvert la culture d’Oc Eo (vestiges de l’État indianisé du Founan, VIIe siècle).
Un autre professeur érudit, Marcel Ner, enseignait à Hanoï. Il ne vint à Saigon que pour présider le jury du Bac-Philo. Cet ethnologue remarquable devait participer à la conférence préparatoire franco-vietnamienne de Dà Lat (avril 1946) avant le voyage du Président Hô Chi Minh en France pour les négociations de Fontainebleau.
À Pétrus Ky, le professeur de philo de Siêm fut M. Martin. Il ne donnait jamais d’explications en classe, chaque élève devait faire le compte-rendu des passages pris dans le manuel Cuvillier, le maître faisait de temps en temps de courts commentaires. Il donnait des notes très élevées aux devoirs de philosophie, ce qui encourageait les élèves à lire beaucoup. M. Gros, bachelier qui enseignait le français en 2e classe primaire supérieure, était un drôle de numéro : il aimait plaisanter, mais punissait les élèves qui riaient.
Parmi les professeurs vietnamiens figuraient Nguyên Van Nho, connu pour ses Souvenirs d’un étudiant (1920), œuvre pionnière d’une littérature vietnamienne en français, Mlle Châu, licenciée en géographie, toute menue mais très éloquente, M. Truyêt, licencié en anglais, qui appelait ses élèves « Monsieur ». Tout un monde qui, déjà, fait partie du passé… et de la petite histoire.
Par Huu Ngoc – Le Courrier du Vietnam – 25 juillet 2020
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