La Chine bâtit une “grande muraille du Sud” à sa frontière avec la Birmanie et le Vietnam
Depuis septembre 2020, la Chine a entamé la construction d’un mur sur ses 2 000 km de frontière avec la Birmanie. La presse chinoise parle d’une nouvelle « grande muraille du Sud » (南方长城).
Des barbelés et piliers d’acier ont également été construits sur la frontière vietnamienne au cours de l’année passée. Quels sont les enjeux de cette barrière qui a pris par surprise les voisins de la Chine ?
Côté birman, à ce jour seuls 659 km auraient été construits. Mais selon les autorités locales, le mur équipé de caméra de surveillance et partiellement électrifié devrait couvrir l’ensemble de la frontière d’ici fin 2022. La barrière haute de 3 mètres serait partiellement équipée de caméra de surveillance entre barbelés et barres de métal. Les premières constructions se situent à la frontière avec la zone administrative spéciale de Kokang, une enclave en territoire birman où dominent le mandarin et le yuan au milieu de casinos pour clients chinois. Ce mur est apparu comme une surprise pour les autorités birmanes, civile et militaires. Elles n’ont été ni consultées ni prévenues à aucun moment d’un projet pourtant mûri depuis plusieurs mois. En décembre dernier, Radio Free Asia révélait les premières photos des barrières puis relayait une vidéo d’un internaute chinois filmant les nouvelles barres de métal séparant la Chine de la Birmanie. L’armée birmane a d’ores et déjà exprimé son mécontentement. Les autorités civiles, elles, restent plus timides, conscientes du rapport de force défavorable à la Birmanie toujours dépendante de la Chine sur la scène internationale. La muraille enfreint pourtant un traité bilatéral signé en 1961 prévenant toute construction à moins de 10 mètres du tracé de la frontière.
Drogue, Covid-19, travailleurs migrants : quelles motivations chinoises ?
La diplomatie chinoise n’a pas encore répondu aux questions posées des autorités birmanes après leur découverte du mur. Difficile de conclure encore sur l’ambition finale du projet. La presse officielle chinoise qualifie cette barrière de « mur pour la sécurité » (安全墙), érigé en « coopération avec la Birmanie » pour lutter contre le Covid-19. La ville chinoise de Ruili sur la frontière birmane a en effet été mise en quarantaine stricte en septembre suite à l’importation du virus depuis la Birmanie. Alors que le Covid-19 semble largement sous contrôle en Chine, le pays d’Aung San Suu Kyi depuis août dernier n’a pas réussi à endiguer les nouvelles contaminations et comptait 128 772 cas ce vendredi 8 janvier. Les craintes chinoises d’une infiltration du virus via la frontière birmane évoquent déjà une longue histoire de transmission du virus du sida depuis la Birmanie vers la Chine depuis les années 1980.
Difficile pourtant de croire que ce projet qui s’étalerait sur 3 ans et a nécessité une sérieuse préparation ne serait motivé que par le Covid-19. Les slogans accrochés le long de la barrière soulignent deux objectifs : « Luttons contre les sorties illégales du territoire, prévenons l’importation étrangère du virus ». * Beaucoup des journalistes occidentaux, à commencer par la rédaction de Radio Free Asia ont décrit le mur comme une prison pour retenir les dissidents chinois tentés par la fuite vers le Sud-Ouest. Si cette théorie peut évoquer la place du Yunnan comme l’échappée des exilés chinois à l’instar du dernier prétendant Ming (Zhu Youlang, 朱由榔) ou des nationalistes du Kuomintang, la Chine a depuis renforcé son contrôle sur les frontières birmanes en soutenant les puissants groupes armés autonomes Wa, Kokang, Ta’Ang et Kachin. Dans ces enclaves frontalières se dressent de somptueux casinos, des marchés où s’échangent pangolins, tigres, prostitués, opium et méthamphétamine.
La production de méthamphétamine en Birmanie à destination des marchés thaïlandais, chinois ou australiens est en constante progression, la plus grosse saisie de l’histoire ayant été enregistrée à la frontière sino-birmane en mai dernier. Le premier janvier, le Quotidien du Peuple a annoncé une saisie totale de 1,5 tonne de drogue et l’arrestation de 158 trafiquants pour la seule année 2020. La construction du mur reflète potentiellement une nouvelle volonté chinoise de se saisir du problème des narcotrafics sur ses frontières. Cependant, ces flux de narcotrafics sont intimement liés à l’économie des groupes armés sur la frontière birmane. Ces mêmes enclaves contrôlées par des groupes autonomes sont utiles à Pékin pour faire pression sur le gouvernement birman lorsque ce dernier rechigne à faire avancer les nombreux projets chinois d’envergure prévus en Birmanie. La Chine est largement suspectée d’armer leurs combattants, fournissant du matériel haut de gamme jusqu’à des hélicoptères et des lanceurs de missiles.
Un mur pour contrôler l’intérieur
Selon les autorités birmanes de la région du Kokang, le mur viserait à prévenir les citoyens chinois de se rendre illégalement en Birmanie.
Le mur pourrait permettre à la Chine de mieux contrôler les flux de ses citoyens vers la Birmanie. Loin des exilés politiques, l’intérêt serait surtout de contrôler les casinos et centres de trafics florissants sur les frontières qui attirent les travailleurs et citoyens chinois. Si les joueurs des casinos sont certainement visés, les travailleurs migrants chinois attirés par la Birmanie se sentent être les premières victimes du mur. Les casinos existent sur la frontière sino-birmane depuis les années 2000. Mais le développement des réseaux numériques entretient une nouvelle économie des casinos en ligne souvent liée à des pratiques frauduleuses. Ces installations situées du côté birman de la frontière réclament des travailleurs éduqués et sinophones. Les offres diffusées sur Wechat sont alléchantes pour les travailleurs des provinces du Yunnan et du Guangxi, parmi les plus pauvres de Chine. Le gigantesque complexe de casinos de Shwe KoKo destinés au marché chinois a ainsi fait la une des journaux birmans en 2020, avant d’être condamné par l’ambassade de Chine en Birmanie. Des centaines d’annonces de recrutement circulaient sur les réseaux sociaux chinois attirant des travailleurs du Yunnan et d’ailleurs, en pleine pandémie de Covid-19. Selon une source proche du dossier, beaucoup des migrants chinois illégaux en Birmanie auraient été testés positifs à leur retour en Chine depuis les enclaves de Wa ou de Mong La. Le mur érigé semble bel et bien motivé par la problématique de contrôle du pouvoir chinois sur ses propres citoyens. Il s’agit pour Pékin de contrôler ses citoyens émigrés, une dynamique déjà à l’œuvre dans les universités étrangères et les entreprises multinationales, où depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, le PCC a renouvelé sa surveillance sur les Chinois émigrés.
« Au final, ce mur blessera plus la Chine que la Birmanie »
L’impact pour les populations transfrontalières, notamment les minorités ethniques à cheval entre les deux pays, risque d’être important si des dispositions ne sont pas prises pour faciliter leurs mouvements. Alors que la Chine refuse toujours de régulariser les échanges économiques et préfère décider unilatéralement des quotas et taxes aux importations selon ses besoins, les marchands birmans ont beaucoup à perdre de la disparition des routes clandestines. La construction du mur pourrait aussi déranger les trafics de femmes birmanes vendues comme épouses en Chine, si seulement les autorités chinoises souhaitent également y mettre fin – ce qui reste à prouver. Enfin, beaucoup de travailleurs migrants birmans résident illégalement en Chine à cause de la complexité des procédures légales d’immigration. Ces derniers risquent de se retrouver bloqués. « Je n’ai pas jamais entendu parler de ce mur, confie une étudiante birmane résidant à Kunming jointe par téléphone. Si c’est vrai, cela risque de devenir plus dur de venir travailler pour beaucoup de birmans. » Toutefois, selon Khin Zaw Win, analyste politique birman et directeur du Tampadipa Institute, « au final, ce mur blessera plus la Chine que la Birmanie. Peu de Birmans traversent la frontière illégalement. Les Chinois entrant en Birmanie seront désormais contrôlés. » Un mur est déjà en construction sur la frontière sino-vietnamienne. Les problématiques y sont similaires, trafics de drogue, flux importants de travailleurs illégaux. Depuis 1992 le Yunnan a été désigné comme tête de pont de la Chine vers l’Asie du Sud-Est. Les échanges frontaliers ont été démultipliés, engendrant de puissantes transformations politiques dans la province du Yunnan vers un contrôle accru du gouvernement central sur ses marges du Sud-Ouest. La construction de cette « grande muraille du Sud » n’annonce pas une fermeture, mais au contraire participe de la stratégie de Pékin vers une intensification des échanges, notamment avec la Birmanie afin d’ouvrir les provinces de l’Ouest vers l’océan Indien. La Chine ne cesse d’intensifier ses efforts diplomatiques pour enfin faire aboutir son « corridor économique Chine-Birmanie » reliant le Yunnan à l’océan Indien. Conscient de la porosité des frontières, de la diversité linguistique, ethnique, politique et religieuse de cette marge sud-ouest, Pékin souhaite de l’ordre. Le développement des systèmes de contrôle et de notation de la population en Chine, via le système de crédit social répond aux mêmes enjeux : une crise de confiance dans les systèmes financiers de crédit et une volonté de contrôle accru sur les populations. La muraille du Sud viserait également la fin des arnaques des casinos en ligne situés en Asie du Sud-Est et un contrôle inédit sur les flux de population dans des zones jusqu’alors poreuses.
Par Thibaut Bara – Asialyst – 8 janvier 2021
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