Cambodge : un journaliste condamné à un an de prison moins de deux jours après son arrestation
Directeur d’une agence de presse locale du sud du pays, Youn Chhiv est la victime de représailles politiques après la publication d’une enquête qui dénonce des expropriations foncières. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une parodie de justice qui ne répond qu’au diktat de la caste au pouvoir.
Difficile d’envisager une justice plus expéditive. Directeur de l’agence de presse locale Koh Kong Hot News, basé dans le sud-ouest du Cambodge, le journaliste Youn Chhiv a été arrêté par la police pour un interrogatoire, mardi 28 septembre. Il n’aura pas fallu plus de deux jours pour qu’il soit condamné, jeudi, par un tribunal provincial à un an de prison et deux millions de riels d’amende (environ 420 euros), pour “incitation aux troubles à l’ordre public” – et ce, sans même la présence d’un avocat.
En fait d’incitation aux troubles, Youn Chhiv a récemment publié une enquête sur des expropriations foncières dans les villages et les plantations du district de Kiri Sakor, dont il est lui-même résident. Une enquête à l’issue de laquelle le journaliste a accusé le vice-gouverneur de la province, Sok Sothy, d’avoir fait preuve de “cruauté” en “trompant les citoyens”. C’est sur ces deux seules expressions, tirées du reportage de Youn Chhiv, que repose toute l’accusation.
Cité par la radio Voice of Democracy (VOD), le porte-parole du ministère public, Vei Phirum, décline tout vice de procédure en avançant que l’enquête préalable à cette condamnation a été menée “pleinement et entièrement”.
“Arrestation arbitraire, instruction inexistante, jugement en l’absence d’un avocat… Youn Chhiv est la victime d’une justice d’opérette qui répond exclusivement à des préoccupations politiques, déplore le directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous appelons les juges du tribunal de Koh Kong à revenir immédiatement sur ce jugement inique afin de redonner un semblant de crédibilité à l’appareil judiciaire cambodgien. Les journalistes qui tentent de faire leur travail doivent cesser d’être les victimes des petits arrangements de la caste politique au pouvoir.”
Dans un enregistrement audio, dont VOD a pu vérifier l’authenticité, le ministre de la Défense, Tea Banh, par ailleurs dirigeant régional du parti au pouvoir, a directement réagi à l’enquête publiée par Youn Chhiv. On l’entend ainsi ordonner à plusieurs hauts fonctionnaires de la province de Koh Kong de punir le journaliste.
Dans le même enregistrement, le dignitaire demande également à des responsables de l’agence de presse pro-gouvernementale Fresh News de décrédibiliser le travail de Youn Chhiv.
Le Cambodge se situe à la 144e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Reporters Sans Frontières – 1er octobre 2021
Articles similaires / Related posts:
- Il y a quatre ans, l’activiste Kem Ley était assassiné à Phnom Penh A l’occasion du quatrième anniversaire de l’assassinat du commentateur politique et défenseur des droits de l’homme Kem Ley, tué à Phnom Penh le 10 juillet 2016, 30 organisations de défense des droits de l’homme demandent aux autorités cambodgiennes de créer une commission d’enquête indépendante chargée de mener une enquête efficace et impartiale....
- La condamnation d’un rappeur cambodgien confirmée en appel La Cour d’appel de la province de Battambang a confirmé mercredi la condamnation de Kea Sokun, jeune rappeur, pour incitation. On lui reproche ses paroles nationalistes critiquant le gouvernement sur les questions frontalières avec le Vietnam....
- Cambodge : un leader syndical condamné pour ses propos sur la frontière vietnamienne Au Cambodge, un dirigeant syndical, opposant notoire du gouvernement de Phnom Penh, a été condamné ce mercredi 18 août 2021 à deux ans de prison pour « incitation à la haine »....
- La « chasse aux sorcières » se poursuit au Cambodge, une cinquantaine d’opposants emprisonnés Lors d’un nouveau procès collectif qui s’est achevé ce mardi 14 juin, une cinquantaine d’opposants au pouvoir ont été condamnés à des peines de cinq à huit ans de prison....
- Cambodge : la syndicaliste Chhim Sithar condamnée à deux ans de prison ferme À Phnom Penh, neuf représentants syndicaux ont été reconnus coupables ce matin d’« incitation à semer le trouble dans l’ordre public ». Des faits régulièrement reprochés aux activistes et politiciens membres de l’opposition. Un crime qui a conduit plusieurs dizaines d’entre eux en prison ces dernières années dans un contexte de détériorations des libertés fondamentales sous la gouvernance du Premier ministre Hun Sen....