Au Vietnam, la vie à l’usine de l’aube à l’aube
Pour maintenir la production en plein confinement, des entreprises demandent aux ouvriers de loger sur place. Non sans conséquences sur leur santé mentale.
À Hô Chi Minh-Ville, le ballet incessant des scooters s’est tu. Image peu banale dans cette mégapole tumultueuse dont on dit qu’elle ne dort jamais. Jusqu’alors, ses 10 millions d’habitants pouvaient encore se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail. Presque un luxe.
Depuis le 23 août, la ville du sud du Vietnam a décrété la loi martiale et un confinement strict pour deux semaines. L’armée s’est déployée pour organiser la distribution de vivres. Après avoir contenu la propagation du Covid-19 lors de la première vague en 2020, le pays voit, depuis l’apparition du variant Delta, l’ensemble des indicateurs passer au rouge. Ces quinze derniers jours, 165 800 cas ont ainsi été recensés dans le pays. Hô Chi Minh-Ville concentre à elle seule 6 000 décès depuis avril sur les 11 000 répertoriés nationalement depuis le début de la pandémie.
Plusieurs centaines de milliers de travailleurs sont concernés
Plusieurs industries s’inquiètent du silence qui règne dans la ville et, pour remédier aux pénuries, l’autorité de la zone d’exportation et de traitement de Hô Chi Minh-Ville (Hepza) a placé les usines face à un choix : demander aux ouvriers de se confiner sur leur lieu de travail à condition de pourvoir aux repas et au couchage… ou fermer. Certains, dans l’incapacité de loger ces dizaines de milliers d’employés, ont préféré suspendre la production. C’est le cas du taïwanais Pou Chen, numéro un mondial de la fabrication de chaussures de sport.
Le Sud a ainsi repris le modèle mis en place dans les provinces septentrionales de Bac Ninh et Bac Giang où, depuis juillet, les fournisseurs des géants mondiaux de l’électronique logent leurs employés. Des tentes à imprimé camouflage et des dortoirs de fortune se sont ainsi déployés sur plusieurs sites. « Au début, c’était un peu étrange de vivre à l’usine et même un peu difficile d’y dormir, mais mes collègues et moi comprenons que c’est nécessaire et juste temporaire », concède Nguyen Thi Mai, un jeune employé de Samsung à l’agence Bloomberg. Plusieurs centaines de milliers de travailleurs sont concernés. Officiellement, il s’agit d’éviter la propagation du virus mais, au Vietnam, l’abondance de main-d’œuvre complique le refus de cette méthode dite du « sleepover » (dormir sur place).
Malgré les mesures sanitaires et les contrôles fréquents, des cas de contamination ont été rapportés au sein des fabriques. De fait, pour continuer de tourner, les usines doivent s’approvisionner à l’extérieur . Le modèle ne fait donc plus recette et certains commencent à interroger ses conséquences sur la santé mentale de leurs employés et le bilan de leurs entreprises. Quelques patrons demandent ainsi la mise en place de lieux sûrs à proximité des usines et l’approvisionnement en vaccins. « La vaccination est la seule façon de s’en sortir », assure le manager d’un site de production de panneaux solaires, interrogé par la revue Nikkei Asia. « Les chaînes d’approvisionnement finiront par être touchées si nous continuons ainsi », poursuit-il. Malgré une campagne intensive de vaccination des ouvriers en mai, 19,4 millions de Vietnamiens ont reçu une injection, mais seuls 2,4 millions de personnes disposent d’un schéma vaccinal complet sur un total de 102 millions d’habitants. Enfin, le coût du foncier autour de Hô Chi Minh-Ville complique l’investissement des entreprises dans des sites spacieux qui permettent d’isoler les cas positifs.
Des risques de rupture dans la chaîne d’approvisionnement
Si le sleepover a un coût pour les sous-traitants, les plus fragiles ne sont pas en position d’imposer leurs conditions aux multinationales surpuissantes qui menacent à tout moment de changer de fournisseur(s). Le risque de rupture dans la chaîne d’approvisionnement en dit toutefois long sur la place désormais occupée par le Vietnam dans la production globale. Au cours de la dernière décennie, l’augmentation des salaires en Chine et la guerre commerciale décrétée par les États-Unis et leurs alliés régionaux ont ainsi favorisé la délocalisation de la production en Asie du Sud-Est et les accords de libre-échange avec l’Europe.
La visite de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, la semaine dernière, atteste de ce rapprochement stratégique qui passe aussi bien par les accords de coopération militaires que par le marché. « Le Vietnam est un acteur clé dans le secteur du textile, de l’habillement et de la chaussure avec une part de marché mondial de 7,7 %. Ces fermetures d’usines vont donc avoir des répercussions au niveau mondial », estime l’économiste Trinh Nguyen.
Une application scrutée de près
Début août, Hong Sun, vice-président de la chambre de commerce coréenne au Vietnam (Korcham), considérait que « les fournisseurs de premier rang (n’étaient) pas encore fortement impactés, mais certaines usines ralentissent et souffrent de la 4e vague de Covid-19 au Vietnam ». L’application qui concentre les données sur l’évolution de l’épidémie dans les parcs industriels et les entreprises, générée par le ministère de l’Industrie et du Commerce, est donc scrutée de près.
Le mois dernier, les autorités recensaient la situation dans 121 000 entreprises de 63 provinces et villes vietnamiennes. En outre, pour garantir l’approvisionnement en amont, le même ministère promet de « renforcer les contrôles et la répression contre la spéculation et la manipulation du marché de matières premières », indique Ngô Khai Hoan, directeur adjoint du Département de l’industrie.
Par Lina Sankar – L’Humanité – 1er septembre 2021
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