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Cambodge. L’ethnie bunong poursuit son combat contre Bolloré

Depuis l’implantation sur leurs terres de Socfin-KCD, filiale minoritaire du groupe Bolloré, le mode de vie des Bunongs s’est métamorphosé. Une première audience de la procédure d’appel doit avoir lieu ce 13 décembre 2021, à Versailles, après un rejet en première instance. 

Alignés en rangs d’oignons, les milliers d’hévéas s’étendent à perte de vue. C’est là que se trouvait mon champ autrefois, indique Klang Thol en pointant du doigt l’une des innombrables rangées de ces arbres, exploités pour leur caoutchouc naturel. Je plantais du riz et quelques arbres fruitiers. Pour compléter, j’allais chercher ce qu’il me manquait dans la forêt proche ​, explique l’agriculteur de 43 ans. C’était suffisant pour nourrir ma femme et mes six enfants toute l’année.

Comme quelque 800 familles du village de Bousra, aux confins orientaux du Cambodge, Klang Thol est issu de l’ethnie bunong. Une minorité animiste des hauts plateaux qui pratique un mode de vie traditionnel. Le « mir » (la « terre » en langue bunong), est l’élément central de leur culture : les Bunongs le cultivent en jachère, sans réelle notion de propriété privée. Mais depuis 2008, Klang Thol ne peut plus exploiter ses champs comme le faisaient ses ancêtres.

Cette année-là, le gouvernement cambodgien octroie deux concessions économiques, d’une surface totale de 6 659 hectares (soit la ville de Nantes), à Socfin-KCD. Une filiale locale du groupe luxembourgeois Socfin, lui-même contrôlé à 39,75 % par le groupe Bolloré.

« Rien n’est plus comment avant »

Pour y développer la production de caoutchouc naturel, la forêt primaire est rasée et les champs détruits. Conséquence : les Bunongs entrent, contraints et forcés, dans l’économie de marché. Rien n’est plus comme avant, où la culture des champs subvenait à nos besoins. Désormais, nous devons travailler pour gagner de l’argent… Qui nous sert à acheter la nourriture que nous produisions nous-mêmes ​, déplore Krey Quin, un membre de la communauté. À 48 ans, il a emprunté de l’argent pour la première fois de sa vie en 2019. Pour acheter un cyclomoteur, car je dois désormais me déplacer beaucoup plus qu’avant ​, explique-t-il. Comble de l’ironie : pour payer les intérêts, il récolte et vend le caoutchouc produit par Socfin-KCD.

Comme la majorité des 455 communautés indigènes du Cambodge, les Bunongs de Bousra n’ont jamais eu de titre de propriété sur ces terres. Depuis 2001, la loi cambodgienne prévoit la reconnaissance des terrains ethniques, mais le processus est très long, coûteux et compliqué, ​indique le bureau des Nations unies au Cambodge.

Un contexte local

En 2015, pour obtenir réparation du préjudice et tenter de récupérer leurs terres, quatre-vingts Bunongs poursuivent en France le groupe Bolloré, au titre du contrôle qu’il exerce sur Socfin. Mais en juillet 2021, coup dur pour les Cambodgiens : le tribunal judiciaire de Nanterre juge qu’aucun des demandeurs ne justifie d’un droit réel pour exploiter les terres litigieuses ».

À Bousra, dans l’air frais des hauts plateaux, cette décision passe mal. La justice française n’a pas pris en compte le contexte local de l’affaire, lance Krong Tola, un chef de la communauté faisant partie des plaignants. Alors qu’une première audience de la procédure d’appel doit avoir lieu ce 13 décembre 2021 à Versailles, Sek Sophorn, avocat-conseil cambodgien chargé de l’affaire, ne se dit pas très optimiste.

Nous avons fourni de nombreux documents montrant les conséquences des concessions sur le mode de vie des Bunongs, mais la cour demande des titres de propriété, note-t-il. Leur mode de vie traditionnel explique qu’ils n’en aient pas, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont aucun droit.

Interrogé, le groupe Socfin ne souhaite pas commenter la procédure en cours. Pour les Bunongs, ce combat pour la terre est aussi celui de la préservation de leur culture, menacée par la disparition de leur mode de vie. Nous faisons ça avant tout pour nos enfants et petits-enfants ​, soupire Krey Quin. En effet, la durée des concessions économiques reçues par Socfin-KCD est de soixante-dix et quatre-vingt-dix-neuf ans.

Par François Camps – Ouest France – 13 décembre 2021

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