Thaïlande : des artistes inspirés par le mouvement pro-démocratie
Casque de réalité virtuelle sur la tête et manettes à la main, l’artiste thaïlandais Chalermpol Junrayab effectue comme une danse de robot pour réaliser son art.
Ce qu’il dessine est une scène hautement politique : un étudiant suspendu à un arbre – une image tristement célèbre du massacre d’étudiants de l’Université Thammasat de Bangkok en 1976, qui a fait officiellement 46 morts.
Au-dessus de cette scène macabre, on peut lire en lettres rappelant les comic books, « Amazing Thaïland« , une reprise du slogan touristique du royaume.
Depuis juillet, des manifestations lancées par des jeunes appelant à des réformes démocratiques ont été une aubaine pour la scène artistique du royaume, et Chalermpol, 35 ans, fait partie d’une jeune génération d’artistes inspirés par le vent de révolte qui traverse le pays.
« Mon objectif est de pouvoir amuser les gens à travers l’art et en rire« , explique-t-il à l’AFP, dans une galerie où il est exposé.
L’expérience virtuelle ajoute une touche de réalisme qui permet au public de se déplacer dans l’oeuvre.
Outre la réalité augmentée, Chalermpol aime aussi réinventer les couvertures de romans graphiques américains, avec des personnalités politiques thaïlandaises en héros ou en méchants, tout en restant neutre, insiste-t-il.
« Il est préférable de s’en tenir à ce qui se passe dans l’actualité – chacun peut l’interpréter comme il l’entend« , dit-il.
En bonne place dans ses oeuvres, le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, un ancien chef militaire qui a pris le pouvoir par un putsch en 2014 et dont les manifestants réclament la démission.
Sur une des planches, on le voit dévorer la « plaque du peuple« , un symbole pro-démocratie.
– L’Art vestimentaire –
Pour Silapa, 24 ans, les manifestations sont l’occasion d’atteindre un public plus large avec ses t-shirts imprimés inspirés du groupe de rock AC/DC.
Son vêtement le plus populaire parodie une décision maintenant abandonnée du Premier ministre Prayut d’acheter des sous-marins à la Chine, une dépense jugée scandaleuse en période de crise économique due à la pandémie de Covid-19.
« Je veux que mes créations survivent aux manifestations, ce qui signifie que même après la fin du mouvement, elles seront toujours à la mode« , dit-il à l’AFP.
Il a vendu quelque 3.500 T-shirts à 200 bahts chacun (6 euros) lors des rassemblements.
« Je veux que l’histoire retienne ce que Prayut a fait à notre pays« , dit Silapa.
Sur un autre T-Shirt, on voit un héros mi-homme mi-canard veillant sur les étudiants, une référence à l’utilisation par les manifestants de canards gonflables pour se protéger des canons à eau de la police.
– « Tous dans le même bateau » –
Les manifestations sont restées en grande partie pacifiques, mais Chalermpol se souvient des jours funestes de 2010 où au moins 90 personnes sont mortes dans la répression contre les Chemises rouges.
L’épisode est ancré dans tous les esprits, et personne ne souhaite revivre ça.
Originaire d’Indonésie, Ivana Kuriniawati met elle aussi l’accent sur la paix avec ses portraits numériques des dirigeants étudiants dans une ambiance très enfantine, sur fond bleu ciel.
« C’est un mouvement pacifique, et je tenais à ce que mes affiches soient fidèles à cette philosophie« , raconte la jeune femme de 24 ans à l’AFP.
Ivana a débuté sa série en août dernier, lors de l’arrestation du célèbre avocat Anon, l’une des figures du mouvement, au physique d’Harry Potter avec ses lunettes cerclées.
Depuis elle a en ajouté sept autres, à mesure que les autres figures étaient arrêtées et inculpées.
Avec quelques coups de crayon et des touches de couleur, les silhouettes des personnages importants sont immédiatement reconnaissables.
Aujourd’hui, ses affiches sont brandies systématiquement lors de rassemblements où les manifestants demandent l’abandon des charges contre leurs leaders.
« La meilleure chose à faire en tant qu’artiste est d’élever ma voix en utilisant l’art visuel« , dit Kurniawati, ajoutant qu’elle n’a pas peur des conséquences.
« Il vaut mieux faire quelque chose que rien du tout… Nous sommes tous dans le même bateau. »
Agence France Presse – 9 décembre 2020
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