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En Birmanie, la révolution des jupes et des sous-vêtements

Depuis le coup d’Etat du 1er février, les femmes sont au cœur du mouvement de contestation. Dans un pays très patriarcal, ce sont elles qui ont le plus à perdre d’un retour des militaires au pouvoir.

Un soldat birman juché sur une échelle, armé d’un bâton, se contorsionne pour faire tomber à terre des pièces de tissu colorées, étendues sur des fils électriques. En dessous de lui, un camion militaire est stationné, ses camarades lèvent la tête pour surveiller les opérations. La photo, prise la semaine dernière près de Loikaw, dans l’état Kayah dans l’est du pays, illustre ce que les Birmans nomment déjà «la révolution du longyi», du nom de la jupe traditionnelle tubulaire portée aussi bien par les hommes que par les femmes.

Un peu partout dans le pays, les femmes se sont mises à suspendre leurs jupes ou leurs sous-vêtements en hauteur : une vieille croyance bien ancrée interdit aux hommes de passer sous les habits portés sur la partie inférieure du corps des femmes, sous peine de perdre leur pouvoir viril et de voir les pires malheurs s’abattre sur eux. «Cela peut sembler étrange aux non-Birmans, mais c’est une tactique qui fonctionne bien, notamment dans les zones ethniques, assure Htoi Naung, du groupe Shans Women Action Network. Les jupes retardent considérablement l’avancée des militaires.» A Rangoun aussi, depuis quelques jours, les manifestants se retranchent derrière des cordes à linge. «En cas de violence, si on doit courir, ça nous donne une longueur d’avance, car les militaires hésitent avant de franchir la ligne», explique Aung Maung, un jeune manifestant.

Tuniques karen écarlates

Loin d’être anecdotique, la pratique, de plus en plus répandue, est l’une des multiples formes que prend l’engagement des Birmanes dans la lutte anti-junte. Depuis le début des affrontements, de très jeunes femmes n’hésitent pas à se battre en première ligne et à en payer le prix. La première victime du mouvement, Mya Thwate Thwate Khaing, abattue d’une balle dans la tête à Naypidaw le 9 février, avait 19 ans.

La semaine dernière, à Mandalay, sa camarade Kyal Sin, 20 ans, grande adepte de TikTok et de tutos de maquillage, dont le courage a été souligné par tous les témoins présents, devenait l’autre martyre féminine du mouvement.

Ce sont aussi deux femmes, connues dans les milieux activistes de jeunesse, Esther Ze Naw et Ei Thinzar Maung, vêtues de tuniques karen écarlates, qui ont mené les premiers défilés de masse contre la junte le 6 février à Rangoun. En tant que représentantes de minorités ethniques, elles avaient pourtant par le passé exprimé leurs réserves quant à la politique du gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND, le parti d’Aung San Suu Kyi) concernant les minorités.

«Le mouvement est intersectionnel»

«Aujourd’hui, la bataille dans les rues de Birmanie est plus large qu’une simple opposition entre armée et LND, explique Naw May Oo Mutraw, enseignante et activiste karen. Le mouvement est véritablement intersectionnel, au sens où des groupes comme les femmes et les minorités ethniques s’engouffrent dans la brèche ouverte par le mouvement anti-junte pour faire avancer leurs revendications.» La société birmane reste extrêmement patriarcale malgré la figure dominante d’Aung San Suu Kyi en politique : pendant ses cinq ans au pouvoir, la Dame de Rangoun n’a jamais montré d’intérêt particulier pour les causes féministes ni promu de femme à des postes importants.

Loin de la capitale, dans les campagnes, les femmes jouent un rôle peut-être encore plus essentiel. «Dans les zones ethniques, les femmes sont déjà très souvent cheffes de famille, de village, reprend Htoi Naung. C’est donc tout naturellement qu’elles se sont retrouvées à la tête des mouvements ruraux de contestation.» Dans les zones des Karen, Shan, Kachin, ce sont souvent des femmes qui mènent les cortèges, haranguent la foule ou tiennent tête à la police pour réclamer la libération des villageois emprisonnés. «Elles qui ont le plus à perdre à un retour de l’armée au pouvoir», note Naw May Oo Mutraw, l’enseignante.

L’usage du viol comme arme de guerre par la Tatmadaw, l’armée birmane, contre les femmes dans les zones ethniques a été largement documenté par plusieurs rapports depuis 2003. «En se battant contre l’armée, l’institution qui incarne le mieux le patriarcat en Birmanie, le mouvement actuel offre un espace de négociation pour jeter les bases d’une nouvelle société qui prendrait mieux en compte les femmes, les minorités, poursuit Naw May Oo Mutraw. Il s’agit d’un moment unique pour définir qui nous sommes, de quelle société nous voulons.» Paradoxalement, la crise meurtrière traversée aujourd’hui par le pays offre aux femmes qui se battent en première ligne l’occasion de faire entrevoir la possibilité d’une société plus égalitaire.

Par Carol Isoux – Libération – 8 mars 2021

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