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Les rivières birmanes vidées de leur sable

« Depuis que les Philippines, le Cambodge et le Vietnam ont presque entièrement cessé d’exporter du sable vers Singapour, la demande en sable birman a augmenté », confie un haut responsable de l’administration portuaire birmane à Reuters.

Selon un rapport des Nations Unies sur le commerce, sur la seule année 2018 (dernières données officielles disponibles), près d’un million de tonnes de sable birman ont été exportées vers Singapour en contrepartie de milliers de mètres-cubes de terres érodées et surtout de six millions de dollars étasuniens (de l’ordre de cinq millions d’euros).

En l’espace de 20 ans, la demande mondiale en sable a triplé car il s’agit du composant essentiel du béton. Dans la conjoncture mondiale de forte urbanisation, le secteur de la construction se porte évidemment bien et nécessite du béton, donc du sable. Et celui issu des fleuves et des rivières est le plus convoité car étant plus granuleux, il fournit un béton de meilleure qualité, ce qui le rend plus propice à la construction de bâtiments. Toutefois, le sable de plage reste quand même exploité.

L’extraction du sable accentue les inondations

Facile à extraire, le sable constitue un produit lucratif, ce qui attire des acteurs à la fois légaux et illégaux. En Birmanie, la gestion du sable, considéré comme une ressource naturelle dans la Constitution, relève du gouvernement national et son extraction est soumise à la loi sur la préservation de l’environnement. Mais malgré des conséquences environnementales et sociales négatives, il reste très exploité.

Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) paru en février 2019 affirme que l’extraction du sable dans les rivières accentue les inondations, l’érosion des berges, les sécheresses et l’abaissement des aquifères – zone où s’écoulent les nappes d’eau souterraine. Dans les zones de delta, les prélèvements excessifs facilitent les remontées d’eau salée dans les cours d’eau, ce qui appauvrit les sols, suscite une érosion supplémentaire et donc nuit aux agriculteurs locaux, comme le delta de l’Ayeyarwady qui compte de nombreuses rizières.

Une licence sans seuil maximal d’extraction

Dans la région de Bago, dont le sable de qualité est très convoité, l’exploitation est allée bon train. En conséquence, par exemple, les ressources en poisson ont considérablement diminué entre 2014 et 2019, réduisant le nombre de pêcheurs de 86 à 26. Selon un rapport du Comité national des ressources en eau, l’exploitation du sable en Birmanie « est proche ou a déjà dépassé son seuil de durabilité ». Sans pour autant pouvoir distinguer précisément la responsabilité précise de l’industrie du sable des autres facteurs possibles, comme les impacts des centrales hydrauliques.

Dans l’état de Môn, l’entreprise singapourienne Starhigh a commencé à extraire du sable en 2013 dans le delta de la rivière Salween, près de la circonscription de Chaungzon. Depuis, les glissements de terrain sont plus nombreux : un agriculteur a perdu presque 10 hectares de terrain, un autre six hectares. Un député de l’état de Môn affirmait en 2014 que Starhigh avait indemnisé des agriculteurs qui s’étaient plaints d’activités minières trop proches de leur terre. Pour sa part, l’entreprise temporise et déclarait à Reuters : « Si c’est possible, nous aidons la population locale à effectuer de petits travaux d’enfouissement à nos propres frais ». Il arrive aussi que des fermiers locaux décide de payer eux-mêmes, comme celui qui a dépensé près de 2 200 € pour creuser des digues et tenter de contenir l’érosion de la rivière. Selon le député déjà cité, Starhigh aurait extrait au moins 150 000 tonnes de sable en 2018 – 2019. Mais l’exploitation est légale car l’entreprise possède une licence sur laquelle aucun seuil maximal d’extraction n’y est inscrit.

Une administration pas toujours très regardante

Les licences d’extraction de sable sont attribuées par la Direction générale de l’administration (GAD) et la Direction des ressources en eau et de l’amélioration des systèmes fluviaux (DWIR). Avant de délivrer une licence, la GAD doit s’assurer que la zone à exploiter ne nécessite pas un entretien ou une protection particulière et l’entreprise demandant la licence doit fournir des prévisions sur les quantités qu’elle extraira. Au-delà d’un seuil de 1 000 mètres-cubes par an, l’exploitant doit obtenir un certificat d’autorisation environnementale auprès de la Direction de la préservation de l’environnement. Depuis 2015, au-delà de 50 000 mètres-cubes annuel, une évaluation des impacts environnementaux est aussi requise.

Des études hydrologiques sont menées par la DWIR qui a aussi un rôle de surveillance en collaboration avec les forces de l’ordre. Elle fournit des recommandations environnementales mais n’intervient que très peu dans l’attribution et les termes des licences. En détenant le pouvoir décisionnel, la GAD fixe donc les considérations environnementales, dans un cadre de responsabilité partagées et floues qui facilite de fait les abus. Et elle n’est pas toujours très regardante : « Je crois que les dégâts environnementaux causés sont minimes. Cela génère des fonds pour le gouvernement », a déclaré à Reuters un haut responsable de l’administration Portuaire, qui délivre les licences.

20 € d’amende en cas d’exploitation illégale

Selon le magazine Frontier, la plupart des exploitants dépassent le seuil de 1 000 mètres-cubes par an. Pour ce média, « l’application et le suivi des réglementations environnementales ne sont pas clairs ». Pyay River Gravel and Sand Production Association, un exploitant de sable, est en désaccord : « Nous ne prenons jamais plus de sable que ce qui nous est autorisé, il n’y a donc aucun risque pour la rivière ou les habitants, et nous payons des impôts ». Un des dirigeants reconnaît bien des problématiques environnementales mais pour lui l’activité de son entreprise serait hors de cause : « Le gouvernement a approuvé nos projets, donc pour nous, l’érosion et les modifications des cours d’eau ne sont pas liées à notre activité ».

En cas de dragage illégal du sable, l’exploitant est sanctionné dans le cadre de la loi sur la préservation des ressources en eau, promulguée en 2006. Il risque jusqu’à 2 ans de prison et une amende maximale de 30 000 kyats (environ 20 €), une somme peu dissuasive. « La plupart des dragages de sable illégaux ont lieu dans les affluents du fleuve car tout le monde peut facilement voir le bras principal. Notre administration contrôle près de 550 kilomètres de rivières, je ne peux pas savoir exactement combien d’exploitations illégales il y a », explique le directeur du DWIR de la région de Mandalay. Pour les industriels, l’illégalité n’est donc pas une fatalité… d’autant que la corruption peut aider.

Un secteur opaque et corrompu

Dans la région de Magwé, l’organisation de la société civile en charge de l’Initiative pour la Transparence de l’Industrie Extractive dénonce en effet un manque de transparence et de la corruption au sein de l’industrie du sable qui se répercutent directement sur les habitants. L’organisation a essayé de contacter la Direction de la préservation de l’environnement, qui délivre le certificat environnemental pour le dragage de plus de 1 000 mètres-cubes par an -, mais elle n’a pas coopéré. Le journal Frontier a lui aussi essayé. Il a demandé au DWIR et à la GAD des données sur le nombre de licences et les volumes de sable extraits. Après avoir accepté, le directeur du DWIR a déclaré ne pas être en capacité de fournir ces données et la GAD n’a pas répondu. Ce manque de transparence entrave le travail de préservation des berges.

Dans la région de Bago, le début de l’année 2019 a été marqué par des manifestations contre l’industrie du sable. Le 16 janvier 2019, près de 250 personnes ont manifesté en affichant des slogans comme « Arrêtez la corruption en donnant des licences d’exploitation » ou « Protégez le droit des pêcheurs locaux et des victimes de l’érosion des berges ». Lors d’une visite, un député local a expliqué que la région ne pouvait pas arrêter l’extraction du sable à la fois pour les revenus que cela apporte mais aussi parce que le béton est nécessaire à l’industrialisation du pays en plein développement. Il est vrai qu’interdire l’extraction du sable revient à interdire la production d’une ressource aujourd’hui nécessaire au développement économique.

Le tourisme, plus efficace que l’argument écologique

Près des plages très touristiques de Ngapali, dans le village de Gaw Taung, l’exploitation du sable a été fructueuse. Le chef du village avoue avoir été impliqué dans cette industrie et vantait en 2015 la trésorerie de Gaw Taung, qu’il estimait à 150 millions de kyats (environ 92 000 euros). Quand la provenance des fonds lui a été demandée, il a simplement répondu : « Je ne vous dirai pas ». L’explication pourrait se trouver à 200 mètres du village, où il y a une mine de sable. Pour les travailleurs de la mine, l’enveloppe est bien en deçà de celle du village. « Pour ramasser du sable, les femmes gagnent 3 500 kyats (quelque 2 €) par jour et les hommes 5 000 kyats (de l’ordre de 3 €) », témoigne un travailleur. Mais ici, à Ngapali, les hôteliers auraient depuis réussi à réduire l’exploitation, du moins à proximité de leurs établissements et des plages touristiques.

Les rivières birmanes n’ont pas cette chance. Entre demande en hausse, forte extraction et augmentation des projets de barrages et de centrales hydro-électriques, les cours d’eau sont menacés. Et les solutions mises en place sont parfois paradoxales : en 2015, le gouvernement régional de Bago a dépensé un peu plus de 500 000 € pour recréer des terres cultivables… sur un banc de sable artificiel au milieu de l’Ayeyarwady qui est aujourd’hui menacé par l’érosion !

Par Julia Guinamard – Lepetitjournal.com – 26 Octobre 2020

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