Après le massacre de Hlaing Tharyar, Pékin pris au piège du soutien à la junte birmane
L’incendie d’une trentaine d’usines chinoises dimanche à Hlaing Tharyar, dans la banlieue de Rangoun, a montré la force du ressentiment antichinois parmi les opposants à la junte birmane. Le regain de violence et les attaques antichinoises placent Pékin dans une position d’équilibriste difficilement tenable à long terme.
Une « zone de guerre urbaine » en Birmanie. C’est ainsi que Debbie Stothard, de la Fédération internationale pour les droits humains, a décrit la commune de Hlaing Tharyar, dans l’agglomération de Rangoun. Cette banlieue industrielle, coupée du monde par les forces de sécurité birmanes depuis le bain de sang de dimanche, est devenue le symbole du sentiment antichinois parmi les manifestants opposés au coup d’État. L’incendie par ces derniers d’une trentaine d’usines appartenant à des investisseurs chinois a jeté une lumière crue sur la position de Pékin, principal soutien international des putschistes.
Hlaing Tharyar était jusqu’alors réputé comme un point de chute de migrants ruraux à la recherche de travail dans les nombreuses usines du district. Depuis les heurts meurtriers de dimanche, lors desquels des dizaines de manifestants ont été abattus à balles réelles, le district est devenu un symbole de la détermination des opposants à la junte.
Fidèle à sa posture de « non-ingérence » dans les affaires intérieures d’autres États, la Chine n’avait pas rejoint le flot de condamnations internationales au moment du coup d’État du 1er février. La prise du pouvoir par la junte s’étant faite sans tirer un coup de feu, la presse officielle chinoise avait même qualifié le putsch de simple « remaniement gouvernemental ».
Risque d’un front antichinois
La montée en puissance de la révolte populaire, le massacre de Hlaing Tharyar et le ciblage des intérêts économiques chinois pourraient faire évoluer la position de Pékin afin de protéger son image internationale, sur laquelle repose en partie ses grands projets d’infrastructures des « nouvelles routes de la soie ».
« Ce qui se passe à Hlaing Tharyar peut certainement infléchir la position chinoise sur la Birmanie car les intérêts chinois sont délibérément visés », affirme Sophie du Boisseau Rocher, chercheuse au centre Asie de l’IFRI, dans un entretien à France 24. « Il y a une véritable inquiétude des acteurs chinois publics comme privés car ce ressentiment qui s’exprime en Birmanie pourrait annoncer un front antichinois plus virulent en Asie du Sud-Est ; un front qui est implicite mais qui, s’il s’exprime, pourrait provoquer une vraie nuisance pour la Chine », ajoute l’experte sur la Birmanie.
Au lendemain des incendies de Hlaing Tharyar, le quotidien nationaliste chinois Global Times avait accusé des « forces occidentales antichinoises, des ONG, et des sécessionnistes de Hong Kong » d’être à l’origine des attaques contre les intérêts chinois. Mais la réaction officielle de Pékin, par la voix du ministère des Affaires étrangères, avait été nettement plus mesurée, appelant toutes les « parties concernées » à la retenue et au dialogue.
Pressions économiques
La marge de manœuvre de Pékin reste néanmoins limitée car l’armée birmane est, de longue date, traversée par des sentiments de méfiance à l’égard du voisin chinois. Malgré une frontière commune de 2 000 kilomètres et des investissements chinois massifs, les militaires birmans restent des nationalistes qui craignent l’encerclement de leur pays et une dépendance trop importante envers la Chine. De plus, la junte est consciente que Pékin entretenait de bonnes relations avec la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi au pouvoir avant le coup d’État.
L’infléchissement de la politique chinoise passera donc plutôt par des pressions économiques en coulisses, selon Sophie du Boisseau Rocher. « On voit mal les Chinois rester impassibles. Ils vont s’activer derrière le rideau, au niveau des associations économiques et des chambres de commerce, au niveau de leurs connexions politiques, pour éviter un bain de sang plus important », décrypte l’experte. « Un tel changement de tactique de la Chine serait tellement inédit que la junte devrait forcément en prendre compte, elle ne pourrait l’ignorer. »
Un représentant des intérêts chinois en Birmanie a laissé entendre mercredi au Global Times que plusieurs entreprises étudiaient l’option de rapatrier leurs employés en Chine. Le même jour, des habitants de Hlaing Tharyar cités par l’AFP faisaient état de ratissages, de maisons incendiées et de « coups de feu en continu ».
Par Mehdi Chebil – France 24 TV – 18 mars 2021
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