Un montage financier complexe utilisé par Total a financé la junte birmane pendant des années
Un montage financier complexe passant par les Bermudes, utilisé par Total et ses partenaires depuis les années 1990, a permis aux militaires au pouvoir en Birmanie de détourner des caisses de l’Etat des centaines de millions de dollars provenant des ventes du gaz produit dans le pays.
Selon le journal Le Monde, qui s’appuie notamment sur des documents ayant fuité de l’administration birmane peu après le coup d’Etat militaire du 1er février, le système repose d’abord sur la Moattama Gas Transportation Company (MGTC), société domiciliée aux Bermudes et propriétaire du pipeline acheminant le gaz du gisement de Yadana vers la Thaïlande.
Total est l’opérateur de ce gisement et détient 31% de son capital, de même qu’il est le premier actionnaire de MGTC avec la même part du capital de cette société.
Le Monde rapporte que la domiciliation aux Bermudes de MGTC a contribué à maximiser les profits versés aux actionnaires de la société – qui incluent aussi le thaïlandais PTTEP, l’américain Chevron et l’entreprise publique birmane MOGE – et à « minimiser les taxes versées à l’Etat birman, grand perdant de ce système ».
Des liens étroits avec la junte birmane
La Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), une agence du ministère de l’Énergie, ne publie pas ses comptes et, avec d’autres entreprises publiques, loge depuis des années des revenus dans une catégorie « autres comptes » opaque dont la direction et les bénéficiaires ne sont pas connus.
Les groupes de défense des droits de l’homme et les enquêteurs des Nations Unies affirment que la société entretient des liens étroits avec les structures commerciales de l’armée birmane.
Dans ses réponses au journal, publiées en intégralité par Total, le groupe réfute l’idée de « profits extraordinaires » en Birmanie et dit ne pas connaître les raisons précises qui ont conduit le choix de domicilier MGTC aux Bermudes il y a 30 ans, tout en reconnaissant qu’un tel montage ne serait plus possible aujourd’hui compte tenu de sa politique de ne plus loger aucune filiale nouvelle dans des paradis fiscaux.
Rien à signaler pour Total
Total, qui indique que le gisement de Yadana est en déclin et ne restera en exploitation qu’aux « environs de 2025 », ajoute que le schéma de partage des profits entre le transport et la production du gaz, « classique », « a été avalisé avec les autorités de l’époque et s’est poursuivi avec les gouvernements successifs jusqu’à ce jour ».
Le PDG, Patrick Pouyanné, a par ailleurs assuré début avril que Total n’avait payé « aucun impôt ni taxe » à la junte militaire depuis le début de la crise en février, « tout simplement parce que le système bancaire ne fonctionne plus ». Interrogé sur l’article du journal Le Monde, Chevron a de son côté déclaré qu’il se conformait, de même que ses filiales, à toutes les lois applicables et aux exigences contractuelles.
Le Midi Libre avec Reuters – 4 mai 2021
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