Birmanie. Le combat d’une secouriste bénévole
Rien ne la prédestinait à se ranger du côté de la résistance. Aujourd’hui, alors que les soignants sont désormais systématiquement pris pour cible par la junte birmane, que les blessés sont arrêtés dans les hôpitaux, une bénévole secouriste témoigne de cette répression et de son engagement sur le terrain.
Au petit matin, à Rangoun, il est de plus en plus difficile de reconnaître les rues laissées la veille. L’odeur persistante de brûlé se mêle au spectacle des barricades renversées, des motos à terre, des câbles Internet ostensiblement coupés et des maisons pillées par la soldatesque pour quelques vivres. Aucune colonne de fumée ne s’échappe mais, dans quelques heures, lorsque les affrontements reprendront en Birmanie, personne ne doute qu’elles s’élèveront de nouveau vers le ciel.
C’est à l’heure où tout est calme que Ma Ei Mon Phyoe (1) retrouve deux de ses amies, dont l’une est infirmière, pour charger sa voiture de matériel de premiers secours et filer à l’arrière des manifestations, là où ils sont déjà des centaines à être tombés sous le feu des forces de sécurité. « J’ai acheté tout ce qu’il fallait. On reste sous le soleil pendant des heures, on soigne les blessés, on fuit quand on se fait charger. On rentre tard le soir ou on dort chez l’habitant, si on est coincé par des cordons de terroristes. » « Terroristes », c’est désormais le nom communément employé par l’opposition démocratique pour désigner la junte. Car les témoignages concordent sur l’effroi qui parcourt le pays et notamment ces enlèvements de mineurs dans les quartiers populaires. L’armée entend ainsi dissuader les familles de s’engager dans la désobéissance et enrôler de force des enfants-soldats pour affronter les guérillas ethniques également en rébellion.
Comment Ma Ei Mon Phyoe a basculé dans la résistance
Rien ne prédestinait a priori Ma Ei Mon Phyoe à se ranger du côté de la résistance au coup d’État du 1er février. Jeune dirigeante d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire, elle est issue d’une famille de soldats très conservatrice et précaire. Et se décrit comme « une grande gueule ». « Forcément, aujourd’hui, je suis en conflit avec eux », lâche la jeune femme. C’est peu dire qu’elle ne partage pas leur avis sur le destin de la Birmanie et le renversement du Parlement largement dominé par la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, à l’issue des législatives de novembre. Avant le putsch, assure Ma Ei Mon Phyoe, le pays « allait dans le bon sens, avec de vrais progrès démocratiques et sociaux, les luttes contre la pauvreté et la corruption. Il y avait encore trop d’avantages pour les riches, pas assez de place pour les jeunes, mais, maintenant, on voit à quel point tous nos malheurs viennent de cette armée de voyous et de pillards ».
L’armée tire « à balles réelles contre des manifestants pacifiques »
Ma Ei Mon Phyoe assure seulement les premiers secours à destination des manifestants battus ou ayant reçu des balles en caoutchouc. « Nous ne sommes pas des médecins et n’avons que des pansements, des bandages, et tous les désinfectants possibles », précise-t-elle. « Ceux qui ont été blessés par balles réelles sont pris en charge par des ambulances privées, mais elles aussi bénévoles. D’une certaine manière, on leur soulage le travail. »
À bord de sa voiture, elle se sait exposée, considérée comme complice des fauteurs de troubles. L’armée n’hésite d’ailleurs pas à tirer sur les véhicules de secours. Selon le journal The Irrawaddy, des équipes de premiers secours occupées à soigner les blessés ont également été sauvagement battues par les forces de sécurité. La semaine passée, un manifestant de 23 ans témoignait également à Reuters de l’attitude de la police et de l’armée qui entravent délibérément le passage des soignants : ils « ont d’abord empêché l’ambulance d’arriver jusqu’aux personnes blessées et ne l’ont autorisée à le faire que plus tard. Le temps qu’elles l’autorisent, l’un des blessés était dans un état critique et il est décédé par la suite ».
Dans la petite ville de Latpadan, le harcèlement est le même. Alors qu’ils tentaient de calmer des policiers qui passaient à tabac des étudiants à terre et menottés, des habitants ont eux aussi reçu des coups de matraque. Les agents ont brutalisé les manifestants en sang jusque dans l’ambulance de la Free Funeral Service Society (FFSS), une organisation de la société civile de la région de Rangoun.
Dans la nuit du 3 mars, la FFSS a été victime d’un raid lors duquel les ordinateurs, les téléphones et des documents ont été saisis. Lors de la descente, le personnel a lui aussi été battu. « Il est tout à fait odieux que les forces de sécurité tirent à balles réelles contre des manifestants pacifiques dans tout le pays. Je suis également consternée par les attaques documentées contre le personnel médical d’urgence et les ambulances qui tentent de prodiguer des soins aux personnes blessées », a expliqué la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet.
« Ils n’ont jamais vu une révolution aussi unie, résolue et organisée »
Les militaires ont également investi les hôpitaux pour cueillir les manifestants à leur arrivée et dissuader les soignants, investis dans le mouvement de désobéissance civile depuis le début, de les prendre en charge. Même combat dans les hôpitaux militaires où les soldats refusent les blessés au prétexte qu’ils n’ont pas leurs pièces d’identité. Face à ce carnage, certains résistants parlent désormais de prendre les armes tout comme l’opposition regroupée dans le Comité pour représenter le Pyidaungsu Hluttaw, le Parlement fantôme, ouvrant la voie à une militarisation du conflit. Mais Ma Ei Mon Phyoe n’est pas persuadée que ce soit le chemin à suivre face à une armée sans scrupule. « Tous les anciens du mouvement de 1988 nous le disent : ils n’ont jamais vu une révolution aussi unie, résolue et organisée. On va encore beaucoup souffrir mais on gagnera. »
(1) Le prénom a été modifié.
Par Lina Sankari – L’Humanité – 24 mars 2021
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