Comme en 2010, les royalistes thaïlandais mobilisés au nom de la «stabilité»
L’activisme de la jeunesse qui a encore manifesté samedi dans plusieurs endroits de Bangkok inquiète une grande partie de l’élite, mais aussi de la population. Le fait de remettre en cause la monarchie, et d’exiger de la transparence de la part du roi, reste considéré par beaucoup de thaïlandais comme un crime de lèse majesté en soi. Pourquoi ? Essayons de comprendre avant de juger…
Dans la vision normative thaïlandaise du monde, le royalisme et le nationalisme sont si étroitement liés que quiconque n’est pas royaliste avec enthousiasme doit aussi être « non thaï ». A l’époque où le mouvement pro-Thaksin était puissant, les Chemises rouges étaient ainsi considérées comme des « autres » – des ennemis extérieurs à écraser.
N’oublions pas qu’environ 90 membres du mouvement ont été tués lors des opérations militaires visant à disperser leur protestation en 2010. Beaucoup d’entre eux ont succombé à une seule balle de sniper dans la tête – avec peu de protestations de la part des thaïlandais.
En 2014, des manifestants royal-nationalistes se sont mobilisés contre le gouvernement élu de Yingluck Shinawatra. Le jaune royaliste des mouvements précédents avait alors été remplacé par le tricolore nationaliste rouge, blanc et bleu, qui ornait les chemises, les drapeaux et l’attirail de protestation. Le mouvement était à nouveau soutenu par une partie similaire de la société.
Des divisions profondes
Les royalistes thaïlandais, pour qui tout est lié – nation, armée, monarchie – voient aussi d’un mauvais œil toute interférence étrangère supposée. L’un de leurs arguments, ces jours ci, est de considérer avec suspicion une partie de la jeunesse mobilisée, l’accusant d’être avant tout composée d’étudiants issus de familles d’origine chinoise.
A nouveau, le conflit entre Thaïs et non-Thaïs refait surface. Hier, les royalistes dénonçaient les «chemises rouges» qui recrutaient selon eux les pauvres de l’isan (le nord est du royaume). Aujourd’hui, ils dénoncent la classe moyenne de Bangkok, majoritairement sino-thaie. Leur obsession est de protéger ce qu’ils estiment être la clef de voute du système et la garantie de stabilité dans un pays gangrené par la corruption et où la violence sociale peut rapidement s’installer: la monarchie, garante selon eux de l’indépendance du pays depuis des siècles.
La France et le Japon dans la ligne de mire
Comme à chaque fois, les thaïlandais vivant à l’étranger sont mis à contribution par cette frange royaliste de la population. On leur demande de dénoncer les exilés considérés comme anti-monarchistes, en particulier ceux installés en France et au Japon. La France, parce qu’elle a toujours été perçue comme un creuset «révolutionnaire». Le Japon, parce qu’il fut le pays du dernier exil du Maréchal Pibulsongkram, l’homme qui renversa la monarchie absolue en 1932.
La rhétorique de certains ultra-royalistes est très violente. Un homme a mis en ligne des photos criblées de balles d’un célèbre dissident anti-monarchiste, Aum Neko, en exil en France. Un groupe royaliste de chasse aux sorcières de longue date, « Organisation de collecte des ordures », a lancé des appels pour que Aum soit traquée. Le nom du groupe implique que ceux qui ne respectent pas la monarchie sont des « ordures » dont il faut « se débarrasser ».
Le conflit politique de ces dix dernières années en Thaïlande a déchiré des communautés, des amitiés et même des familles. Les vieilles rancunes ne sont pas vite oubliées, en particulier contre ceux dont on pense qu’ils nourrissent des sentiments négatifs à l’égard de la monarchie.
Gavroche-thailande.com – 18 Octobre 2020
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