Total accusé de financer la junte militaire birmane à travers des comptes offshore
La compagnie pétrolière française exploite un gisement de gaz au large des côtes birmanes depuis 1998. Documents à l’appui, « le Monde » révèle ce mardi 4 mai comment Total financerait les généraux de la junte militaire en Birmanie.
C’est un montage financier de grande ampleur qu’a révélé « le Monde », ce mardi 4 mai. La compagnie pétrolière française Total financerait, par l’intermédiaire de comptes offshore, les généraux de la junte militaire en Birmanie.
Depuis 1998, Total exploite un gisement de gaz, Yadana, au large des côtes birmanes. Il est possédé par la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), entreprise contrôlée par des militaires birmans et dont Total est actionnaire majoritaire.
Ayant subi le coup d’Etat militaire du 1er février 2021, les militants pro-démocratie demandent à Total de cesser ses activités, car elles rapportent de l’argent à la junte qui gouverne le pays, depuis l’éviction d’Aung San Suu Kyi.
Le journal « le Monde » a eu accès à des documents internes, qui montrent qu’il existe bien un montage financier autour du gisement Yadana et du gazoduc qui le relie à la Thaïlande. Ce tuyau est possédé par la Moattama Gas Transportation Company (MGTC).
Moins d’impôts, plus de dividendes
La MOGE et la MGTC ont exactement les mêmes actionnaires, avec les mêmes parts. Pour les deux entreprises birmanes, donc, Total est le principal actionnaire, avec 31 % des parts. La MOGE, quant à elle, est actionnaire d’elle-même et de la MGTC. En bref, l’argent qui entre dans l’une des deux entreprises profite à l’autre, et aussi à Total.
La MGTC facture très cher le transport du gaz de la MOGE par son pipeline. Une manière de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », explique « le Monde ».
Le but de cette facturation, loin d’être absurde, est en fait une stratégie de détournement fiscale : en donnant beaucoup d’argent à la MGTC, la MOGE baisse ses propres revenus et paie donc très peu d’impôts à l’Etat birman. Et puisque Total est actionnaire de la MOGE, il paie également moins d’impôts.
Dans le même temps, la MGTC gagne de l’argent et augmente donc ses bénéfices. Et puisque l’entreprise réside fiscalement aux Bermudes, paradis fiscal, elle n’est pas taxée sur cette grande rentrée d’argent. Total, actionnaire de cette entreprise aussi, est également gagnant, puisqu’il touche des dividendes sur lesquels il ne paie rien à l’Etat. Une subtilité qui profite aussi directement à la MOGE, pour ces mêmes raisons.
« Boîte noire » de la junte
C’est cette dernière partie qui inquiète le plus les défenseurs de la démocratie. Car la MOGE est considérée comme la « boîte noire » de la junte militaire. « Des centaines de millions de dollars de revenus du gaz, qui devraient revenir au peuple birman, alimentent des comptes offshore contrôlés par une junte illégale qui mène une campagne de terreur contre les Birmans », dénonce auprès du « Monde » Yadanar Maung, porte-parole de l’ONG Justice for Myanmar.
Contacté par le journal, Total a parlé d’un « schéma classique », validé par les autorités de l’époque et qui s’est poursuivi ensuite. Pour Patrick Pouyanné, PDG de l’entreprise, ces activités ne favorisent pas la junte en place depuis février.
L’Obs – 4 mai 2021
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