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Un pays menacé de dislocation

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La Birmanie, qui a sombré dans la violence à la suite du coup d’État orchestré par l’armée en février, risque de se disloquer comme l’a fait la Yougoslavie dans les années 90 si la junte s’entête à refuser tout dialogue.

« Les problèmes du pays ne pourront pas se régler par la force. Il faut procéder de façon démocratique et négocier », prévient Tun Thwin, un dissident birman de 73 ans établi depuis longtemps à Montréal.

M. Thwin, qui a fait de la prison par le passé en raison de son opposition aux militaires, relève que les milices de groupes ethniques de plusieurs régions du pays, qui réclament depuis des années une plus grande autonomie politique, croisent actuellement le fer avec la junte.

« Certaines ont réussi à étendre leur territoire parce que l’armée doit faire face à plusieurs fronts en même temps », relève le ressortissant birman, qui s’attend à ce que la guerre civile en cours gagne en intensité dans les prochains mois.

Sa mise en garde fait écho à une récente sortie de la haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet, qui s’alarme du déploiement accru de troupes dans plusieurs régions sensibles.

Les forces de sécurité de l’État ont continué à utiliser des armes lourdes, y compris des frappes aériennes, contre des groupes armés, des civils et des bâtiments civils.

Michelle Bachelet, haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies

Plus de 100 000 personnes vivant dans l’État de Kayah, dans le sud du pays, ont notamment dû fuir leur résidence au cours des dernières semaines pour échapper aux combats. La majorité a trouvé refuge dans des zones boisées « où il y a peu ou pas de nourriture et d’eau », a-t-elle prévenu.

Élections, fraudes et contestations

Les troubles actuels ont commencé après que le parti de la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a remporté une large victoire aux élections législatives tenues en novembre. Les militaires, prétextant des fraudes massives, l’ont arrêtée à l’instar de plusieurs dirigeants du pays et ont entrepris de réprimer dans le sang la contestation populaire suscitée par leur action.

Selon un récent décompte d’une organisation de défense des prisonniers politiques située en Thaïlande, plus de 850 personnes ont été tuées et 4800 autres sont détenues. De nombreux cas de torture ont été signalés.

Aung San Suu Kyi fait face à plusieurs accusations, notamment de sédition, et risque d’écoper d’une lourde peine d’emprisonnement après avoir dirigé pendant des années un gouvernement civil sur lequel l’armée conservait une importante influence.

Elle est apparue en cour en début de semaine dans le cadre de procédures qui sont dénoncées par les organisations internationales de défense des droits de la personne comme une vulgaire mise en scène.

Les militaires veulent qu’elle et les dirigeants de son parti se retrouvent hors jeu sur le plan politique. Ça leur permettra ensuite de tenir des élections en prétendant devant la communauté internationale qu’ils respectent leur promesse.

Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie rattaché à l’Université de Montréal

Le gouvernement fantôme formé depuis le putsch par plusieurs parlementaires proches d’Aung San Suu Kyi a entrepris des négociations avec les milices régionales pour les unir dans leur opposition à la junte.

Il est cependant peu probable, dit M. Rancourt, que l’exercice mène, en cas de succès, à la constitution d’une force capable de rivaliser avec l’armée centrale, mieux dotée en hommes et en armes, gracieuseté notamment de la Chine.

Selon le chercheur, les manifestations qui avaient frappé plusieurs grandes villes dans les semaines suivant le coup d’État se sont estompées et font place à des actions de « guérilla urbaine » ciblant des représentants du régime et des bâtiments gouvernementaux.

Une interprète installée à Rangoun a indiqué à La Presse par texto que trois membres d’un parti proche de la junte avaient été tués au cours des derniers jours et que les attaques à l’explosif se multiplient. « Toutes les parties au conflit sont armées », a-t-elle indiqué.

M. Rancourt dit avoir été informé de son côté que des opposants à la junte ont décidé de quitter les villes pour aller suivre une formation militaire dans les régions contrôlées par des milices ethniques.

« Excès de confiance »

Tun Thwin estime que le parti d’Aung San Suu Kyi a fait preuve d’un « excès de confiance » à l’issue du scrutin et n’a pas prévu que l’armée risquait de recourir à la manière forte pour préserver son pouvoir, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises par le passé.

« Ils n’étaient pas prêts pour cette éventualité », relève le dissident, qui ne croit guère à la possibilité que les États-Unis ou d’autres pays occidentaux se portent à la défense de la population.

Une médiation a été entreprise, sans succès à ce jour, par l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) et les démarches au Conseil de sécurité des Nations unies piétinent, la Chine freinant le processus pour protéger la junte. Une réunion à huis clos est prévue vendredi pour faire le point sur la situation.

« On est encore dans les condamnations. Tout le monde condamne, mais il n’y a rien de sérieux qui est fait », déplore M. Rancourt, qui juge les sanctions économiques infligées par certains pays trop timorées pour influer sur l’évolution du conflit.

Par Marc Thibodeau – La Presse – 16 juin 2021

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